Que réclame l'amateur de musique en 2010 ? Certainement pas le choix (il l'a et en étouffe), encore moins des reformations ou de la légende (la moitié de la planète a désormais vu

Que réclame l’amateur de musique en 2010 ? Certainement pas le choix (il l’a et en étouffe), encore moins des reformations ou de la légende (la moitié de la planète a désormais vu les Stooges) et surtout pas d’interactivité (on élit les pop-stars comme des députés, c’est déjà assez triste).

Non, aujourd’hui, il veut surtout qu’on ne lui demande pas son avis. Il brûle des cierges pour qu’un album sorte du bois, se dresse sur sa route et s’impose sur sa platine pendant de longues semaines, sans lui laisser le choix. Il rêve d’un disque qu’il n’attend pas.

Sorti à l’origine en 1975, Nobody knows the heaven des Beautiful Losers est venu couper 2010 en deux : avant et après la première écoute de cet album, ce n’est ni la même année, ni la même humeur. Des morceaux qui doivent autant à Hunky Dory et à Lou Reed, qu’à Syd Barrett ou au Jefferson Airplane… Et l’on a rien vu venir.

L’affaire ne se limite pas à un simple charme d’époque, une patine qui flatterait l’esthète, admirant le flacon mais regrettant l’ivresse. Sur ce disque, le songwriting fait la différence. Impossible de prédire l’accord ou le break à venir, inutile d’attendre le solo programmé: les Beautiful Losers pratiquent le contre-pied, avec une guitare et une basse comme arsenal, sans jamais perdre de vue l’évidence pop.
L’autre force du disque tient sans aucun doute dans son naturel, sa naïveté devrait-on dire. Le groupe est français et regarde donc le glam-rock ou le psychedelisme de loin, fasciné. Il chante des textes comme «I’ve got a rendez-vous with my suicide », répète en boucle « Humphrey » à la fin d’African Queen, avec un aplomb irrésistible, dénué du moindre calcul. On avait oublié qu’un jeune groupe devait tout se permettre, se contrefoutre du bon goût et de la prudence. Qu’y a-t-il de plus dangereux que le professionnalisme en matière de pop ?

The Beautiful losers étaient donc deux. Deux jeunes hommes d’à peine 20 ans, chantant des morceaux glam sans paillette dans le Paris 70’s :  Christophe J. (voix, basse) et Jay Alanski (voix, guitares). Ce dernier a ensuite mené une carrière accidentée, mêlant soul, pop, tubes (Banana split, Jil Caplan…), consoles 48 pistes ras-la-gueule, french touch. En 1989, sur The price of love, orgie pop funk au cours de laquelle Prefab sprout percute Prince, Alanski chantait « I don’t wanna talk about the beauty of losers », une de ces phrases que l’on retient sans trop savoir pourquoi. Vingt ans plus tard, le message est finalement décodé.

Que se passe-t-il avant les Beautiful Losers ?

Mes premiers accords de guitares datent de 1968, j’ai 13 ans. Mon père travaillait comme éditeur de musique, pas du tout de la chanson plutôt de la musique folklorique et tenait un  magasin d’instrument, rue Vivienne à Paris, en face de la Bibliothèque Nationale. Dutronc venait parfois y acheter des mediators, je côtoyais ce monde mais de loin, j’étais petit. Au départ, je voulais être présentateur de radio. A l’époque, c’était des personnages fantastiques. Je me souviens de président Rosco, « un minimum de blabla, un maximum de musique », avec son accent anglais. Puis, très vite, j’ai écrit des chansons. A 13 ans, des morceaux très sérieux bien sûr. Mais c’était ce que je voulais faire. Pas une seule seconde, je n’ai pensé faire autre chose. En 1971, j’ai enregistré un premier album intitulé Season, distribué au lycée Voltaire. Puis un trois titres… Si vous voulez, je suis trop jeune pour avoir vécu la révolution pyschedélique. Lou Reed et le Velvet underground, je les découvre avec un peu de retard vers 1971, via la compilation avec les bouteilles de Coca sur la pochette. Mais quand T-Rex et Bowie arrivent, c’est un choc déterminant. Le rock décadent… qui colle parfaitement avec mes lectures du moment. Le rock -et c’est ce qu’il y a de fantastique avec cette musique- forme une immense toile d’araignée, un grand kaléidoscope, avec de très nombreuses correspondances. A l’époque, je lis les décadents français, Barbey d’Aurevilly, Oscar Wilde et je découvre Francis Scott Fitzgerald qui sera capital pour moi. J’ai dû lire Tendre est la nuit cinquante fois, plus tard je donnerai même ce titre à l’un des mes albums , mon prénom Jay vient de Gastby, le magnifique (NDR : le personnage principal du chef d’œuvre de Fitzgerald se nomme Jay Gatsby).

