Les rendez-vous ratés sont souvent les meilleurs. Ce sont les seuls à pouvoir garantir aux groupes une postérité sans failles ; les quelques fans font des moulinets de bras pour crier au génie, la masse s’en fout et c’est sur un air d’injustice que l’Histoire continue d’ignorer les laissés pour compte. On ne va pas vous faire un dessin, la carrière toute entière de The Monochrome Set est un abécédaire du coche manqué. Après deux retours en dents de scie et la publication récente d’un nouvel album chez Tapete Records (sic), mais avant leur passage à Paris le 19 septembre pour un concert à la Maroquinerie, tentons de colmater les brèches avec une interview téléphonique de Bid, leader d’un groupe incapable de pondre un tube (re-sic).

On le disait dans le vestibule, au moment où vous posiez votre veste en cuir sur le fauteuil, mais le destin des perdants magnifiques est une mine d’or dont on remonte toujours avec le sourire du gamin ayant retrouvé un vieux jouet enterré au fond du jardin. Rien de neuf du reste, c’est toujours un peu la même histoire : quatre bras cassés qui prennent mal la lumière se font voler la vedette par des imposteurs aux dents longues, les premiers finissant aux mieux dans les bas fonds du rayon trésor caché de Discogs quand les autres ont moins de scrupules à trahir la cause avec un tube commercial qui pavane en tête des charts alors qu’il est aussi vide que le cerveau des Libertines face à une dissertation. La postérité étant une course de fond, les gagnants ne sont pas forcément ceux qu’on croit.

This revolution won’t be televised

Expliquer l’échec d’une carrière devient alors un jeu de piste mille fois plus intéressant que de comprendre comment Wire, Gang of Four ou PiL ont fait pour devenir riches, vieux et adulés par des gamins même pas nés à l’époque où ils publiaient leurs disques majeurs. Bref : si la vie est un manège, alors The Monochrome Set a définitivement raté le pompon. Formé en 1978 avec l’anglo-indien Bid, à la fois rendu célèbre par leur premier LP « Strange boutique » et tué par leur seul mini-tube commercial (Cast a long shadow, 1982) composé à contre-cœur, le groupe se dissout une première à l’acide citrique en 1985, revient en 1990 grâce au mécénat d’un Japonais touché par la foudre, enregistre une poignée de disques éclipsés par l’engouement grunge puis se re-sépare une deuxième fois en 1998, sans que la gravité terrestre n’en soit modifiée.
Pourtant la légende raconte qu’on leur doit l’existence des Smiths – Johnny Marr aurait été stupéfait par leur collection de singles lors de sa première rencontre avec Morrissey – et le groupe possède son lot de petites anecdotes, comme l’étonnante présence des membres de Bananarama aux chœurs, sur leur premier album. Aussi rigolotes soient-elles, ces vignettes croquignolesques ne suffiront pas à coller The Monochrome Set dans le grand album photo de l’histoire du rock, en dépit du soutien indéfectible des Inrocks à travers les décennies.

Les routes départementales offrant un paysage plus varié que les autoroutes, le groupe de Bid a pourtant suivi son chemin et profité d’une crise cardiaque de son leader en 2010 pour rechausser les éperons et livrer deux disques d’honnête facture – l’expression consacrée pour vanter un disque écoutable mais pas mémorable – qui placent de facto The Monochrome Set dans la réserve des derniers des Mohicans, dernière place forte d’une époque où le rock se jouait en noir et blanc (le nom du groupe, littéralement).

Tout cela nous amène logiquement à « Spaces Everywhere », publié chez les Allemands (un comble) de chez Tapete Records au printemps dernier, dans une indifférence quasi générale, avec toujours le même point d’interrogation : comment, avec un nom pareil, The Monochrome Set n’a pas pu profiter de l’explosion MTV pour exploser le tube cathodique ? Bid s’est gentiment prêté au jeu du question-réponse en plein milieu du mois d’aout pour relier les pointillés de cette carrière qui ressemble presque à un gilet pare-balle après une après-midi picnic à Bagdad. Allo Bid, c’est encore loin le succès ?

