A l'occasion de la sortie de "All Nerve", on a rencontré le groupe, très en forme. Mais de quoi ?

Les Breeders, c’est l’histoire d’un side project de la bassiste des Pixies qui finit par avoir un tube plus gros que Frank Black. En 1993, le groupe de Dayton (Ohio), fourgue rien qu’en France plus de 200 000 exemplaires de Cannonball, devenu depuis un hymne indie des années 90. En Angleterre, le titre se classe à la cinquième place des charts. Un succès inattendu qui flingue le groupe sans sommation : Kim Deal tombe dans la dope, sa sœur jumelle Kelley dans l’alcool et l’héroïne. Le rock’n’roll n’est pas encore cramé mais les sœurs Deal le sont. Classique.

Elles s’en sortiront après quelques cures de désintox et peut-être aussi la peur d’une loi américaine capable de foutre en tôle pendant 12 ans une personne condamnée trois fois pour possession de drogue. Dix ans après leur dernier album « Mountain Battles », revoilà donc les Breeders avec un nouvel LP. Enregistré entre trois studios (Candyland dans le Kentucky avec Mike Montgomery, Electrical Audio à Chicago avec l’icône indé Steve Albini et Greg Norman, et Fernhood dans l’Ohio avec Tom Rastikis), fidèle aux basiques du groupe et à leur label historique 4AD, « All Nerve » fait parfaitement le job. On y trouve même une reprise d’Archangel’s Thunderbird d’Amon Duul II, bordel. Pour relire l’histoire complète du groupe, c’est par là, et pour le ping pong avec le groupe rencontré à Paris, c’est juste en dessous.

Honnêtement, je n’attendais pas grand-chose de ce nouvel album après un silence d’une décennie.

Kim Deal : Voilà ce qui m’énerve dans les interviews. Nous n’avons pas que les Breeders dans nos vies de musiciens. Entre Last Splash et Title TK, par exemple, Jim et moi jouions dans The Amps et on avait sorti un album. De son côté, Joséphine a eu plusieurs projets différents. Jim a aussi joué pour Guided By Voices. Me concernant, c’est vrai que la musique est un processus assez lent. Ca semble facile et rapide pour pas mal d’autres personnes bien organisées. Moi, c’est très différent.

Ca se décide comment, ce nouvel album ?

Il ne nous a pas fallu 10 ans pour l’enregistrer. On n’a pas commencé à travailler dessus en 2008 si c’est que tu insinues. En 2014, on a fait une tournée anniversaire de Last Splash, nous étions très occupés. Si tu veux bien, essayons de considérer cet album comme le résultat d’un travail sur une année plutôt que le résultat d’une décennie de silence.

Josephine Wiggs : En vérité, ça nous a pris presque deux ans pour retrouver le label, composer, enregistrer, etc. C’est la raison pour laquelle ça sort seulement le 2 mars 2018.

Kim Deal : Bravo, Joséphine, bien joué ce placement de date.

Jim MacPherson : Joséphine est très pro.

« Si un jour ils se reforment, ce sera sûrement pour l’argent. »

Pourquoi vous reformez-vous maintenant ? Il y avait des impôts à payer ?

Josephine : Si on s’était reformés pour payer toutes ces taxes, je crois qu’on en aurait profité pour en parler dans un bouquin histoire de rentabiliser le tout. Ou alors on aurait accepté un job plus sûr que de se remettre dans un groupe de rock. Aucun groupe dans notre situation ne se reformerait pour l’argent. Ce serait stupide.

Kim : La vérité, c’est qu’en 2012, j’étais allongée sur le lit de Kelley quand elle me sort « Tu te rends compte que l’année prochaine, cela fera 20 ans que Last Splash est sorti ? Ne pourrait-on pas contacter Josephine et Jim et juste voir si ça les intéresserait de faire quelques concerts pour fêter ça ? ». Ca a résonné en moi comme une explosion. J’ai dit à Kelley « Jim ne peut pas me blairer. J’appelle Josephine et tu te charges d’appeler Jim, ok ? ».

Noël Gallagher pense que les groupes qui se reforment le font systématiquement pour de l’argent mais ne le disent jamais.

