Qui n’aurait fait qu’entendre The Puppetmastaz sera un peu surpris de voir que la formation rap la plus étrange et mutante de la scène hip hop est composée entièrement de marionnettes.

Sur scène comme à la ville, ce sont ces poupées bizarres et déglinguées – plutôt moches selon les critères esthétiques en vigueur – qui balancent des morceaux lourds et puissants et qui flirtent avec tous les courants du hip hop pour caresser au passage l’électro et le ragga. On est loin du crew de repris de justice de South Central, mais ce n’est pas pour autant une blague. Puppetmastaz a publié cinq albums depuis 2003, et a vu passer des featuring illustres comme celui de maître Yoda – un habitué des tournées du groupe. Comme toute famille du rap, les membres vont et viennent dans un anonymat voulu. Même si on dit que Gonzales est passé, un temps, derrière le rideau.
Impressionnant sur scène, The Puppetmastaz joue avec la dimension infantile et carnavalesque du hip hop. Parce que, après tout, entre une marionnette de lapin en survêt et Snoop Dog en manteau de fourrure rose dans un Hummer plaqué or, l’écart n’est sans doute pas si grand. Au delà de cette ironie et d’une vraie puissance sonore, le groupe représente aussi une idéologie ethno-décentrée, une utopie, celle d’un monde débarrassé de l’ego et où les marionnettes, les animaux, les hommes et les meubles vivraient en harmonie. Une rencontre avec Mr Maloke, frontman du groupe depuis sa création il y a une quinzaine d’années.

Ma première question s’adresse à ceux qui manipulent les marionnettes : vous voyez le public pendant les concerts ?

Le marionnettiste : En fait on ne le voit pas, mais on l’entend…

(Mr Maloke, dont le chapeau haut-de-forme cache les yeux, interrompt son créateur. Il gardera la parole jusqu’à la fin de l’entretien, si bien que mes questions s’adressent finalement à lui. Si bien, en fait, que je suis en train d’interviewer une marionnette…)

La marionnette : Nah, tu sais, je ne le vois pas non plus. C’est pour ça qu’on interpelle le public, on essaie d’avoir un écho, un feedback. J’aime bien que ça reste acoustique, yeah…

On ne vous considère jamais comme un groupe pour les enfants ?

Mmmmh, on ne fait pas vraiment de différence entre les enfants et les adultes, en fait on ne fait pas de différence même entre les animaux et les humains… On les voit un peu comme une même chose, un même ensemble. En fait on ne fait même pas de comparaison entre les choses, les meubles et les créatures vivantes. Tout ce truc de comparer, de catégoriser, de dire ça c’est comme ça, c’est une habitude humaine, on préfère garder une approche animale, fragglistic, yeah, mais c’était quoi la question déjà ?

Est-ce que votre approche de la musique est aussi ouverte ? Il y a des correspondances entre votre musique et le hip hop humain, c’est une source d’inspiration ?

Autant que Ludwig Van Beethoven et le son des criquets dans la jungle… Je m’inspire de tous types de sons. C’est pour ça que le hip hop est un style intéressant, parce qu’il permet de faire des collages. Ça a commencé comme du collage, avec des bongos, des platines et des gens qui ne savaient pas chanter, tu vois ce que je veux dire. Ça a commencé comme quelque chose de très brut et on essaye de le garder ainsi. Bien sûr, pour les albums on polit un peu nos trucs, par égard pour le speaker system, si tu vois ce que je veux dire, aahhah.

Une chose frappante, c’est la manière dont votre musique évolue dans toutes sortes de directions  au fur et à mesure des années. C’est un peu comme si vous veniez défier l’une après l’autre toute les écoles et les branches du rap.

Je prends ça comme un compliment. Yeah, tu vois, j’aime Flavor Flave, Ice Cube, j’aime Cypress Hill, j’aime même des groupes aussi stupides que les Beastie Boys, tu comprends, ils ont tous leur style. Mais j’aime aussi David Bowie, la manière dont il chante, il y a tellement de gens qui ont influencé ma musique, notre musique. C’est tellement triste de voir des musiciens qui ont leur trucs, qui ont trouvé leur style et qui vivent dessus, pour être honnête, au bout de trois morceaux je m’ennuie… Le bon côté, avec les clichés, c’est que tu sais déjà à quoi t’attendre, mais j’aime être surpris, je veux que la vie me surprenne, et comme artiste aussi j’aime être surpris par ce que je fais..
Alors évidemment, sur nos albums, il y a des morceaux où les gens vont entendre du hip hop mélangé avec de la funk et ils peuvent trouver ça dégoûtant parce que ca sonnerait comme de la techno allemande des années 80 ou 90, ou peu importe. Mais nous, si on n’essaye pas des choses différentes, alors c’est qu’on a arrêté de chercher. C’est pour ça qu’on a mis un vaisseau spatial sur la couverture de l’album, c’est parce qu’on pense que les gens cherchent une porte de sortie, un chemin vers quelque chose de diffèrent. C’est important d’être différent, de pas tous ressembler aux muffins de chez Starbucks. C’est bon d’être différent, et à chaque fois qu’on fais un album on essaye de prendre des risques, de faire des trucs qu’on n’a pas encore fait.

Et le fait d’être une marionnette, est-ce que ca permet d’évoluer plus vite qu’un être humain ?

J’espère, j’espère… En fait, l’humain évolue rapidement, mais il se laisse juste rattraper par sa vanité, il se regarde trop dans le miroir, il essaye de s’enlever les boutons du visage, c’est une erreur, il faut être fier de ses boutons, yeah.