Bonjour Bid. J’aimerais commencer par une question sur le dernier disque en date, « Spaces Everywhere » : êtes-vous satisfait ?

Euh, vous voulez dire, commercialement parlant ?

Non, je parle des retombées médiatiques, des réactions de fans, etc…

Ah. De nos jours c’est assez difficile d’évaluer la critique ; avec Internet on ne sait plus vraiment qui écrit, si les journalistes sont anglais ou américains. Mais bref, de façon générale c’est le disque le mieux accueilli par la presse, avec les meilleures chroniques qu’on n’ait jamais eu. Ca doit être de l’ordre de 99% de papier positif pour 1% de critiques au vitriol. Donc ouais ça va, je suis content.

Je voulais débuter par cette question car en prenant votre carrière dans son ensemble, le grand malentendu entre The Monochrome Set et la presse est un secret de polichinelle, presque un euphémisme.

Oh oh oh… Premièrement, la raison pour laquelle on a eu autant de bons papiers sur « Spaces Everywhere », c’est que pour la première fois depuis longtemps un label bosse pour nous avec un vrai service promotion. Les deux derniers étaient sur notre propre label [Disquo Bleu, NDR] et on était un peu au four et au moulin…

Vous êtes en train de dire que vous preniez vous-même le téléphone pour faire le service après-vente avec les journalistes ?

D’une certaine manière, oui. Bon le fait qu’on n’avait pas vraiment le profil des salariés de maison de disque, ah ah ah. Le problème c’est que les journalistes reçoivent beaucoup trop de disques ; naturellement les plus gros labels font davantage pression que les petites maisons, ce qui implique que pas mal de disques passent à la trappe. La majorité des mecs n’aiment pas philosopher là dessus, ils ont juste besoin de chroniquer leurs merdes avant de passer à une autre.

Vous mentionnez Disquo Bleu, mais avant cela vous avez publié de nombreuses sorties chez Cherry Red [qui a notamment fêté ses 30 ans avec une reformation du groupe, en 2008]. J’ai le souvenir d’une interview où vous parliez de Mike Alway, votre manager dans la maison, en des termes peu élogieux, critiquant le fait qu’il avait passé des années à vous vendre comme un groupe excentrique, ce que vous n’étiez visiblement pas.

C’est pas vraiment ça… Mike Alway, à l’époque le Directeur Artistique de Cherry Red, n’était comment dire, pas tout seul dans sa tête si vous voyez ce que je veux dire. Avec le recul je me dis qu’il y avait vraiment trop d’artistes signés sur le label, même si nos disques sur cette période se sont – de ce que je m’en souviens – pas trop mal vendus. Quand on a décidé de voler de nos propres ailes avec Disquo Bleu, pas mal de gens ont été surpris mais je crois qu’on cherchait surtout la fraicheur qu’on avait perdu depuis pas mal de temps.

Nous n’avons aucun problème avec notre passé, ni avec notre contribution à l’histoire du rock.

Mais alors justement quel rapport entretenez-vous avec le passé ? C’est assez surprenant de se dire que The Monochrome Set existe depuis plus de 30 ans. Soit on n’a pas vu le temps passer, soit vous ne faites pas votre âge.

Soyons clair : on n’a aucun problème avec notre passé, ni avec notre contribution à l’histoire du rock. Ce qui me semble plus dommageable, ce sont les associations malheureuses qui ont été faites avec The Monochrome Set. Non, nous ne sommes pas un groupe post-punk. Je vois davantage le groupe comme un pilier permanent de la scène New Wave. Voilà pourquoi on se réfère aussi peu au passé, et pourquoi l’on tente en permanence d’aller de l’avant.

