Diantre ! Gonzaï récidive avec sa rubrique consacrée aux sorties house sur le format long. Mais pourquoi tant d’amour ? Et surtout, pourquoi faire ?

Dans le désordre et dans la liesse de l’instant : vous écoutez de la house parce que toutes les bonnes choses ne s’arrêtent pas nécessairement. Vous n’écoutez pas de house parce que ce n’est pas de la musique. Vous écoutez de la house car votre corps s’exprime très bien tout seul, merci. Vous n’écoutez pas de house car vous n’avez plus l’âge de sortir en club. Vous écoutez de la house parce que vous êtes nés bien après la disco. Vous n’écoutez pas de house puisque la drogue, c’est vraiment plus ce que c’était. Vous écoutez de la house parce que ce soir, c’est Palace chez vous. Vous n’écoutez pas de house parce que ce n’est pas Gonzaï du tout. Ah oui ? Haters & lovers, unissez-vous ! Et prenons ensemble le pouls de l’actualité.

John Talabot – « Dj-Kicks » (!K7)

1209306_10151841203956670_32590715_nQue doit-on attendre d’une compilation mixée disponible dans le commerce, à l’heure où les podcasts pullulent et où n’importe quel Dj peut vous faire écouter son œuvre sur Soundcloud ? Réponse : que celle-ci s’élève au-dessus des débats, et vous emmène beaucoup plus loin. De John Talabot, on a beaucoup parlé l’an dernier, peut-être même un peu trop : cité régulièrement comme l’un des meilleurs de 2012 dans son registre (hybride : entre house et pop, tonalités baléariques ou plus ombrageuses), son premier long format avait certes de quoi plaire sur la forme, mais manquait décidément trop de substance pour s’imposer comme le classique décrit ici et là (par excès de zèle ou manque de recul, c’est selon). Placé depuis en orbite, booké un peu partout, contacté par la maison !K7 pour apporter sa pierre à l’édifice « Dj-Kicks » (l’une des trois plus importantes séries de compiles mixées ever), John Talabot était donc attendu au tournant. Alors ? Le Barcelonais n’a pas failli : son mix, panoramique et cotonneux, est un long trip sensoriel qui donne enfin de la cohésion à des influences très diverses (et loin d’être connues du plus grand nombre, ce qui est toujours engageant). Le tempo est lent, monte très progressivement, charrie avec lui des flots d’images pour qui prendra le temps de s’attarder au casque sur la chose. Ici plus que jamais, ce n’est pas tant le beat, le « pied » qui importe : c’est tout ce qui se passe autour. A ce niveau-là de sérénité, il est d’ailleurs presque hors propos de parler de « house », tant le voyage se suffit à lui-même.

Compilation : « Selected label works 4 » (Permanent Vacation)

217554John Talabot, donc, sortait l’an dernier son album sur le label munichois Permanent Vacation. Celui-ci est l’un des plus élégants du moment, il draine dans son sillage le gratin des scènes deep-house et nu-disco (perméables à souhait) et s’est encore distingué il y a quelques mois en publiant le premier long de l’Irlandais Mano Le Tough (qui a monté la barre d’un cran avec une maitrise de la production proprement sidérante). La présente compilation fait le point sur deux ans de sorties au format maxi, réparties sur deux disques où il n’y a pas grand chose à jeter (moins en tous cas que sur le précédent volume, très inégal). Au casting des artistes ici invités à croiser le fer : Dixon, Chateau Flight, Arto Mwambé, Tensnake, Maxxi Soundsystem, Tiger & Woods… Bigre : cette maison a décidément du goût.

Deetron – « Music over matter » (Music Man)

deetron-music-over-matterC’est une affaire entendue : aligner une collection de tracks ostensiblement destinés au dancefloor, aussi brillants soient-ils, ne fait pas pour autant un album house digne de ce nom. Pour éviter de tomber dans ce piège récurrent, mieux vaut varier les ambiances et la cadence. Ou alors… Il faut s’appeler Deetron. Actif depuis une quinzaine d’années, celui-ci a un peu le même statut en Suisse qu’Agoria en France : un nouveau mètre-étalon de la house et de la techno, branché sur le canal historique mais foncièrement tourné vers les nouvelles technologies, technicien virtuose des platines (il en utilise généralement trois dans ses sets) et producteur de plus en plus coté. Bref, le genre à faire autorité par sa vision à 360° du métier, à la fois fédératrice et pointue. Deetron, donc, transforme quasi systématiquement tout ce qu’il touche en or, pour son compte mais pas seulement, et il a pris le parti pour son deuxième album d’enfiler pas moins de douze titres potentiellement radioactifs en club. Sa recette ? Imparable : des vocalises garage, un tempo élevé, des attaques de clavier corrosives, et c’est à peu près tout. Le groove félin de la house combiné à la puissance de frappe de la techno. Si la mécanique est donc toujours un peu la même tout au long de ce disque, force est de reconnaître à Deetron une signature instantanément identifiable, d’autant qu’il a su s’écarter de la monotonie prévisible en s’adjoignant les services de featurings de choix : Seth Troxler, Hercules & Love Affair, Ben Westbeech, Ripperton… Pan ! Voilà pour vos guiboles, et s’il vous faut encore vous assurer des fulgurances du bonhomme, ne pas hésiter à se ruer sur sa contribution aux compilations mixées Balance (un must).