En 2008, le groupe s’est séparé, vous avez donc fait un album sur le sujet, « The Break-up », c’est une manière inhabituelle d’agir pour un groupe qui se sépare…

En fait on venait de faire l’album « Takeover » et on avait eu cet espoir que les animaux, les marionnettes, les meubles, les humains, pourraient d’une certaine manière prendre le pouvoir. Et puis finalement ça a fait long feu. On a contrôlé les stations de radio pendant deux jours, on a tenu un club un moment mais ce n’était pas une vraie révolution pour les animaux et les fraggles. On s’est aperçu qu’on était juste un groupe comme les autres qui divertissait les humains, et ça nous a complètement déprimé. Et puis ça a été l’occasion de penser à des trucs plus solo, le lapin – Snuggles the Bunny – est parti en Inde préparer un projet solo, le sorcier – Wizard the Lizard – un projet de film. Il fallait qu’on lâche un peu la pression, mais en fait on ne pouvait pas s’arrêter de faire de la musique. C’est pour ca qu’on a fait cet album, assez vite, pas vraiment pour faire un album mais pour être à nouveau sur la route. C’est important d’avoir du feedback, si toi et tes fraggles vous restez là à faire la musique juste dans le salon, au bout d’un moment ça devient emmerdant. Il faut du feedback pour que la musique commence à vivre, pas l’avoir juste sur ta petite radio à la maison, il faut l’entendre sur des gros SoundSystem, des murs d’amplis. Ce qu’il y a de bon dans une musique électrique, c’est d’entendre ce boogaloo éléctrique sur un gros SoundSystem… yeah.

« Guignol est assez moche, il a vraiment la tête d’un mauvais trip au LSD. »

Est ce que le crew change au fur et à mesure, est-ce qu’il y a des nouvelles marionnettes qui rejoignent le groupe, d’autres qui le quittent ?

Yeah, Flat Eric par exemple. Il a quitté Mr Oizo, parce que Mr Oizo l’utilisait juste pour faire de l’argent, pareil pour Yoda. Maître Yoda a quitté Georges Lucas parce qu’il se servait de lui pour faire de l’argent avec McDonald’s, alors Yoda leur a dit : « Allez vous faire foutre, je vais rejoindre les Puppetmastaz, yeah. » Mr Yoda et Flat Eric sont avec nous maintenant. Miss Piggy a été avec nous aussi pendant un moment.

Elle a quitté le groupe ?

Elle est retournée en désintox…

Et Guignol, est-ce que vous avez eu l’occasion de le rencontrer ?

Oui, il y a deux ans je crois. Il est assez moche, il a vraiment la tête d’un mauvais trip au LSD, mais il tourne avec pas mal d’autres marionnettes d’animaux. Ils font beaucoup de chose pré-enregistrées, pour nous c’est assez étrange, on a plus l’habitude de cracher notre énergie dans un micro, tu vois, alors que eux ils ont l’habitude de tout faire en playback. Là, tu vois, Guignol aurait pré-enregistré l’interview et il serait là, juste à bouger les lèvres… C’est une idée intéressante aussi. D’ailleurs j’ai un livre qui va sortir, Les Racines de Fragglerock, et la lecture de ce livre sera elle aussi pré-enregistrée.

Et vous prévoyez de faire des conférences, des signatures dans les universités ?

Oui, j’aimerais bien rencontrer quelques jeunes étudiantes…

À propos de jeunes étudiantes, il y a quelques rumeurs de sextapes…

Vraiment ? Bon, il y a des trucs un peu dingues qui se passent quand on boit. Tu vois, les marionnettes n’ont pas vraiment l’habitude de picoler, donc quand ça arrive en tournée… On peut perdre un peu le contrôle… Mais on essaye de rester sérieux. Tu vois, la musique c’est un peu comme faire pousser des bananes. Bon, c’est vrai que c’est un peu plus excitant de faire de la musique que de faire pousser des bananes, mais à l’origine, tout notre argent est venu de l’industrie de la banane.

Et quand on est une marionnette, comment est-ce qu’on dépense de l’argent, vous vous achetez des voitures ? Vous devez les faire fabriquer sur mesure ?

Il y a quelques bons modèles pour marionnettes chez Toys’R’Us, mais franchement, elles sont vraiment trop lentes, donc en général on engage un chauffeur humain pour nos déplacements, dans un tour bus classique. Pour nous les lits sont vraiment king size, si tu me suis, aha ha.

En quelque sorte, vous avez réussi à faire de la marionnette le maître ?

Yeah, mais je crois que plus d’humains devraient essayer. Tu vois, il faut parfois tenter de répondre à des questions sérieuses avec une marionnette. Même quand tu as des problèmes avec ta copine, laisse-la discuter avec la marionnette, parfois c’est une bonne chose… Bon… des fois c’est aussi une mauvaise idée… Parce que c’est toujours la vérité qui sort à travers la marionnette. Tu peux alors oublier ta vanité, ton visage, whatever, tu te débarrasses de plein de trucs encombrants, et ce qui reste c’est juste un truc pur.

Le manipulateur intervient : Mec, si tu es ma pure réalité, alors je crois que j’ai honte…

La marionnette : Aaah, je le prends comme un compliment, c’est un compliment…

The Puppetmastaz // Revolve And Step Up! // Discograph
http://www.puppetmastaz.com/ 


Puppetmastaz – Innerself Respect [Official Video] par Discograph

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