L’étiquette « New Wave » ne me serait pas venue spontanément, si je puis me permettre. Pour moi The Monochrome Set verse davantage du côté pop. On vous imagine assez peu jouant dans la même cour que Simple Minds et toutes les atrocités 80’s.

Pour moi « New Wave » est à prendre au premier degré, comme un appel à la nouveauté perpétuelle. La New Wave à la sauce Monochrome Set, c’est le premier LP de Blondie par exemple. Voilà pourquoi l’association avec la scène punk me dérange au plus haut point.

Ok donc The Monochrome Set est un groupe de « new new wave ».

Ah ah. Je crois que nous faisons parti de ce club très restreint de groupes tentant de prolonger cette tradition de fraicheur, combinant à la fois l’envie de nouveau avec les codes de la pop, évidemment omniprésente dans la New Wave.

La vérité c’est que nous nous pouvions être un groupe populaire.

Cela explique clairement l’absence de single radiophonique chez The Monochrome Set, mais aussi plus directement pourquoi vous êtes l’un des seuls groupes de cette époque à ne vous êtres jamais trahi pour un succès commercial.

Ouais, la vérité c’est que nous nous pouvions être un groupe populaire, on en était incapable ! Le groupe n’a jamais eu la prétention d’écrire un hit avec des paroles pour adolescentes de 16 ans, à cet âge on veut juste entendre une chanson où il est question de baisers, ce genre de merdes crapuleuses. Impossible pour nous d’atteindre le top 10, et honnêtement c’était tout sauf une posture, nous sommes vraiment comme ça, viscéralement. Et quelque part c’est tout le paradoxe du groupe : nous sommes fans de pop, mais on est infoutus de composer un single pour la radio !

Puisqu’on n’est plus à un paradoxe près, est-ce l’une des raisons qui explique votre longévité, et le fait que vous soyez toujours en état de marche ? Tant de groupes se sont brulés sur la place publique après avoir chopé un tube…

Certainement. The Monochrome Set c’est essentiellement un groupe à guitares avec des paroles compliquées, voire incompréhensibles [comme sur « Love Zombies », sorti en 1980, où fatigué des critiques sur ses paroles obscures, Bid décida de réciter des textes en Latin, NDR].

La chanson Oh You’re such a star, sur votre dernier album, est-ce votre jugement définitif sur la notoriété ?

Cette chanson parle d’un type que je connais… Bon disons que cela parle de l’isolement lorsqu’on devient célèbre ; c’est un peu comme entrer dans un monastère.

Il fut un temps où vous-même avez vécu cette solitude, si je ne m’abuse ?

Yeah.

Et vous vous êtes finalement enfui du monastère ?

Ah ah. Quand vous avez 17 ans et que vous découvrez que vous allez être songwriter, ou peintre, jusqu’à la fin de vos jours, vous devez tout laisser derrière, vous devenez une figure solitaire, c’est tout.

Un groupe New Wave avec un chanteur asiatique ne peut pas réussir.

Sans transition, la rumeur raconte que les chanteuses de Bananarama faisaient parti des chœurs de The Monochrome Set, à vos débuts. Info ou intox ?

Vrai ! Mais juste pour les concerts. Et encore : un seul concert en 1980, à Londres. Elles chantaient tellement faux qu’on a du débrancher leurs micros. Ce qui ne les a pas empêché de devenir l’un des Girls Band les plus célèbres au monde, preuve qu’une femme n’a pas besoin de bien savoir chanter pour devenir une popstar, ah.

Que vous inspire le raz de marée nostalgique qui nous assaille tous, depuis quelques années ? On ne compte plus le nombre de groupes qui se reforment pour rejouer leurs disques mythiques, ni les fans prêts à claquer leurs économies pour les voir sur scène, vieux, fatigués et gras du bide. Pour vous qui avez déjà connu deux come-backs, la question se pose non ?