Josephine : Et bien, c’est intéressant…

Kim : Je crois que c’est surtout valable dans le cas d’Oasis. Si un jour ils se reforment, ce sera sûrement pour l’argent.

Joséphine : Et puis il a combien d’enfants à élever ? Combien de femmes à entretenir ?

Kim : Non, ne dis pas ça !

Josephine : Franchement, on en a rien à foutre, non ? Il a sûrement plein de personnes à aider financièrement, non ? Nous sommes vraiment obligés de supporter ce genre de remarque?

Kim : Oasis est un groupe énorme. Les Breeders, c’est autre chose. Si on se reforme, c’est d’abord pour nous. Nous n’avons pas d’autres espoirs que de voir quelques personnes se déplacer à nos concerts. Si ça arrive, ce sera déjà pas mal. Si Oasis se reforme un jour, ce sera un évènement important, mais les Breeders…

Joséphine : Tu penses vraiment qu’ils vont se reformer un jour ?

Kim : Je n’ai aucun doute là-dessus.On n’en sait rien mais bon…

A vous entendre, les Breeders ne sont pas un groupe important dans l’histoire du rock.

Kim : Depuis qu’on a remis le couvert, pas mal de gens nous disent « Mais vous n’êtes jamais partis ! Votre musique est toujours là, présente un peu partout. ». Certains nous ont même avoué que le groupe était devenu important pour eux à une période où nous avions pourtant arrêté de jouer ensemble, d’exister. C’est cool mais bon, on vit à Dayton dans l’Ohio. On entend rien de ce qui se dit sur les Breeders. Et on s’en fout.

Joséphine : Que les gens disent que nous sommes un groupe important est une chose, mais je constate que nous n’apparaissons jamais sur la première ligne des programmes des festivals. Pas encore en tout cas. Pas encore ! (rires)

Peut-être pour un prochain Glastonbury ?

Jim : Pourquoi pas ? Nous sommes prêts à briller sous les projecteurs.

Pour ce nouvel LP vous avez bossé avec plusieurs producteurs : Steve Albini, Mike Montgomery, Greg Norman, Tom Rastikis. Vous n’avez pas craint d’obtenir un résultat incohérent ?

Kim : La première fois qu’on s’est dit « Et pourquoi on essaierait pas d’écrire un ou deux nouveaux morceaux pour les intégrer à nos concerts ? », on en a rapidement eu deux qui nous plaisait bien. Je connais Steve Albini depuis plusieurs décennies. C’est un ami de la famille, je l’aime. J’ai convaincu le reste du groupe de travailler à nouveau avec lui pour enregistrer ces deux nouveaux morceaux, All Nerve et Skinhead #2. Puis on est revenu chez nous, à Dayton. Et on a continué à écrire, dans ma cave, dans celle de Jim. Dawn : Making an effort est apparu comme ça. On a fini par avoir quelques morceaux qu’on a transformés en démos dans notre « studio digital ». Mais je déteste le son digital. Pour moi, ça ne fonctionne pas, particulièrement le son de batterie dans le rock. Ce que j’aime, c’est l’analogique. C’est à ce moment là que Kelley m’a indiqué que Mike Montgomery venait d’ouvrir un studio analogique à à peine une heure de route. On a foncé là-bas dès qu’on a pu, et c’est là qu’on a fait le reste de l’album.

Sur un de vos derniers singles, vous avez repris Joanne, un morceau de Michael Nesmith. Êtes-vous des fans des Monkees ?

Josephine : Il y a un morceau des Monkees que je trouve fabuleux. Je crois que c’est Last train to Clarksville.

Kim : Steppin’ stone, c’était pas mal non plus !

Jim : Ah oui, très très bon, ça !

Pourtant c’est Joanne que vous reprenez.

Kim : Kelley m’a parlé pour la première fois de ce morceau vers 1980-81. J’ai immédiatement adoré ce morceau qui a été écrit après la période Monkees. Le jour où j’ai repris ma guitare, il a bien fallu que je joue quelque chose. Etrangement, c’est ce morceau là qui est venu. Kelley a trouvé ça si bon qu’elle m’a convaincu de l’enregistrer pour une B-side.