En 1975, vous décidez donc d’enregistrer l’album des Beautiful Losers. Dans quelles conditions ?

Extrêmement minimales, sur un 4 pistes, en 4 jours. Un ami nous prête un castelet. Nous sortons parfois dans la gadoue pour acheter nos cigarettes, en pantalon rose. C’est assez… surprenant, je pense. Nous avons tout de même amené une batterie car la première mouture de The Beautiful losers était très électrique, très New-York Dolls, Stooges, Velvet underground… Mais nous réalisons finalement que l’énergie ne passe pas à l’enregistrement. On opte donc pour une version « sopor »  , comme nous disons à l’époque, pour « soporifique » car tout le monde prend des Mandrax, des valiums. Bien sûr, la face B de Berlin de Lou Reed est déjà une grande influence pour moi en matière d’acoustique, même si les guitares sont somptueusement enregistrées dans ce disque par rapport à notre prise de son.

Cette face B pourrait être une sorte de maître étalon du « sopor »…

Oui (rires), c’est une référence dans le genre, en effet.

On imagine vaguement la France de cette époque qui ne devait pas avoir beaucoup de point commun avec le Londres glam. A l’écoute de l’album des Beautiful Losers, je me suis dit que vous deviez vous sentir complètement seuls en faisant cette musique.

Totalement. Un an plus tard, les Frenchies sont arrivés. Ils étaient très Dolls, je les aimais beaucoup d’ailleurs. Mais sinon, nous étions en pleine période Triangle, prog-rock, Martin Circus première période… Ce n’était pas ma culture. Avant eux, j’ai beaucoup aimé Dutronc qui était plus proche des Kinks. En effet, nous sommes seuls, nous parlons musique entre amis, nous jouons surtout dans notre chambre. Bizarrement, il existe très peu de photos de ces moments. Aujourd’hui, nous aurions sans doute des centaines de clichés de nos répétitions mais, à l’époque, quasiment rien. Nous ne faisons pas de concert, nous nous contentons d’enregistrer cet album.

La presse le remarque tout de même.

Oui, nous avons quelques articles dans Rock&Folk, Best et surtout un dans le New Musical Express. Le journaliste ironise sur notre accent mais reconnaît qu’il y a de bonnes choses. Evidemment, nous sommes incroyablement fiers.

Puisque nous parlons de chroniques, élucidons un mystère. Il paraît que l’album des Beautiful Losers trône sur la cheminée d’Yves Adrien. Qu’est-ce à dire ?

L’amie de Christophe à l’époque, Marie, rencontre Marc Zermati. Il lui dit : « Yves a l’album, il est sur sa cheminée ». C’ est le moment de la première disparition d’Yves Adrien, avant le retour sous le nom d’Orphan. Il m’écrit d’ailleurs une lettre superbe sur l’album, un texte que je vais conserver 10 ans avant de le perdre.

Que dit cette lettre ?

Eh bien, elle est consacrée au disque. Elle en reconnaît les sources, peut-être les mérites, du moins les préoccupations… mystiques. « Nobody knows the heaven »… Voilà. Dans son style inégalable.