Mmmm… En 2010 j’ai eu une attaque cardiaque alors que nous venions tout juste de reformer le groupe pour une petite tournée au Japon ; or à la même époque j’avais cet autre groupe [Scarlet’s Well, NDR] qui tournait en même temps en Angleterre, en Allemagne.. et puis il y a eu cette attaque cardiaque. Et j’ai décidé d’arrêter Scarlet’s Well pour me concentrer sur The Monochrome Set. Mais honnêtement ça n’a pas beaucoup d’importance, pour moi, que ça s’appelle The Monochrome Set ou Scarlet’s Well ; c’est juste moi et le nom du groupe un véhicule pour mes chansons.
Quant à la nostalgie, pour moi une reformation ne peut se produire que dans certaines circonstances ; avant de se reformer nous avions déjà été tentés par deux fois, avant de finalement abandonner en voyant le résultat désastreux d’autres « vieux » groupes. Evidemment que je sais que certains se font un paquet de pognon grâce aux tournées de reformation, évidemment que je trouve ça consternant de voir untel ou untel faire un hold-up en festival alors que le groupe n’a même pas sorti 3 putains de disques dans sa carrière. C’est étrange, mais c’est comme ça.

Pour faire taire les critiques vous devriez jouer gratuitement à Glastonbury !

Ah ah ah. The Monochrome Set ne demandent pas des millions pour jouer, je te rassure.

Vous parliez du Japon précédemment. Or il se trouve qu’on doit votre premier come-back à un Japonais illuminé qui vous passa un coup de fil en 1990 pour non seulement vous proposer une tournée au Japon, mais aussi la production d’un nouvel album [« Dante’s Casino », Vinyl Japan]. Vous vous souvenez de votre réaction lorsque le téléphone a sonné ?

J’étais surpris ! Mais figurez-vous que cette année là on avait déjà appris que le groupe était très populaire au Japon. Il faut savoir que 30 à 40% des ventes de « Strange Boutique », rien qu’en 1990, se sont faites là bas ! Cela faisait donc dix ans qu’on était des stars au Japon, simplement personne ne nous avait jamais rien dit ! Et même encore aujourd’hui, je suis parfaitement incapable de vous expliquer pourquoi The Monochrome Set vend autant de disques dans ce pays. Par contre j’arrive à expliquer notre échec au niveau international : le groupe n’a jamais été associé à aucun des gangs anglais.

Pardon pour cette question mais vous ne vous êtes jamais demandé si vos origines indiennes n’avaient pas joué en votre défaveur, dans ce petit milieu de blancs qu’est le rock ?

Eh oui. Ca ne m’avait pas sauté aux yeux, jusqu’à récemment, mais c’est probablement l’une des raisons qui explique pourquoi The Monochrome Set n’a jamais explosé, même au Royaume-Uni. Pendant toutes ces années, le quiproquo me semblait étrange, ça me taraudait. Et puis j’ai fini par comprendre qu’un groupe de New Wave avec un chanteur asiatique serait systématiquement regardé de travers. La nature humaine est ainsi faite, on ne peut rien y faire, on fait parti du gang… ou pas.

Pour finir, Lou Reed a-t-il été une influence, même minime, sur « Spaces everywhere » ?

Mmmh… Je ne sais pas, jamais pensé à ça. Vous trouvez ?

Oui, un peu. [Bid explose de rire]

Okay, peut-être un peu. Vous avez déjà écouté les démos de « Transformer », à la guitare acoustique ? C’est absolument fantastique, sa voix y est hallucinante… sacré chanteur. Donc oui, le Lou Reed des 70’s est une grosse influence.

Disons que je sois un journaliste fainéant (ce que je suis, ne nous voilons pas la face), est-ce que je pourrais écrire que vous êtes le Lou Reed anglais ?

Ouais, sans aucun problème. Fonce, mon garçon !

The Monochrome Set // Spaces Everywhere // Tapete Records
http://www.themonochromeset.co.uk/

En concert avec Mustang et Chinese Army le 19 septembre à la Maroquinerie

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