La world music ? Sting, Youssou et Peter sont dans un bateau, Peter tombe à l’eau, pourvu que le navire coule aussi. De la fraternité gluante en veux-tu en voilà, des bobos new age, des travellers de pacotille en sarouels et sandales qui ont vu le vrai sens de la vie «parce que tu vois eux ils sont vraiment en communion avec la nature». C’est bien connu, loin du cœur et loin des yeux, l’Éthiopie meurt peu à peu, manque plus que Khaled qui balance une tarte à Aicha et le compte est bon. Par pitié… qu’une boite de prod’ tourne un clip d’utilité public ou un ado pré pubère jette un album de polyphonies corses dans la cuvette avant de tirez la chasse accompagné du slogan « la world c’est de la merde ».

Et pourtant, il fut un temps où la quête de nouveaux sens semblait bien possible et réelle. Pour les oreilles des baby boomers dans le vent des mid sixties, tout avait commencé avec Harrison qui, ravi de sa rencontre avec Shankar, avait matiné Norvegian Wood d’un riff de sitar. Pas en reste, Brian Jones, en se prenant pour un Alan lomax moderne collectant des musiques traditionnelles, avait mis sur la carte les flûtes du petit village de Jajouka et fortement contribué au trip « babouches et défonce transcendantale ». Le grand kif en plein coeur du Rif avec du shit pas encore coupé au pneu. Ils seront bientôt des milliers – pour le meilleur et pour le pire – à s’entasser sur les routes d’un orient chimérique, revigoré face à un occident colonial qui s’était allègrement essuyé les pieds sur les tapis de cultures ancestrales.

Depuis quelques années, le Maroc était déjà la terre d’adoption d’une beat generation venue y chercher les perceptions mystiques et la liberté déglinguée. Trip bouddhiste, soufiste, haïkus et compagnie, une poignée d’illuminés ricains ont rejoué la partition des grands explorateurs sous un angle inédit, le spirituel souvent agnostique, anticlérical et décadent. Ils fuyaient ainsi le howl, sa moral écrasante, pour des terres plus propices à la recherche intérieure. A Tanger, Paul Bowles, Brion Gysin et William Burroughs, la branche junkie et déjantée de l’anti mouvement littéraire, laissèrent Ginsberg à ses mantras et ses lamentations, pour aller naviguer à vue et se perdre au bras des mignons du cru. Ils iront faire la connaissance de cette musique grâce au petit ami de Gysin qui venait de Jajouka. Un peu de téléphone arabe plus tard, le Stone au casque d’or – alors en bout de course avec des cernes dont même Droopy ne peut s’enorgueillir, débarqua dans le village en 68 et enregistra les flutistes avant de retourner en Angleterre pour voir s’il, à l’instar d’Adjani, il pouvait toucher le fond de la piscine. Un Mythe était né.

Remettons tout de même la casbah au milieu de la montagne, les musiciens de Jajouka perpétuent leur tradition musicale depuis au bas mot deux mille ans. On pardonnera donc à Burroughs, certainement du à un état avancé, d’avoir vu double et de les avoir affublés du label «A 4000 years old rock band». Depuis, souvent grâce à cette coquille aussi ridicule que de penser que Jésus aurait pu tapé le bœuf avec Michael Bolton, des fanfarons du rock expérimental et du free jazz se sont pressés pour collaborer avec la descendance qui honore la tradition. Patti Smith a dégoisé avec eux, les Sonic youth toujours dans les coups tordus ont tenté l’alliage du fer et du plomb, Ornette Coleman  et Archie Sheep ont libéré du free sauvage et imprévisible, bref que du beau linge.

En 1989, même des Stones en mal d’inspiration avaient pris un retour d’acide du délire de feu Brian et s’étaient déplacés pour enregistrer Continental drift avec les Jajoukas sur l’immonde Steel wheels dont quelqu’un aurait du définitivement voler les jantes et les bandes pour les jeter à la casse. Mais toute la musique qu’ils aiment, elle vient de là, elle vient du bled et ce n’est pas quelques musico ethno touristes qui vont changer la donne.
Aujourd’hui, le danger pour les musiciens de Jajouka serait qu’un jour ils ne trouvent plus de relève pour perpétrer l’apprentissage par cause d’exode rurale. Pour ce qui est de la musique, tout va bien, elle n’a, à priori, pas bougé d’un iota depuis le temps où la tribu avait sa place dans les palais des sultans, bien avant la colonisation occidentale. Des sons lancinants, tribaux répétitifs qui sonnent parfois comme une grande messe atonale émanent d’instruments qui ignorent l’électricité. Et c’est bien cette aspect acoustique qui les différencient des pauvres gusgus du bush qui massacrent leurs cultures dans des grattes bouffies de chorus et de flanger, noyés derrière des batteries poum chak aussi propres qu’un solo de Manu Katché.

