J’ai toujours aimé la Scandinavie, la Suède plus particulièrement. La nature vierge, l’immensité vertigineuse, presque écrasante, déséquilibrant celui qui s’y perd, comme une toupie en fin de course. On se rappelle alors la petitesse de l’homme et sa place dans le théâtre de l’univers. Un morpion accroché aux poils de cul d’un éléphant. La nature est une leçon d’humilité ; ce qui n’empêche pas les Hives de se déclarer meilleur groupe de rock du monde.

La Suède et ses harengs, ses fjords, ses kanelbullar, terre natale de Ingmar Bergman et Zlatan Ibrahimovic. Les Suédoises. Des blondes aux yeux bleus par milliers, délicieuse vision fantasmagorique que je chéris pendant mes longues nuits solitaires, pareilles à un océan de glace à la vanille pour un obèse. Un avant-goût du paradis, si seulement le pays n’avait pas accouché du musicien le plus dégueulasse depuis que le monde est monde : Yngwie Malmsteen. Derrière sa chevelure de sorcière, un visage qui rappelle une étoile défunte, le grand Elvis, période gras du bide. Mauvaise pioche, il aurait mieux fait de se couper la main, et le bras avec. Chantre du mauvais goût le plus absolu, cet olibrius masturbe son manche électrique comme un épileptique jusqu’à plus soif, l’ego jamais rassasié. Boulimique de la farce, cet adorateur des kermesses a ceci de commun avec les Hives qu’il en fait des caisses. Quand on pense aux Scandinaves, la première chose qui vient en tête, ce sont leurs concerts : commedia dell’arte musicale où le chanteur, Pelle Almqvist, se permet toutes les bouffonneries, flirtant parfois avec le ridicule, gesticulant dans tous les sens comme un singe devenu fou à la vue de quelques guenons en chaleur. Tirés à quatre épingles dans leurs costumes noir et blanc, ils éructent à la face du monde une musique de mauvais garçons avec force débilité et générosité, à la manière des Ramones. Cette folie, pourtant, n’est en rien le fruit d’une quelconque naïveté ; tout est millimétré, soumis à des mécanismes, comme au théâtre. L’anarchie est feinte, le jeu de scène rodé. La farce va même jusqu’au mythe du sixième membre invisible, Randy Fitzsimmons, censé avoir écrit presque toutes les chansons du groupe. Malin comme des singes. Ça, en Suède, ça court pas les rues.

Les symboles en disent souvent long sur une nation.

Trouvez le porte-étendard et vous trouverez le cœur. Véritable bête de scène au service de sa paroisse, le père Almqvist met le feu aux planches comme le faisait Mick Jagger en son temps, lui empruntant une gestuelle, un jeu de jambe sexy et alerte qui en a fait s’évanouir plus d’une. Leader d’un groupe qu’il a créé avec son frère en 1993, le mâle scandinave a tout pour lui et il le sait. Gueule d’ange, son charme naît d’un paradoxe entre un regard triste de labrador retriever et le sourire narquois de celui qui en sait long, sûr de lui, et qui vous fait comprendre, sans mot dire, que vous ne lui arrivez pas à la cheville. N’importe quel primate aurait l’air idiot en slip kangourou rose. Pas lui. Les Suédois sont connus pour être les maîtres du cool. Ils sont tant habitués à suer dans les saunas que rien n’a de prise sur eux. Essayez de convoiter la copine d’un blond par exemple, il ne vous arrivera rien ; si elle est partante pour une partie de saute-moutons, il se pourrait même que son homme vous offre une capote et pose sur vous un œil bienveillant, presque paternel, pendant que vous vous agitez sous la couette d’un lit Mandal de chez Ikéa.
Malheureusement, il y a peu de chances que la jolie plante soit d’accord, car ni vous ni moi ne valons un kopeck face à un Nordique d’un mètre quatre-vingt au caractère taillé par un climat rude et une culture ouverte, très ouverte, et accueillante, très accueillante — « Les gens du Nord ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors », disait Enrico Macias. Pelle Almqvist est ce genre de mec-là. Cette confiance en eux est telle qu’en cas de cataclysme, ils seront parmi les seuls à s’en sortir. Dieu est né à Stockholm, ça ne fait aucun doute.

