Dans le milieu des salles labellisées SMAC, et crise oblige, l'heure est aussi aux coupes budgétaire. Question : comment continuer à proposer une programmation financée par l'argent public et malgré tout pointue, lorsque la pression politique s’invite dans un domaine qu’elle ne maîtrise pas ? Être une SMAC en France, ou la difficulté de devoir plaire à tout le monde. L’exemple du Temps Machine à Joué-lès-Tours, avec Fred Landier, programmateur du lieu.

0eg1rISoaPCommençons par la définition du Larousse. Une salle labellisée “SMAC” – Scène de musique actuelles – dans le jargon du ministère de la Culture, c’est un lieu qui – attention accrochez-vous – “répond à un projet artistique et culturel adapté à la diffusion des musiques électro-amplifiées et conçu pour l’accueil d’activités professionnelles et de pratiques en amateur à destination du public.” Évidemment, pour prétendre et garder ce titre, un lieu doit répondre à un cahier des charges précis afin d’assurer sa mission de service public. Gonzaï est allé demander l’avis d’une vieille connaissance : Fred Landier (aka Rubin Steiner), musicien passé dans nos soirées et programmateur de l’une de ces Salles de musique actuelles, dont on peut dire qu’il n’a pas la langue dans sa poche.

A Joué-lès-Tours, c’est à lui d’accomplir la lourde tâche de remplir les grilles de l’agenda du Temps Machine, salle de concerts estampillée SMAC, dans la région Centre. Ouvert depuis presque quatre ans, Le Temps Machine et ses six cents places ont vu passer Baxter Dury, Aquaserge, Jessica 93 ou encore Zombie Zombie. Et encore, c’est pour les noms les plus « mainstream ». Sinon, Le Temps Machine organise des soirées avec des artistes et personnalités encore plus obscures, comme avec cet hommage à Moondog ou Jaki Liebezeit (qui ?), le batteur allemand de Can (qui ?). Le tout servi dans un joli programme aux airs de beaux fanzines où Fred Landier, en plus de prendre position, prend aussi la plume. De quoi en dérouter plus d’un. L’année dernière, lors des élections municipales, la SMAC de Joué-lès-Tours est devenue une sorte d’argument électoral. Montrée du doigt, la salle coûterait trop chère, sa programmation ne serait pas assez accessible et les sièges ne seraient pas pris d’assaut. En réponse à ces attaques, Fred Landier démonte les clichés et raconte de l’intérieur sa mission dans une SMAC.

Le Temps Machine, lieu de découvertes ?

Fred Landier : « Il y a cette idée de précurseur, de chasse à la découverte, toujours très différente selon l’état d’esprit des directions et des programmateurs. On parle de goûts, d’esthétique, c’est assez difficile de juger. Je reste persuadé que toutes ces SMAC qui se fondent sur un cahier des charges identique, lissent un peu leur programmation, un mélange entre le top 10 des Inrocks et trois-quatre noms des Victoires de la musique. Pas bien défricheur au bout du compte. J’aimerais que les SMAC redeviennent des endroits singuliers, qui proposent une vision particulière des musiques actuelles. Revenir à plus d’humanité et se rappeler que les salles et festivals marquants ont toujours été associés à un nom de directeur, de programmateur ou à une équipe particulière. C’est difficile de plaire à tout le monde et tout le temps. C’est en plus difficile de prévoir ce qui va plaire. Ce sont des paris, des parti-pris. »

Lorsqu’on va au cinéma, on n’a pas vu le film avant.

Le Temps Machine, une prog’ élitiste ?

Fred Landier : « On est souvent attaqué sur une histoire (fantasmée) de programmation pointue, élitiste, bobo-ultra gauche tout ce que tu veux… Alors qu’on a toujours considéré que l’argent public devait servir à défendre l’art non-rentable. A partir de là, on a essayé de faire la différence entre la culture commerciale et la culture underground. En essayant de défendre la culture underground, de ne pas faire profiter de l’argent à de gros tourneurs ou des gros groupes qui, quoi qu’il arrive, se font de l’argent dans des concerts. On reste persuadé qu’on défend une mission de service public, même si ça peut paraître un peu paradoxal avec un esprit rock’n’roll. Il y a cette idée que le rock vient des caves, des squats, d’un esprit do it yourself… Mais on se retrouve à devoir jongler avec les sous du contribuable. On doit donc avoir des résultats en termes de fréquentation. Avec Le Temps Machine, on fait en sorte que l’accès à la salle ne soit pas cher : les prix d’entrée sont très accessibles et on essaie de proposer une programmation la plus diverse possible en termes d’esthétisme musical. Alors oui, après il y a des choses qu’on ne connaît pas. Mais j’ai envie de dire que lorsqu’on va au cinéma, on n’a pas vu le film avant. »

Le Temps Machine, ça coûte cher ?