Kelley : Oui, tout est de ma faute !

Kim, tu es un cas assez spécial dans le rock. Il existe une chanson des Dandy Warhols sur toi qui se nomme  Cool as Kim Deal. C’est quoi, être cool dans l’industrie musicale en 2018 ?

Kim : C’est ce que ça a toujours été. Il s’agit juste de faire son propre truc, de faire des choix, de les assumer jusqu’au bout sans se laisser influencer. Ne jamais se demander si les gens vont aimer ça ou ça. Être cool, c’est être certain de faire ce en quoi tu crois.

Kelley : Comme disait notre mère, soyez-vous même.

« Tu penses vraiment qu’on est suivi par la communauté lesbienne? »

C’est pas trop difficile d’être soit-même quand on est exposés médiatiquement comme tu as pu l’être avec les Pixies par exemple ?

Kim : C’est pas forcément le plus simple.

Joséphine : Le plus dur c’est de conserver un peu de dignité et de ne pas se laisser complètement aller à ses instincts les plus vils.

Kim : Je crois que les gens qui conservent cette liberté d’être eux-mêmes en se moquant des autres sont vraiment courageux. Être un froussard émotionnel, c’est quand même le truc le plus atroce que tu peux devenir dans ta vie.

Est-ce important pour le groupe d’être suivi par la communauté lesbienne ?

Kim (surprise) : Euh…oui !

Kelley : Je pense que c’est important pour Josephine.

Jim : Pour moi aussi, aha !

Kim : tu penses vraiment qu’on est suivi par la communauté lesbienne ou c’est une autre question bizarre ?

C’est une vraie question.

Kim : Honnêtement, je n’en sais rien. Je ne sais pas si la communauté lesbienne nous suit. J’en sais rien du tout.

Josephine : Mais si, c’est une évidence. Je suis convaincu que c’est le cas.

Vous en êtes à 25 ans de collaboration avec 4AD. Pourquoi un lien si fort ?

Kim : Pendant la tournée « Surfer Rosa » des Pixies, Vaughan Oliver était venu voir notre concert à Paris. Lui mais aussi d’autres gens du label. Je me souviens qu’on était complètement défoncés après ce concert. A tel point que Vaughan Oliver a balancé un poste de télévision de la fenêtre de notre hôtel après le concert.

Josephine : Tu ne vas pas nous dire que c’est à ce moment là que la relation entre les Pixies et 4AD est devenue forte ?

Kim : On n’était pas seulement défaits. Il y avait aussi des larmes. C’était fort. Le côté branleur rock’n’roll, c’était juste un aspect du truc. Tu te souviens de Deborah Edgely ? (NDLR : employée de 4AD qui deviendrait quelques temps plus tard l’attachée de presse du label et la copine d’Ivo, le patron de 4AD). Elle parlait de nous avec des larmes dans la voix, elle sentait que quelque chose de dingue se passer. Les gens du label étaient comme des artistes, émotionnellement fragiles. Ca m’a parlé. J’ai aimé ça chez 4AD. C’est ce qui m’a toujours attiré chez eux.

Pour « All Nerve », vous n’êtes pas allés jusqu’à demander à Vaughan Oliver de s’occuper de l’artwork. C’est Chris Bigg qui s’en charge.

Kim : il s’était occupé des pochettes de la série de 45 tours de « Wait in the car ». En fait, on avait demandé à Vaughan Oliver et à Chris Bigg de nous proposer des projets pour cette série et on a décidé de choisir Chris parce qu’il était…

Joséphine : moins cher.

Kim : oui, c’est vrai. Moins cher. Et sacrément bon bien sûr !

« Avant les gens sortaient en concert le vendredi soir, maintenant ils vont sur Facebook ».

Le monde de la musique a énormément changé depuis vos débuts.

Kim : il y aurait tant à dire !

Jim : j’ai l’impression que plus grand monde ne va chez les disquaires.

Josephine : Les gens le font mais… ce n’est plus la même chose qu’avant. Pareil pour les concerts, les gens y vont mais pas de la même manière. Le concert, c’était l’endroit où tu retrouvais tes amis le vendredi ou le samedi soir. C’est ainsi qu’on socialisait avec eux. Aujourd’hui, je pense que les gens vont plus à un concert par mois qu’à un concert par semaine. Ils restent souvent à la maison, car ils ont des « choses » à faire.