Après plusieurs écoutes, j’ai été marqué par le jeu de basse, complètement à part…

Tout à fait d’accord.  Avec Christophe J – qui tient la basse – nous avons fait beaucoup de musique psychédélique avec de longs morceaux sous influence Jefferson Airplane, Quicksilver Messenger Service, Grateful Dead… On sent l’influence de Jack Casady (NDR : bassiste de l’Airplane) et, bien sûr, de Paul Mc Cartney qui est un bassiste fabuleux. Mais le jeu de Christophe est vraiment unique, très mélodique. D’ailleurs, quand on essaie de jouer avec une batterie, cela ne prend pas vraiment.

Sauf sur la version en groupe de Nobody knows the heaven, présente sur cette réédition. Un grand moment, on rêve éveillé !

Mais c’est postérieur. Il s’agit d’une version enregistrée beaucoup plus tard, en 1993, pour un album qui n’est jamais sorti.

Finalement , en 1975, vous étiez déjà nostalgiques d’un âge d’or du rock : les 60’s psyche étaient terminées, le mouvement hippie épuisé… D’une certaine façon, c’était déjà trop tard, non ?

Oui, je crois. Vous savez, le glam rock, ou glitter rock ou rock décadent comme vous voulez était déjà une re-création des sixties, voire des fifties, de l’âge d’or d’Hollywood.

Que se passe-t-il après la sortie de l’album des Beautiful Losers ?

Le disque sort, nous avons des critiques et puis… rien. Voilà. On se sépare puis l’on se reforme sous un autre nom alors qu’il s’agit exactement des mêmes personnes. L’époque est peut-être moins excitante. Nous sommes en plein pub rock, pré-punk. Je ne m’y retrouve pas totalement. C’est alors que je rencontre celui qui allait devenir Jacques Duvall et que nous nous mettons à écrire pour Marie-France.

Pour le punk, vous pourriez être aux premières loges mais cela ne se passe vraiment ainsi. Pourquoi ?

J’aime beaucoup. J’achète les Damned, les Pistols, les Buzzcocks. Vraiment très bons. Mais, je ne sais pas… D’une certaine façon le décadentisme me correspondait plus que cette approche « prolo anglais au chômage. » Et puis, en même temps que le punk, apparaît le disco. C’est sophistiqué, ça me plait beaucoup. Pourtant, je sors très peu, j’ai dû aller trois fois au Palace à cette époque. Mais cette musique me parle, en tant que fanatique de soul. Encore une fois, c’est ce qui est fantastique dans le rock : tout est lié. Ce qui n’empêche pas de « tuer » ce que l’on a aimé. J’aime beaucoup cette idée. En plein glam rock, j’ai revendu tous mes albums du Jefferson airpalne, quitte à les racheter 10 ans après. On avance comme ça, radicalement. A la fin des années 70, la chanson française se met à m’intéresser aussi. William Sheller ou Michel Berger qui sort un très bel album, Dancing Disco, avec France Gall. J’ai l’impression qu’il parle mieux de l’époque que le monde du rock, finalement, avec une espèce de fraîcheur.  Je sors Tendre est la nuit , album soul. Je rencontre Lio, j’écris pour Plastic Bertrand. L’explosion est consommée début des années 80. Ensuite, entre 1986 et 1994 environ, je passe 300 jours par an en studio, entre mes projets personnels et les différentes productions.

On parle dès lors de « variété »…

Pour moi, il n’existe pas de rupture. J’ai lu sur un  site « Alanski est plus connu pour ses titres de variété que pour les Beautiful Losers, c’est dommage. » Pour moi, il n’y a pas de différence. Quand on enregistre le premier album de Lio, c’est du rock’n’roll, les Shangri la’s, les Ronettes avec un peu de Blondie.

Après plusieurs singles sous votre nom, vous enregistrez en 1989, The price of love, double album hors normes, un gargantua funky et pop dont vous jouez l’ensemble des instruments.

Je mets tout ce que je peux dans ce disque à l’époque, sans aucune retenue. J’enregistre 31 morceaux. C’est un album « à prendre ou à laisser », excessif et bizarrement bien accueilli, qui marche bien. On m’en parle encore souvent.