Fred Landier : « Lors des dernières élections municipales, le coût du Temps Machine est devenu une sorte d’argument électoral un peu tiré par les cheveux. Il était de bon ton de dire que ça coûtait cher, histoire de cliver un peu plus les gens, jusqu’à se demander si Le Temps Machine valait le « coût ». Puis la presse locale a joué le jeu et a demandé à la population de se positionner pour ou contre Le Temps Machine. On se retrouve alors à devoir choisir son camp sur la culture, ce qui a été assez difficile à avaler. »

Rubin-Steiner

Le Temps Machine, lieu de pression ?

Fred Landier : « Remplir la salle, du point de vue des politiques, ce n’est pas tant pour gagner des sous, mais pour faire plaisir aux gens. Il faudrait que ça touche tout le monde, car c’est un équipement qui fonctionne grâce aux impôts. Mais moi, je ne vais jamais à la piscine ou à la patinoire et mes impôts les financent aussi. Stromae a fait la couverture de La Nouvelle République lorsqu’il est venu jouer au Grand Hall à Tours, devant plus de 12 000 personnes. Tout le monde était content selon le journal. Comme si tout le monde était fan de Stromae ! Avec Le Temps Machine, on a vocation à proposer le meilleur aux gens passionnés… De la même manière qu’une piscine doit être adaptée à la compétition de haut niveau même si tu y vas seulement pour faire trempette avec tes gamins. »

Lou Doillon ou Dominique A nous ont effectivement permis de blinder la salle. Mais ces spectateurs ne sont jamais revenus

Le Temps Machine, lieu d’insatisfaction ?

Fred Landier : « C’est sûr, on ne peut pas rendre tout le monde content. On préfère l’idée de défendre quelque chose à fond plutôt que de représenter un peu tout, de manière succincte, molle et anecdotique. On est toujours ravi quand des groupes qu’on a programmés deviennent connus. Mais on est aussi content que des groupes et des tourneurs qui sont peu ou pas en contact avec d’autres SMAC puissent jouer au Temps Machine, parce que très souvent ça leur permet de boucler des tournées. On est toujours du côté des petits, on préfère défendre ceux qui en ont besoin parce qu’on fonctionne avec de l’argent public. Les rares artistes un peu grand public qu’on a pu programmer, comme Lou Doillon ou Dominique A, nous ont effectivement permis de blinder la salle. Mais ces spectateurs ne sont jamais revenus. »

Le Temps Machine, lieu de rencontres ?

Fred Landier : « On a malgré tout cinq cents abonnés qui viennent régulièrement, qui sont curieux et veulent découvrir des artistes qu’ils ne connaissent pas. Et lorsqu’on voit que Jessica 93 fait la couv’ de Noise, on se dit qu’on ne s’est pas trop planté, que ça touche d’autres personnes et qu’on n’est pas les seuls à aimer ce style de musique. En tant que musicien, j’ai eu envie de faire de la musique en allant à des concerts. Puis j’ai eu envie d’organiser des concerts, d’écrire sur la musique, de faire de la radio… C’est aussi ça qu’on fabrique : un lieu de rencontres pour les passionnés. On a aussi le boulot d’actions culturelles : il y a des locaux de répétition, et même si tous les groupes de la région n’ont pas joué au Temps Machine, beaucoup sont venus faire des répétitions ou des filages. »

http://letempsmachine.com/

8 commentaires

  1. Peu, voire pas, de réflexion sur « les pratiques en amateur » qui, d’après le décret de création des smac, favorisent le lien social.

    1. C’est normal puisqu’est interrogé ici le programmateur et non le chargé des relations publiques ou de l’action culturelle….

  2. Excellent article !.. qui traite d’une « vieille question » qui ne fait que s’aggraver… pourtant, cela laisse entendre qu’on a le choix qu’entre un programmateur « transparent » qui suit les prescription du marché (les Inrocks en l’occurrence) ou une « personnalité forte » (ou équipe) qui imprime son identité qui fait découvrir tout en se faisant plaisir… le mainstream ou le chef éclairé.
    Et si le public (potentiellement passionné) était associé ? Et si la multitude désirante en quête de nouveauté était, grâce aux nouveau média, le meilleur vecteur pour équilibrer exigence artistique, identité territoriale et service public ?

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