La boucle est bouclée. L'allemande Nico donna ses premiers concerts au Blue Angel Lounge. Lou Reed le new-yorkais a écrit "Berlin". Des décennies plus tard un groupe allemand qui rêve de New York choisit le nom The Blue Angel Lounge, liant les époques à l'instar de leurs congénères texans The Black Angels. Sortez vos feuilles on commence le cours de géographie.

Vous m’entendrez souvent répéter l’importance que j’accorde au timbre de la voix. Qu’un mec chante bien c’est plaisant, qu’un type ait un timbre qui fait vibrer c’est autre chose. On lui pardonne tout, on s’envole ou s’enlise par sa vibration. D’ailleurs la voix n’est-il pas l’élément le plus important pour faire un bon gourou? Celle de The Blue Angel Lounge est non seulement captivante, elle est possédée, charismatique, envoutante/hypnotique. Sans saisir tout ce qu’il raconte je sais que je le crois. Et si cela ne suffisait pas, la musique qui orchestre la cérémonie est aussi profonde qu’une cathédrale gothique, avec ses alcôves et confessionnaux cachés, sa crypte, ses retours de reverb, ou son écho désertique. Car oui étrangement dès le départ on sent ce tiraillement qui habite le groupe, entre gothique 4AD et musique espacée à la typologie western. Du gothique spaghetti aux relents post-punk? Pourquoi pas, le chanteur doit autant vocalement à David Eugene Edwards et Ian Curtis que stylistiquement à Ivo Watts-Russel.

Les paradoxes leur sont chers. Le titre A sea of trees en guise de métaphore parfaite prouve que les montagnes peuvent se rencontrer, vous allez l’entendre. Ainsi commence Winter, son entrée enneigée suivie de cloches avec cette voix de prédicateur fou dessinant l’ouverture des portes d’une église poussiéreuse de l’Oklahoma à la fin du monde. Tiraillés géographiquement, si The Blue Angel Lounge dédie son premier morceau à la saison majoritaire pour ceux qui vivent sous cette latitude (foi de lorrain), Desolate sands sera le morceau qui définira le mieux leur approche paradoxale. Regard 80’s vers l’ouest pour un titre qui tient du manifeste et du paradigme. Mutter alourdit le pas, marche initiatique sous un climat inconnu pour finir dans une forêt énigmatique avec Woods et son sens de la délivrance en apothéose discrète. Walls navigue dans des eaux plus identifiées, laissant un peu le côté épique qu’a pris l’album jusqu’à maintenant et me renvoyant à l’un de mes disques de chevet du moment: « Fear is on your side » d’I Love You But I’ve Chosen Darkness. Efficace et tubesque.

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Je déteste les ballades, ça date du collège et des booms où je restais comme un con sur le banc…Pourtant As cold as the moon m’a fait frissonner avec ses cascades vocales. Nils renvoie dans certaines intonations à Justin Sullivan et le groupe montre qu’il manie aussi bien la complexité esthétique que la pure simplicité toute d’émotions vêtue.
Quartz et Plane Communication se font cérémonieuses avec un orgue Bachien (que j’ai réappris à apprécier avec Anna Von Hausswolff). Requiem anticipé pour un monde qui sent à la fois les flammes et la cendre finissant dans la désolation avec The pain you got from me en guise d’illustration sonore.

L’accointance avec les fuzzy The Black Angels (seconds texans de cette chronique où la géographie fait sens) ne se limitent pas au vecteur commun qui leur a donné un nom à chacun. The Blue Angel Lounge pourrait presque sonner comme une réponse européenne au premier, une bande de cowboys attirés par les chants grégoriens. A ce point-là on pourrait en faire un conseil pour l’éducation nationale, histoire de ré intéresser nos jeunes mondialisés à la géographie et de gratter quelques places dans le PISA.

Anton Newcombe a eu le nez fin en les signant. The Blue Angel Lounge m’a fait adhérer à son propos étrange, cathédrale psyché/pop à l’architecture gothique mais aux portes grandes ouvertes sur le désert de Mojave. Mi fermé mi ouvert, on peut s’y sentir perdu dans les folies architecturales comme dans ces lieux que la terre a oublié de finir. Le son est très spatialisé, et l’envol par rapport au précédent « Narcotica » est un envol identitaire (j’ai presque peur d’user de ce mot). « Narcotica » était bon, « A sea of trees » est aussi excellent qu’immédiatement identifiable car totalement unique.

Je n’ai jamais dit ça (je mens peut être), mais pour une fois je le dis: ce groupe sonne comme lui-même et a réussi à créer sa propre et nécessaire identité. Il fait désormais plus que partie du paysage. Ps: évitez d’écrire ces dernières phrases dans vos communiqués de presse, vraiment, c’est d’aussi mauvais effet qu’une lettre de motivation pour bosser chez KFC.

The Blue Angel Lounge // A sea of trea // A Records (Differ-ant)
http://blueangellounge.com/

3 commentaires

  1. Tout à fait d’accord avec toi, super article. Seul détail, leur premier album était sur le label d’Anton « A.Records » mais ce n’est plus le cas depuis Narcotica et A sea of trees.

  2. Il me semble que c’est justement l’inverse, les deux premiers albums du groupes sont sortis sur 8MM MUSIK et seul le nouvel album (dont il est question ici) est chez A RECORDS…

  3. Salut! merci beaucoup d’abord!
    Et oui en effet c’est bien avec cet album qu’ils ont signé avec Newcombe. Mais celui-ci les avait assisté pour la prod de Narcotica. Il était dans le sillage déjà quoi, là ils ont passé le cap avec ce troisième et excellent disque

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