Je me souviens avoir été sidéré. Outre son ambition, c’est la façon dont vous vous attaquez à la soul, avec le morceau The price of love qui laisse bouche bée. Je veux dire, blanc, Français… il fallait oser.

Oui, tout est contre moi, tout est « à côté ». Parfait ! Allons-y ! (rires) J’en fais beaucoup à la voix, non ? Mais… j’y vais.

Et vous tournez pour The Price of love ?

Non, pas du tout, je déteste ça. Ca ne m’intéresse pas du tout. Pour moi, la fabrication d’un disque reste la chose la plus fascinante : rentrer dans un disque, rentrer dans une tête. C’est peut-être pour cela que mes LP sont si excessifs.
L’album suivant, Honey on a razor blade, pour lequel je commence par enregistrer 40 morceaux, n’aura pas le même destin. FNAC Music ferme peu après sa sortie. C’est une pilule difficile à avaler. J’aime beaucoup ce disque qui a sans doute des défauts, qui est marqué par son époque, un côté Prefab Sprout, un son. Après cet échec, je me dis : « c’est ainsi, je n’y arriverais pas en tant que chanteur ». Et puis la fatigue commence à peser. Parallèlement, je produis beaucoup de gens, les titres avec Jil Caplan marchent bien. Je finis mon disque allongé dans le studio, complètement lessivé. Pour me guérir de l’aventure Honey on a razor blade , j’enregistre un album dans les conditions du live, très « loureedien ». Nous sommes en 1993, il ne sortira jamais.

Comment vous orientez-vous ensuite vers une musique instrumentale, plus « french touch », sous le nom d’A reminiscent drive ?

Nous sommes au moment du deuxième été de l’amour en Angleterre avec des groupes comme Primal scream. Personnellement, j’ai toujours aimé la musique synthétique comme Kraftwerk, le disco aussi, donc il me semble assez naturel de creuser dans cette direction. Surtout, je quitte les grands studios, je prends un 8 pistes à cassettes et j’enregistre.

Mercy street estampillé « french touch », electro, lounge et que sais-je encore, sorti chez F-com pour couronner le tout, a été enregistré sur cassette ?!

No computer on this record. Quand les gens de la maison de disque voient mon studio, ils n’y croient pas. Et puis, je joue les instruments qui sont sur l’album. Une séquence de synthé, aussi simple soit-elle, je la joue en entier, à la main, ce n’est pas une boucle. Les artistes de l’électronique ne sont pas habitués à cela, ils ne jouent pas. Cela s’entend. Je m’immerge totalement dans la house de Detroit, DJ Shadow, Aphex twin je sors de nombreux EP. Le deuxième disque, Ambrosia, reçoit un bon accueil. Mais, assez vite, on sent venir la fin des haricots pour cette musique. Les types ont leur uniforme, leurs t-shirts, leurs pantalons larges, leurs Adidas. Boring. Pour le disque d’après, Les yeux crevés, je réinsère la voix.

Actuellement, vous travaillez sur un album ?

Oui. J’ai un projet en collaboration avec une chanteuse. Le rôle du pygmalion a déserté l’univers de la musique. Aujourd’hui, les artistes sortent leurs morceaux sans forcément les confronter à une autre personne, sans prendre le risque ou saisir la chance de bousculer ce qui a été écrit à l’origine. C’est pourtant essentiel dans l’histoire de la pop, le rôle du pygmalion.

Et un projet personnel, un nouvel album de Jay Alanski ?

J’en ai terminé un mais que je voudrais sortir sous un autre nom. Je peux vous faire écouter un morceau si vous voulez. Peut-être pouvez-vous couper votre magnéto ?

Oui.

Jay Alanski & The Beautiful Losers // Nobody knows the heaven // Martyrs of Pop (Réédition)

13 commentaires

  1. je cherche a recontacter jay Alanski que j’ai rencontré en 95 dans son studio pour lui faire écouter une maquette.pourriez vous m’envoyer son numéro de téléphone ou lui communiquer mon adresse mail.mille merci cordialement

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