On a coutume de dire que l’on s’assagit avec le temps. Vérifier cette affirmation à l’aune de leur discographie, c’est abonder dans le sens de ceux qui pensent que le soleil se lève à l’Ouest et que « mourir, c’est pas facile ». Du punk de « Barely Legal » en 1997, rappelant par moment les Dead Kennedys, au rock garage aseptisé de « The Black and White (and soporific !) Album » dix ans plus tard, les Hives ont ralentit la machine. Nerveux, cradingues et directs comme une droite au visage exécutée par un poids moyen, tendus comme le brame d’un élan en rut, ils deviennent en 2007 presque aussi mous et insipides que ces vieux groupes sous Viagra qui rongent le même os jusqu’à la moelle, cherchant leur salut en se reposant sur d’éternels gimmicks. C’est peu dire que leur quatrième album est loin d’être inoubliable. Hormis deux ou trois titres, on assiste à la plus grosse farce que le groupe ait jouée. Ils sont en roue libre. Entre les deux, « Veni, Vidi, Vicious » et « Tyrannosaurus Hives » en forme de carte de visite, douces petites pilules de speed au goût acidulé, efficaces et excitantes en diable.

Je n’ai jamais été particulièrement fan des Hives, même si je les ai toujours trouvés cool. Encore plus aujourd’hui.

Depuis 2011, la mode est au clavier. Un jour c’est l’auto-tune, le lendemain c’est l’accordéon, et le jour d’après ce sera encore autre chose, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils nous aient enterrés six pieds sous terre. Quel est donc ce mec qui tripote les touches noires et blanches comme un vieux dégoûtant tripoterait les seins d’une vierge ? En 2012, c’est celui que l’on connaît depuis la cour de récré, celui chez qui on squattait parce qu’il avait un baby-foot ou une piscine. Ce n’est pas un mec charismatique, on ne l’a jamais vu sortir avec une fille par exemple, mais c’est un bon pote. Un jeune homme affable à défaut d’être un homme à femmes. L’intégrer dans le groupe, c’est l’occasion de lui offrir son premier grand frisson. Ça part donc d’un bon sentiment. Ça part toujours d’un bon sentiment, « Je le fais pour ton bien », dit-on souvent à l’eunuque. Sauf qu’on t’a rien demandé. Remballe donc ton clavier à la con, ta musique de pub pour gel douche et rends-nous les guitares. Oui, les claviers ça fait chier, sauf Stevie Wonder, parce qu’il est noir et aveugle. On touche pas aux minorités.

Dans « Lex Hives », le +1 c’est le saxophone – instrument des jouisseurs, joué par les barjots qui s’ignorent. Quand Iggy Pop ordonne à Steve MacKay de s’époumoner dans la machine infernale, c’est le Grand Bleu en dolby surround, version Stooges : une noble folie furieuse. « Blow Steve, blow ! » ; job à plein temps, sucer le bout et souffler encore et toujours jusqu’à avoir les poumons aussi rétractés que des raisins secs. Jouer jusqu’à son dernier souffle, et défier la grande faucheuse, statue pétrifiée sur ses talons aiguilles. Encore faut-il donner un vrai rôle à l’instrument, et non pas le considérer comme un simple pin’s sur le revers d’une veste en jean (mauvais goût ultime, même si l’on s’appelle Renaud). Ici, lorsque le sax’ est utilisé, c’est un éléphant écrasé par un soleil en fusion. Apathique. Aussi utile que des jumelles pour un aveugle. Tout ça pour éviter les claviers ! L’autre bonne nouvelle, c’est ce retour aux sources, confirmant que le « Black and White Album » n’était qu’une erreur de parcours. Tout n’est pas parfait, loin s’en faut, considérant que ces cinq-là ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils attaquent bille en tête, et qu’ils en ressortent avec une fracture du métacarpe. Un flash d’Absolut vodka pour se dérouiller et s’éclater. Parce que les Hives, c’est avant tout du fun, alors rock and roll.

The Hives // « Lex Hives » // Sony
http://www.thehivesbroadcastingservice.com/

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