« Oh, Thin White Plouc, divine créature aux goûts si sûrs, dis-nous ce que tu écoutes en ce moment et nos vies n'en seront que plus belles... ». Voici en substance ce qui revient dans les courriers que je reçois de mes fidèles lecteurs. Comme je ne suis pas chien, je vais consentir à vous dévoiler ce qui passe sur ma platine ces temps-ci, et contribue donc à faire de ma vie une œuvre d'art.

Panier garnier.

Laurent Garnier évoquait récemment la commercialisation future de divers maxis sur des petits labels. Il a mis sa menace à exécution et publie son EP « A13″ – l’autoroute qui relie Paris à Caen – chez Musique Large. La pochette, superbe, est un clin d’œil à celle d' »Autobahn », l’album de Kraftwerk paru il y a quarante ans. On démarre avec Revenge of the Lol Cat, morceau mid-tempo inspiré par John Carpenter qu’on imagine bien introduire ses sets avant de remuer du derche pour de bon. On enchaîne avec, à mon sens, la bombasse du maxi : Wise Words For No Life Guacamoles. La rythmique est funky – j’ai failli écrire syncopée, la honte – et des variations entraînent le morceau dans une inquiétante étrangeté. Je vous aurais bien parlé des deux morceaux suivants mais je remets systématiquement Wise Words...

La sortie de ce maxi fait suite à celle d’« AF 0490 » le mois dernier – encore un nom lié au thème du voyage puisqu’il s’agit du vol Air France qui relie Paris et Chicago (je suis allé voir sur Google) –  plus dancefloor et qu’on a hâte d’entendre bientôt pendant ses mix même si c’est mal barré pour danser des slows. Je serais bien allé à Coachella – Garnier y est programmé – mais qui dit Californie dit jetlag et filles siliconées un peu vulgaires : on se rabattra plutôt sur les Nuits Sonores pour le voir mixer, ça se passe du 28 mai au 1er juin à Lyon. On en reparlera ici-même en ce lieu. Les chanceux iront au Festival Yeah qui réunira – outre le Grand Ordonnateur Garnier – The Married Monk, Baxter Dury, Gramme et d’autres, du 6 au 8 juin à Lourmarin. Pas mal pour un festival qui se veut familial et confidentiel… Espérons qu’il le reste et vivement le prochain maxi !

La sérénade, Williams

« G I R L S » a fait du bruit quand il est sorti début mars parce que Pharrell Williams a du talent en plus d’un grand chapeau en cuir. J’arrive un peu tard pour parler de cet album, que tout le monde espérait « aussi bon que les albums de Michael Jackson », et qui a déjà été évoqué ici. Le soufflé est retombé depuis, peut-être parce qu’on a trop comparé Williams à la statue du Commandeur Jackson, justement.
Si Jackson a inventé un truc en proposant un spectacle total incluant danse, musique, vidéo-clips et frasques extra-musicales (comme les attouchements sur bambins), on ne m’enlèvera pas de l’idée que ses albums étaient trop inégaux pour devenir l’alpha et l’oméga de la pop. J’espère ne devoir jamais réentendre des chansons aussi pénibles que The Earth Song, I Just Can’t Stop Loving You ou l’infâme The Girl Is Mine avec Paul McCartney. La mièvrerie qui s’en dégage amoindrit ses albums et j’ai du mal à comprendre que ces derniers soient devenus l’étalon musical des décennies à venir. Je suis persuadé que l’échec critique relatif qu’a dû essuyer Pharrell Williams est grandement lié à cette comparaison débile qui l’a forcément désavantagé. On ne gagne pas face à un mort, surtout quand c’est Michael Jackson. Et précisons qu’ils ne font pas le même boulot : Williams n’est pas danseur, il écrit des chansons pour lui et d’autres artistes, il produit.
C’est bien dommage parce que « G I R L S » est un disque de bonne facture. Il correspond à ce qu’on était en droit d’attendre de Williams. Quelques titres sont même excellents et feront probablement date : le fameux Happy, trop entendu ces derniers mois et devenu aussi indispensable aux soirées dansantes que Magnolias for Ever et La Chenille. Mais pas seulement : Maryline Monroe, Hunter, Gush sont en passe de devenir le zeitgeist de l’époque, on s’en rendra compte plus tard. L’album s’essouffle toutefois sur la seconde moitié, ce qui n’est finalement pas si grave car l’ensemble est une réussite. On remarquera que le titre le plus faiblard – Gust of Wind – est un pastiche de Daft Punk.

