phonica
Shit Robot, Henrik Schwarz, Nick Curly, Christian Prommer, Jennifer Cardini… Toutes les couleurs de la house qui a de la gueule se retrouvent une fois encore dans Gonzaï. Comme d’habitude, on fait un point sur les sorties marquantes de ces dernières semaines, albums et compilations.

shitrobotwegotaloveShit Robot – « We Got A Love » (DFA)

Le nouveau Shit Robot ! Peut-on rêver plus noble entrée en matière pour cette rubrique ? New-York, la nuit, l’amour, la house : tout est là, lové au cœur de ce disque chaud comme une aisselle de drag-queen sous cacheton. C’est que, à l’instar de ses copains James Murphy et The Juan MacLean, les deux autres quadras dépositaires de l’esthétique DFA, Marcus Lambkin n’a pas son pareil pour encapsuler l’esprit d’une époque (celle qui vit les grandes heures de la musique électronique noire-américaine), l’humeur d’un lieu (ce prototype éprouvé de club où tous les croisements, artistiques, sexuels, raciaux, sont imaginables). On en avait déjà eu une brillante démonstration sur son premier album (« From The Cradle To The Rave », 2010), en voici la suite, tout aussi remarquable, trouvant le juste point d’équilibre entre sonorités analogiques et instrumentation live (nombre de musiciens « maison » viennent donner un coup de main ici et là). En détails, et loin de l’imagerie post-punk à laquelle on a trop longtemps associé DFA (vraisemblablement du fait du passif de ces gens-là), Shit Robot rend hommage à la dimension « club » du label, la seule qui ait vraiment du sens en fin de compte. C’est parfois électro, parfois disco et parfois franchement house, mais c’est souvent un peu tout cela à la fois, et c’est ce qui rend chacun de ces neuf morceaux absolument identifiables, comme marqués au fer rouge du tampon Death From Above. Bref : c’est hybride, c’est rough, unique et universel à la fois, et c’est ce qui fait que DFA continue à être passionnant douze ans après ses grands débuts.

Henrik Schwarz – « House Masters » (Defected)

HenrikSchwarzHouseMastersChangement de registre : on passe à l’école allemande, tendance « plus deep que moi tu creuses ». Dans le genre, les sociétaires du label berlinois Innervisions – Dixon, le duo Âme et donc Henrik Schwarz – ont placé la barre très haut, se focalisant davantage sur le sens premier de cette terminologie (décollage immédiat vers les profondeurs de notre espace temps) que sur son acceptation plus courante et aux contours flous (une house dont on ne sait plus très bien si elle est « authentique » ou totalement aseptisée, selon qui s’en revendique et la manière avec laquelle elle vient vous caresser les lobes). Henrik Schwartz, lui, a parfaitement compris qu’une fois encore, tout était question d’équilibre : son travail de production associe de façon extrêmement musicale des éléments abrasifs à d’autres qui sont, à l’inverse, ouatés au possible. Sur une base rythmique qui pulse ostensiblement, ce choc des contraires engendre des moments d’une beauté stupéfiante : les sons semblent tournoyer sur eux-mêmes, les attaques de clavier se voient lézarder par des solos parfois proches du free-jazz, et tout cela n’en finit pas de monter jusqu’à ce que vos pieds aient succombé à l’attraction des astres. Henrik Schwartz produit exactement le type de musique que son compère Dixon joue dans ses sets : voilà qui résume le potentiel ascensionnel de ses remixes, domaine dans lequel il a construit sa réputation. Or donc, après un « live » brillant sorti en 2007, se faisait logiquement attendre une compilation de ses plus belles œuvres. La voici, et si elle n’apprendra rien aux aficionados de la première heure (qui ont déjà tout en fichiers numériques), elle renseignera les plus novices sur les temps forts de ce singulier travail de relecture (et il y en a : Mari Boine, Code 718, Omar, Stateless…)