Kelley : ils vont sur Facebook. C’est probablement moins cher aussi.

Kim : ils font aussi des Skype avec leurs amis. Ca m’arrive parfois, à moi aussi.

Jim : j’ai aussi l’impression que plus grand monde n’écoute les stations de radio alternatives qui faisaient découvrir pas mal de groupes.

Kim : Je me souviens d’une interview qu’on avait donné à l’époque de Last Splash. Quelqu’un s’insurgeait contre le CD en disant que ça ne valait pas le vinyle. Aujourd’hui on parle exactement de la même manière du monde digital. On le critique. Mais on critiquait aussi le CD. On réagit bizarrement quand il y a un changement.

Vous critiquiez le CD mais vous avez fini par en acheter, comme tout le monde.

Jim : Peu. Ce que j’aime, c’est voir un vinyle tourner. Je viens d’acheter le dernier The National.

Kim : Je ne l’ai pas encore écouté. Tu l’aimes ?

Jim : Oui, il est très bien.

« Si [ce disque] ne marche pas, au moins on aura terminé l’histoire des Breeders sur une bonne note. »

Concrètement, qu’attendez-vous de ce retour puisque vous ne revenez pas pour l’argent?

Jim MacPherson (se réveillant du fond du canapé) : faire des concerts, beaucoup de concerts. Je me suis aussi rendu compte que j’adore jouer avec Kim, Kelley et Josephine. Si ça ne marche pas, au moins on aura terminé l’histoire des Breeders sur une bonne note. J’ai seulement envie de jouer une nouvelle fois de la musique avec ces gens que j’adore.

C’est pas trop difficile de voyager avec trois femmes à fort caractère ?

Jim : Franchement, si, AHAH.

Joséphine : On lui fait porter nos sacs et nos valises.

Jim : J’ai grandi avec trois sœurs plus âgées que moi, donc je n’ai jamais été surpris par le fonctionnement du groupe.

On trouve aussi Courtney Barnett sur l’album. Vous suivez les sorties actuelles ou c’est 4AD qui vous a conseillé pour rajeunir un peu l’image du groupe ?

Kim : C’est vache, ça. Comme souvent, c’est plus simple que ce que pensent les journalistes. J’ai été interviewé il y a deux ou trois ans par le podcast Talkhouse. Ce jour-là, Courtney était aussi dans l’émission, mais par téléphone. On s’est échangé nos mails et nous sommes restées en contact. Le jour où elle et son groupe allaient jouer dans un festival dans notre ville de Dayton, elle m’a envoyé un mail pour me demander si on voulait venir les voir jouer. Je lui ai immédiatement répondu « On adorerait mais on est en plein enregistrement dans notre studio. Si jamais tu as un day-off, voilà l’adresse ». Ils y ont fait un saut, et voilà. Ils étaient tous là, dans notre studio. Courtney, le groupe, leur manager. J’avais un morceau à faire avec quelques choeurs, et en les voyant tous là, je leur ai demandé si je pouvais poser un micro devant eux et tenter quelque chose. C’est aussi simple que ça !

Au fait Josephine, y aura-t-il un deuxième album du Josephine Wiggs Experience ? Le premier date de 1996…

Josephine : ça fait 20 ans que je travaille dessus. Ca finira peut-être par sortir un jour. Le truc, c’est que j’ai deux problèmes dans ma vie. Je n’arrive pas à terminer les choses parce que je suis trop perfectionniste, et je me lasse assez vite des choses. Tout particulièrement de la musique dans laquelle j’ai pris part. C’est aussi ce qui me plaît dans le fait d’être dans un groupe. On se stimule les uns les autres. Quand je bosse seule, c’est un cauchemar et c’est l’impasse assurée.

The Breeders // All Nerve // 4AD

2 commentaires

  1. trop de commentaires, tue le commentaire, ou pas assezzzzz! je remarque que des clients viennent une fois, ne répondent pas, quelle panique les piquent? ooops, sinon kim deal pas super sapée.

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