Booka Shade – « Eve » (Embassy One)

Booka-Shade-EVE-Packshot-low-resAïe… Et c’est le moment où tout bascule. Ce moment précis où le musicien manifeste le désir de passer de l’autre côté, là où il est possible de séduire un auditoire moins tatillon sur la marchandise. Pour Booka Shade, tout avait pourtant bien commencé : longtemps, ces deux-là furent les architectes du « son » Get Physical, l’un des labels house les plus sexy de la dernière décennie, basé comme il se doit à Berlin. Pour la faire courte, eux excellaient dans la production, travaillant pour une bonne partie des artistes du label, co-signant des remixes impeccables (Roxy Music, Laurie Anderson, Rockers Hi-Fi…), tandis que leurs associés dans l’histoire (M.A.N.D.Y et Dj T) se partageaient la direction artistique et prêchaient la bonne parole house aux quatre coins du globe. Les deux premiers albums du tandem (« Memento » et « Movements »), toujours fantastiques à la réécoute, attestent de cette période faste qui les a vus moderniser une grammaire antédiluvienne en se servant des acquis de l’école « minimale » (qui commençait alors sérieusement à sentir la chaussette). Et puis… Conscient de son potentiel d’usine à hits, Booka Shade s’est mis progressivement à élargir son champ d’action, en enregistrant des choses plus downtempo, plus arrangées, plus anecdotiques (rayez la mention inutile) mais en tout cas de plus en plus amputées de leur « touché » originel. Leur présent et cinquième album, « Eve », résonne un peu comme l’aboutissement de cette lente dérive vers la tentation mainstream. Ce n’est pas qu’il soit si mauvais : on y retrouve un certain savoir-faire (basses enveloppantes, sens de la narration et des ambiances), et l’ensemble s’avère bien équilibré. Mais tout, de la rupture avec Get Physical aux trop nombreux gimmicks « on chille à Ibiza » présents sur le disque, en passant par cette atroce pochette qui nous renvoie aux pires heures de la trance, indique que Booka Shade a définitivement quitté l’underground pour rejoindre des cieux plus cléments. Ce n’est pas condamnable en soi, mais ça se paie toujours d’une façon ou d’une autre.

Azari & III – « Body language vol.13 » (Get Physical)

0884463571716_600Puisqu’on parle de Get Physical, qui continue de sortir régulièrement des choses même s’il se fait aujourd’hui logiquement dépasser par la jeune garde, profitons-en pour nous pencher sur l’ultime volet en date de sa fameuse série « Body Language ». Jusqu’à présent, celle-ci a défendu une vision plutôt moderne de la house, bien que très différente d’un épisode à un autre (de Matthew Dear à Catz’n’Dogz en passant par Dj Hell, il y a quand même de la marge). Portée par le retour en force des sonorités analogiques et du revival 90’s, la voici qui laisse les commandes au duo canadien Azari & III, eux-mêmes adeptes de la relecture des grands fondamentaux du genre. Une bonne idée ? Pas tant que ça : si les deux zigues sont intouchables sur le plan de la production, ils n’en va manifestement pas de même quand ils s’emparent des platines. Désireux de pointer les liens entre producteurs contemporains (Daphni, Barnt, Scuba…) et historiques (Robert Hood, Plastikman, Acid Junkies…), ce mix n’en demeure pas moins aussi plat qu’une radiographie de raie manta. Rabattez-vous plutôt sur le premier album des intéressés (sorti il y a deux ans), hédoniste et camp à souhait, parfait de bout en bout.

Compilation : « Acid Arab collections » (Versatile)

acid-arab-collectionsOh l’idée périlleuse : associer l’acid-house et la musique traditionnelle orientale. Sur le papier, de quoi flanquer une frousse de tous les diables : le oud et la TB-303, les sirènes et les youyous, laï-laï-laïciiiiiiiiid, ouille. Dans certains pays du Moyen-Orient, on procède à des exécutions publiques pour moins que ça. Oui mais voilà, ce projet pensé et promu comme très homogène (la rencontre de deux musiques « de ghettos » – sic) ne sort pas de n’importe où. Créé il y a une année tout juste par Guido Minisky et Hervé Carvalho, plutôt enclins à creuser profond pour y dénicher leur pétrole, il a rapidement fédéré autour de lui une myriade de gens bien, au premier rang desquels on trouve le boss de Versatile (Gilb’R, qui chaperonne). Les deux parisiens ont fait les choses dans l’ordre : afin d’étoffer la matière première de leurs Dj-sets, ils ont commencé par réaliser des « edits » de leurs sélections fétiches, puis ont produit leurs propres morceaux, et enfin demandé à d’autres musiciens (traditionnels ou électroniques) de se joindre au projet. Après deux premiers Eps, voici donc l’album. Premier constat : les horreurs pressenties ne sont finalement pas très nombreuses. Déjà parce que beaucoup des invités ont le bon goût de ne pas envoyer la sauce, l’harissa et le couscous d’un même élan, ralentissant le tempo et ne s’arrêtant pas stricto sensu à la croisade annoncée. Ensuite, parce que certains d’entre eux ont une personnalité musicale tellement forte que le résultat ne peut qu’être particulier. Quand I:Cube, Pilooski ou Etienne Jaumet s’emparent ainsi des codes rythmiques et ascensionnels de la musique orientale, ils dépassent le simple copié-collé transculturel (cette erreur trop répandue) pour propulser le truc dans une autre dimension. C’est bien sûr tout l’intérêt de cette compilation qui offre enfin une place de choix à de jeunes producteurs, dont on retiendra notamment Mattia, le frère cadet de… Joakim. Assurément une grande famille.

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