Écouter le jajouka, c’est chercher le derviche tourneur qui est en chacun de nous, c’est se créer un imaginaire, s’écrire une histoire, un leurre mystique. Il faut se rendre à l’évidence, on ne percera jamais le mystère de cette musique envoutante et troublante qui semble toute droit sortie des entrailles du Rif. C’est un voyage initiatique dans le temps, une épopée sonore dont seuls le dieu Pan, que les jajoukas continuent d’honorer, ou quelques vieux fumeurs de kif peuvent percevoir les contours éternels.

The Masters Musicians of Jajouka // The Source (Led by Bachir Attar) // Le Son du Maquis (Harmonia Mundi)
http://www.jajouka.com/

8 commentaires

  1. Attention , il ne faut pas dire Joujouka mais Jajouka.
    Joujouka est le nom de musiciens étrangers au village de Jajouka qui tentent de voler la musique des vrais musicens de Jajouka depuis quelques années.
    Le vrai nom est « The master musicians of Jajouka led by Bachir Attar « , Bachir Attar étant le seul vrai leader des musiciens du village.

  2. la différence entre jajouka et joujouka provient avant tout d’une erreur sur le nom de la pochette de l’album produit par brian jones
    à l’époque ils avaient imprimé Joujouka
    pour ce qui est de voler la musique, je ne rentrerai pas dans les conflits de clochers. La musique n’est pas quelque chose que l’on vole ( hormis un support musical).
    j’ai sciemment utilisé Joujouka dans le dernier paragraphe en référence à l’album. Désolé mais compte tenu de l’ancienneté de cette musique et de sa tradition, je vois mal comment on pourrait adosser le nom d’une seule personne, ici Bachir Attar qui semble faire un travail fantastique pour faire vivre cet art, comme on adosserait un label bio sur un poulet.
    Il semble aussi qu’il y ait eu pas mal de turbulences au sein même de la communauté de musiciens du village et moi les conflits du genre qui à volé le mouton du grand père ? ça me dépasse un peu et franchement je pense que tout le monde s’en branle royal. l’important c’est l’esprit de cette musique.

  3. Bonjour michel razon
    Je me permets de commenter à mon tour, suite aux assertions de vos posts.
    je ne sais pas si vous avez déja mis les pieds à Jajouka, mais ce que vous décrivez ressemble à peine à la surface des choses telles que l’on pourrait les imaginer si l’on n’allait pas fouiller un peu soi même sur place pour comprendre ce qui s’y passe. La confusion est compréhensible, et il est facile d’imaginer ce que vous décrivez. Mais en l’occurence, les choses à Jajouka se déroulent de manière bien plus subtiles et complexes qu’une simple dichotomie entre deux clans! Pour avoir grandi au maroc, connaitre eric et marc hurtado depuis 15 ans, et aussi Frank Rynne, je peux vous assurer que tout ce que vous décrivez relève pour moi de la désinformation pure, et c’est regrettable, et avant tout pour les musiciens!!
    Qu’il y ait deux groupes importe peu au final car les deux font de la vraie musique de Jajouka (c’est bien là l’essentiel n’est ce pas??), mais cela vous semblez l’ignorer complètement. Les disques sortis sur Sub Rosa sont des enregistrements des musiciens dans leur salle, ou ils jouent AUSSI des petites flûtes, et ils sont parfaitement capables de jouer les musiques de Jajouka que vous connaissez. Les musiciens présents sur tous les enregistrements que vous connaissez sont des musiciens du village, tout le monde se connaît.
    C’est juste un contexte marocain complexe, très contemporain.
    Et pour ce qui est de gagner de l’argent.. il n’y a qu’à voir la maison de Bachir Attar dans le village et la misère des musiciens pour comprendre qui a dérapé dans cette histoire.
    JM

  4. aucune guerre pour ma part, juste une volonté de clarifier les choses. Qu’on le veuille ou non la situation a Jajouka est ainsi, et heureusement que la musique et le rite sont encore là!

  5. en fait je pense que mon article n’est pas aussi documenté que vous tous même s’il n’avait pour vocation que de faire connaitre cette musique à un plus grand nombre.
    de loin ça m’a l’air pas mal classique des enjeux que rencontrent des populations assez pauvres face à une certaine renommée, face à une poule aux oeufs d’or.
    pour tout dire je connais assez peu la situation actuelle du village ne m’étant pas rendu sur place je n’ai qu’une opinion par ouie dire
    par contre je ne me sens pas très à l’aise de faire la promotion de personnes qui semblent s’accaparer la musique de leurs ancêtres et en faire une propriété privée.
    les valeurs artistiques se défendent uniquement par leur propre existence, l’art officiel non merci

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