Si les punks et autres rebelles auto-proclamés m’ont toujours fait royalement chier, The Jesus Lizard reste l’exception qui, depuis mes 15 ans, confirme la règle. Le groupe à l

Si les punks et autres rebelles auto-proclamés m’ont toujours fait royalement chier, The Jesus Lizard reste l’exception qui, depuis mes 15 ans, confirme la règle. Le groupe à la beauté juvénile a réussi à rassembler dans ses compositions tous les ingrédients qui font de l’adolescence une période si bouleversante : frustration, désinvolture, violence… pureté. B.O idéale d’un roman de Bukowski, les hormones sont en ébullition, ça exhale la sueur et l’alcool bon marché.

Vénalité ou nostalgie, le groupe est reparti sur la route dix ans après sa séparation officielle, traînant ses guêtres jusqu’au festival Villette Sonique. J’avoue avoir attendu fébrilement la date fatidique du 27 mai, craignant de retrouver un groupe usé par trop d’abstinence et trop de renoncements. Mon « ça », lui, comptait les minutes jusqu’au moment de sa libération toute proche…

Mercredi 27 mai 2009, 20h et des brouettes, Paris

Manque de popularité infamant, ce soir, je suis seule, sur liste mais seule. Ma molle tentative de vendre le concert à ma collègue a lamentablement échoué « Mais si, je te jure, c’est vachement bien… », moue sceptique, je pars seule du bureau. Me voilà donc femme libérée, quelque part sur le parvis de la Villette, juchée sur de douloureux talons.

J’arrive à la fin du set de la première partie. Un chanteur savamment longiligne, une nette influence sampler Destination 2002 des Inrocks : l’ambiance parfaite pour arriver à se donner une contenance de fille cool et branchée un peu blasée. Ça y est, je la tiens, trop tard pour avoir le temps de trouver de l’intérêt au groupe sur scène. Mous applaudissements, passons à autre chose.

La fosse se remplit de métaleux, tous rouquins, immanquablement ingénieurs en informatique. Si mon côté gothique friendly se réjouit, le mur d’enceinte gigantesque installé sur scène me rend nerveuse, mes oreilles menacent de saigner.

Je repense au mémorable concert de Chrome Hoof l’année dernière dans le cadre du même festival et j’ai une pensée émue pour la témérité des programmateurs.

Fumigènes mis en branle, arrivent deux gros barbus taciturnes en toge et encapuchonnés (Sunn o))) qui me présentent avec solennité leurs guitares.

Le set débute, mon corps est secoué par le bourdonnement des guitares, pas de notes, pas de rythme, juste de longs « blang, blang, blang » atones. Tandis que mes organes internes vibrent à l’unisson, je réalise, franchement dépitée, que ces foutues vibrations restent trop faibles pour provoquer un orgasme. Mon esprit divague, je les imagine dans la cave de leurs parents, puceaux frustrés de ne pas réussir à enchaîner trois notes sur leur guitare. Je suis perplexe et j’ai mal au pied.

De la scène continuent de partir de grosses colonnes de fumée : tiens, ça sent le pancake, puis le pastique, puis de nouveau le pancake… plus tard ça sentira la kératine grillée, mais personne ne semble réagir. Show must go on.

Je regarde autour de moi, le public est stoïque, captivé, je les imagine m’expliquer « c’est concept, tu vois quoi… ». Non, je comprends pas, et les trucs un peu trop conceptuels auraient tendance à faire bugger mon cerveau. J’envie la jolie blonde hypnotisée qui ondule le sourire aux lèvres et les yeux fermés. Certains sont dans une transe méditative collés aux enceintes comme on le serait devant le mur des lamentations. Le spectacle de la fosse m’apparaît bien plus intéressant que celui sur scène. Après une heure de bourdonnement sans pose, nos deux encapuchonnés lèvent le poing au ciel, saluent leur public et s’en vont. Je pousse un soupir de soulagement, j’ai toujours pas compris.

Ragaillardie, je m’avance juste devant la scène où un grand con déjà passablement imbibé bourrine et pique négligemment ma place. Autour de moi l’ambiance est plutôt molle, bon enfant mais molle. Le public patiente poliment, sans éclat de voix. Arrivent les Lizards et, en une seconde, la fosse se déchaîne. Je prends subitement conscience que mes lunettes, mon mètre 50 et mes 45 kg ne sont pas les bienvenus. Penaude, je me rapatrie sur le bord.

Note à moi-même : oublier la fosse pendant ce type de concerts.

David Yow, égal à lui-même, commence à tituber sur scène, cannette de bière à la main. Je suis rassurée de voir que certaines choses sont immuables. Il est vrai que le groupe a fondé sa notoriété sur les fantaisies scéniques du chanteur toujours enclin à saupoudrer ses apparitions publiques d’une pointe d’exhibitionnisme et d’automutilation. Il est comme je l’imaginais, ivre et ventripotent, restant ce gnome autiste qui nasille des paroles à  la clarté sibylline opportunément dégueulées, les riffs de guitare simplistes et dézinguants  de Duane Denison associés à la ligne de basse à la puissance désarmante de David Wm. Sims.

Soudain Seasick retentit à mes oreilles, déclenchant des spasmes tout le long de mon corps. Je me mets à danser avec frénésie et à chanter à tue-tête en yaourt comme je l’aurais fait seule dans ma chambre à 15 ans, sauf que là David Yow et ses comparses sont à cinq pas de moi.
Fraîche et juvénile, la suite du set rend hommage aux glorieuses années du groupe chez Touch and Go et à leur collaboration avec Steve Albini, leur producteur historique : Gladiator, Wheelchair Epidemic, Dancing Naked Ladie, Mouth Breather, Bloody Mary… Je suis aux anges. David Yow s’essaye au jeté de micro oubliant de le rattraper pour continuer à chanter, le public danse sur scène, slame dans une ambiance joyeusement bordélique.

J’avoue être de ces individus clairement psychorigides qui trouvent que des morceaux live n’ont que rarement un meilleur rendu que sur disque. En l’occurrence, un concert de Jesus Lizard se confirme être l’expérience live à ne pas rater : maître de sa folie, le groupe laisse prendre toute sa place à la sauvagerie de ses compositions.

Mieux qu’après une nuit d’amour, je quitte la Villette en sueur, vidée, heureuse.

Photos: Cyprien Lapalus

http://www.thejesuslizard.net/

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