https://www.youtube.com/watch?v=oZrgAJwdvWA

Ce qu’il manque à Pharrell Williams, c’est qu’il fende l’armure. Il est un grand artiste, il est incontestablement brillant, mais il gagnerait à se mettre un peu plus en danger. Williams, c’est le mec qui est beau gosse, de la tchatche et qui plaît aux meufs. Ça n’en fait pas pour autant quelqu’un d’attachant, car tout ce qu’il touche se transforme en or et on aime bien les gens qui se vautrent puis se redressent. Ce qu’on pourrait lui souhaiter, c’est qu’il traverse une épreuve douloureuse – que sa femme le largue comme une merde par exemple – pour qu’il en ressorte grandi et en fasse un super album, à l’instar de Dylan et Peter Hammill en leurs temps qui avaient publié « Blood On The Tracks » et « Over », des disques de mecs blessés par la perte de leur nana. Allez mec, la perfection n’est pas loin : baisse la garde et retire ton costume de personnage de cartoon !

https://www.youtube.com/watch?v=3UTpUUS2pmU

Crânes d’œufs.

bohren_1« Piano Nights » est le huitième album des Allemands de Bohren und der Club of Gore dont la traduction littérale est « Le fait de forer et le Club du Gore ». Les affaires semblent bien mal emmanchées avec un nom de merde pareil, n’est-ce pas ?
Les deux idées qui viennent immédiatement à l’esprit quand on pense aux mots « perceuse » et « allemand », c’est au groupe bruitiste et énervé Einstürzende Neubauten. Attention : les quatre musiciens de Bohren und der Club of Gore ne sont pas fait de ce métal-là, même s’ils sont tous issus de formations punk hardcore. Vingt ans après les débuts du groupe, ils ont des looks d’informaticiens endimanchés un peu dark : jeans et chemises noires, boules à zéro pour déjouer la calvitie, cette salope. Ne manquent que le portable à la ceinture et le badge d’accès à la cantoche autour du cou.

La minute sexy étant passée, parlons musique. Le créneau de Bohren, c’est une musique très calme, très douce, proche du jazz. Elle fait la part belle aux silences et « Piano Nights » ne déroge pas à la règle et reste dans la lignée des albums précédents : leur musique est basée autour d’une instrumentation composée – pour faire simple – de claviers, de saxophone et d’une batterie. Mes rares tentatives pour apprécier leur musique se sont soldées par des échecs. « Black Earth » paru en 2004 a joui d’un succès critique en 2004, mais on n’a guère dansé dessus puisque c’était l’année de Femme Like U de K. Maro. A l’époque, les plages lymphatiques du disque m’ont foutu les glandes et ont glissé sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard : elles ne m’ont guère touché et je n’ai jamais eu envie d’y revenir. Je suis resté totalement hermétique à ce machin et c’est donc circonspect que j’ai entamé l’écoute de « Piano Nights ». Et bien figurez–vous que j’ai passé un excellent moment.
Ce mélange de jazz et d’ambient touche au cœur et j’imagine d’ailleurs très bien les crânes d’œuf de Bohren comme se forçant à être archi-torturés / conceptuels : « Uwe, tu déconnes, tu viens de jouer deux notes harmonieuses d’affilée ! On ne fait pas de pop, on t’a dit ! » On ne passe pas du punk à une musique aussi éthérée par hasard, des salles concerts sentant la binouze aux galeries d’art. C’est de la musique d’ambiance, qui va capter votre attention comme un paysage d’exception attirera votre œil. L’imagination dérive. Les deux albums fondateurs de tout ce bordel sont bien « In A Silent Way » de Miles Davis et « Rock Bottom » de Robert Wyatt, à l’époque ou le post-rock ne s’appelait pas encore ainsi. On n’a jamais fait mieux.
Digressons : quand les quatre zozos de Slayer ont enregistré « Reign In Blood » en 1986, leur producteur Rick Rubin a exigé d’eux qu’ils jouent leurs compositions le plus rapidement possible. D’une quarantaine de minutes, l’album est tombé à 28 minutes avec des BPM atteignant jusqu’à 248 pour la comptine Necrophobic et 210 en moyenne sur l’album. Et bien Bohren und der Club of Gore a fait tout l’inverse : les compositions sont allongées au maximum. Je crois que chaque morceau durerait moins d’une minute s’il était joué à la vitesse normale. Le batteur pourrait aller boire un café et pisser un bol entre chaque moment où il bat la mesure. Je rêve sincèrement qu’ils reprennent l’intégralité de « Reign In Blood », le résultat serait forcément génial et pourrait être commercialisé sous la forme d’un coffret 12 CD. Ce groupe ferait passer les Tindersticks pour les Minutemen. Leur musique froide et austère en apparence réussira à vous toucher pendant ces phases d’introspection propices à la réflexion. En revanche, oubliez l’idée de le passer en soirée pour épater vos potes en leur montrant que vous écoutez de la musique savante. Vous passeriez pour un administrateur réseau neurasthénique. Remettez Slayer, pour le coup.