Nick Curly – « In The House » (Defected) V/A – « Defected In The House Miami 2014 » (Defected)

nickcurlyinthehouseLe cas Nick Curly. Fer de lance de la scène « deep » de Mannheim, vers laquelle les regards étaient tournés il n’y a pas si longtemps, patron des labels 8bit et Cécille, et auteur il y a deux ans d’un magnifique premier album passé inaperçu (« Between The Lines »). Le genre de type pour lequel on serait prêt à s’abandonner corps et âme, tant l’esthétique qu’il défend globalement dans son travail est élégante, épurée, allemande. Sauf que voilà : avec le temps, il y a comme un truc qui coince. Comment définir ça ? A quoi ça tient ? Peut-être que, justement, à force de creuser le même sillon, de ne pas sortir des sentiers balisés de cette house un peu trop confortable, Nick Curly ne surprend plus. Peut-être aussi que, à empiler des compilations mixées sans grand relief, comme celle qui nous occupe aujourd’hui, l’Allemand ne rend pas vraiment service à la musique qu’il est sensé défendre, et qui n’est pourtant pas mauvaise au demeurant. Alors voilà : si sa participation à la série initiée par le label Defected était en soi riche de promesses (Osunlade, Gilles Peterson ou Loco Dice y sont notamment passés), elle s’avère au final, sur deux disques et autant d’heures perdues à y avoir jeté une oreille, désespérément plate. Le même genre de set en club, passe encore, mais s’envoyer ça à la maison, aucun intérêt. C’est d’ailleurs toute la limite des compilations mixées publiées par Defected, le mastodonte anglais qui se plait régulièrement à inonder les bacs de séries thématiques plus ou moins vaseuses (« Miami 2014″, donc). Au risque de se répéter, vendre une compilation de ce type, ça se mérite. Et refourguer de la house au kilomètre n’est sans doute pas la meilleure des options à prendre, qui plus est quand elle fait le grand écart entre underground et putasseries plus mainstream (une tendance qui s’accentue).

Christian Prommer – « Übermood » (Compost)

christian-prommer-übermoodTiens ! Un revenant. Ou plutôt, l’une de ces figures de l’ombre qui n’a jamais vraiment quitté la scène, mais qui ne se décide qu’aujourd’hui à en occuper le devant avec ce premier long solo… en vingt ans d’intense carrière. Christian Prommer est un musicien extraordinaire. Problème : trop peu de gens sont au courant. Pourtant, ce pilier discret de l’écurie munichoise Compost a travaillé avec tout ce que feu la scène « computer jazz » (comme aimait à se définir Compost) compta de talents. Tâchons de ne pas faire trop long : débuts drum’n’bass avec Roland Appel (Fauna Flash), tous deux bientôt rejoints par Rainer Trüby dans un déluge de percussions (Trüby Trio), lui-même remplacé ensuite par un Peter Kruder sans Dorfmeister (Voom:Voom), puis travail de relecture des classiques techno avec un collectif largement tourné vers l’improvisation (Christian Prommer’s Drumlesson – le mec est batteur de formation), co-production du dantesque album de Dj Hell (« Teufelswerk »), co-signature d’un album avec Alexander Barck de Jazzanova (le merveilleux « Alex and The Grizzly »)… Stop ! N’en jetez plus (car il n’y a rien à jeter). Il est impératif de redécouvrir l’œuvre de l’Américain dans ses plus grandes largeurs, elle est d’une précision et d’une inventivité rythmique incroyables, et possède en plus de cela une réelle appétence pour la narration (voire par endroits une certaine dramaturgie). Enregistré un peu partout au fil de ses bookings, « Übermood » ne déroge pas aux canons de cette house quatre étoiles, toujours aussi moderne, ciselée par un orfèvre que l’on imaginerait presque composer avec des gants blancs. Souhaitons-lui le champagne et les cotillons, parce que tout de même, quelle élégance.

V/A – « Correspondant Compilation 02 » (Correspondant)

CorrespondantCompilation02Joli parcours que celui de Jennifer Cardini. De ses débuts en tant que relais de l’école « minimale » allemande (avant même que ce terme ne fasse officiellement son apparition) aux liens étroits qu’elle entretient depuis longtemps avec l’emblématique label Kompakt, sans oublier la période phare du club lesbien Le Pulp (où elle contribua en son temps à l’émergence de la mouvance électroclash), elle a été l’une des premières à conférer à la techno un visage féminin en France. Enfin, « techno »… C’est pour dire les choses rapidement. Car la Niçoise, désormais installée à Cologne mais indissociable de la nightlife parisienne, est avant tout une passionnée de musiques électroniques dans leur acceptation la plus large, et cela court de Depeche Mode jusqu’à Basic Channel. Avec à chaque fois cette constante dans son parti pris esthétique : une forme de romantisme glacé, d’envoûtement anthracite, qui se sont affinés au fil des ans dans son travail de DJ, productrice, et donc, de directrice artistique. La nouvelle compilation de son label Correspondant, qui fait écho à sa résidence de longue date au Rex, en témoigne encore une fois brillamment. Douze titres inédits pour autant de signatures différentes, majoritairement en devenir (seuls quelques-uns tels Kasper Bjorke, Geoffroy Mugwump ou The Asphodells sont déjà « installés »), mais une même exigence musicale, située à la croisée de l’électro, de la house et de la nu-disco (certains utilisent le terme de « slow-house ») avec quelques traces de post-punk distillées ici et là. C’est sobre, élégant, assez proche de ce que sortent les labels Astrolab et My Favorite Robot, et typiquement le genre de musique que peut jouer Andrew Weatherhall dans ses sets, ce qui n’est évidemment pas un mince compliment.

Tensnake – « Glow » (Mercury)

tensnakeglowSouvenirs, souvenirs : en 2006, DJ T, éminence grise du label Get Physical, mixe le deuxième volet de sa série de compilations mixées « Body Language ». Sa structure est alors au top, la compilation est fantastique, et quelques-uns des artistes tracklistés attirent l’attention sur eux, dont un certain Tensnake. Le morceau s’intitule « Around The House », c’est une petite bombe typique de l’esthétique boogie-house sous perfusion 80’s défendue par DJ T : début de la love story. Plusieurs maxis suivent sur des labels indé qui comptent (Running Back, Permanent Vacation, Endless Flight…), comme « Holding Back My Love », « In The End » et bien sûr « Coma Cat », celui de la consécration. A partir de là, tout s’emballe, Tensnake devient bankable. Et ceci nous amène aujourd’hui à la sortie de ce premier album… sur une major. Alors évidemment, on aurait pu craindre que le natif de Hambourg nous ponde une grosse bouse qui n’ait plus grand-chose à voir avec sa choucroute, un produit calibré pour les grosses stations FM, vaguement discoïde, amputé de sa substance originelle, et édité sur des formats radio friendly de 3 minutes 30. D’autant qu’avec un titre et une pochette pareils, on pouvait s’attendre au pire… Eh bien ça n’a pas raté : Tensnake vient effectivement de commettre l’un des plus beaux ratages de 2014, un horrible ersatz surproduit avec Nile Rodgers en featuring (la bonne blague), qui aimerait bien singer le Prince électro-funk des débuts, mais sonne au final comme le pire de Chromeo et Breakbot réunis. Fin de la love story.

V/A – « 10 Years Of Phonica » (Phonica)

10yearsofphonicaOn termine en tâchant de relever le niveau avec une très belle compilation, qui vient célébrer les dix ans du magasin de disques londonien Phonica. Basé au cœur de Soho, celui-ci est devenu au fil des ans une référence pour les amateurs de musiques électroniques dans toute leur diversité, de la house à l’électro la plus pointue en passant naturellement par le dubstep (cette gloire nationale). Aujourd’hui, Phonica ne se contente plus de vendre des disques à domicile : il en envoie aux quatre coins du globe via son webstore, gère plusieurs micro-labels sous sa coupe, et organise des soirées aux line-ups bien sentis. Le présent objet, triple (33 morceaux inédits composés pour l’occasion), vient nous rappeler tout le bon goût de ces gens-là : on y croise Joe Claussell, In Flagranti, Trevor Jackson, I:Cube, Joakim, Mr G, Four Tet, Roman Flügel… Beaucoup de house donc, mais pas seulement, puisque bon nombre d’artistes inconnus au bataillon viennent leur voler la vedette en s’aventurant dans des trucs plus barrés, italo, lents, funky, rugueux, atmosphériques (complétez à votre guise). Vous pouvez y aller les yeux fermés, tant que les oreilles ne suivent pas le même mouvement.

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