Perles d’Harbour

Tropic Harbour est le nom du projet de Mark Berg, un multi–instrumentiste canadien d’Edmonton, un bled de la taille de Toulouse où on se caille les miches et où le hockey semble être le seul passe-temps. Un EP parut début février a retenu toute mon attention : « Colour » Si votre adolescence a été bercée par la dream pop, cette musique mélodique aux sonorités célestes et éthérées, il se peut bien que vous soyez sensibles à la musique de Berg. Il nous dit aimer les artistes mus par la passion et ayant une vision claire de leur art: la musique de Tropic Harbour laisse à penser qu’il fait partie de ceux–là et fait penser aux Smiths. Il assume la filiation qu’il explique par son goût pour la guitare et les mélodies : référence solide mais casse-gueule, tant d’artistes médiocres ayant eu le groupe mancunien pour influence tutélaire. L’album de Tropic Harbour sort début mai et vous feriez une belle connerie de ne pas l’écouter : je dis ça sans l’avoir entendu, donc, mais je sais ce que je dis, sur la foi des deux titres existants.

Poissons gobeurs de shit.

Ai-je déjà écrit que j’adore le travail de Voices from the Lake, ce duo transalpin composé de Donato Dozzy et Neel ? Peut-être bien que oui, ici et là. On va me prendre pour un de ces fans hardcore monomaniaques, et il n’y a rien de plus terrifiants que les mecs qui bloquent sur un artiste, en perdent leur clairvoyance et se mettent à collectionner des imports japonais. Je ne suis pas de ceux-là, j’aime plein d’autres choses, je vous rassure, mais ce qui me fout dedans, c’est l’activité débordante des deux Italiens. Fin 2013, Donato Dozzy avait scotché ses fans en publiant un merveilleux podcast techno, parfois ambient. C’est l’enregistrement le plus remarquable paru l’an dernier, tout du moins celui qui a le plus retenu mon attention avec l’E.P. des Flaming Lips, « Peace Sword ». Ce mix rassemble une bonne cinquantaine de morceaux parus ces quarante dernières années, pour la plupart composé par des Italiens : à part Goblin, le groupe de prog-rock qui a notamment composé les BO des films de Dario Argento, il n y a que des inconnus au bataillon. Le résultat est envoûtant, parfois inamical, c’est une musique spatiale qui touche au cerveau. Dozzy crée des climats lancinants qui joueront sur votre humeur. Ecoute-t-on de la musique pour d’autres raisons ?

C’est tellement bon qu’on est allé voir Donato Dozzy mixer fin mars à la Concrete, les soirées technos parisiennes qui se passent dans une péniche. Boîte de graves : même si on était prévenu, le fait de voir des gosses complètement défoncés – chimiquement s’entend – en train de bloquer sur une techno introspective était étrange. C’est une démarche particulière, personne n’aurait idée de prendre de l’acide pour apprécier Aimable et Verchuren. Et bien là c’est pareil. L’ambiance était bizarre du coup, et l’un des amis qui m’accompagnait était d’autant plus fumasse qu’il s’était fait confisquer son shit à l’entrée lors de la fouille par les vigiles. Hop : dans la Seine ! J’espère que les poissons qui nageaient près de l’endroit où la boulette a coulé à pic ont apprécié.

Début mars, ce sont les « Aquaplano Sessions » qui ont été rééditées, fruit de la collaboration de Dozzy avec Manuel Fogliata, dit Nuel, qui ne doit pas être confondu avec Neel. De la techno dure et hypnotique principalement composée en 2008 mais qui aurait pu l’être dix ans avant. La musique qui donne envie d’aller passer la nuit dehors. C’est bien barré et groovy. Comme d’habitude, l’insertion des sons réels donnent une touche naturelle à l’ensemble. Des plages atmosphériques plus calmes assurent les transitions. On croirait entendre les « Selected Ambient Works » d’Aphex Twin en plus speed.

Dans la même veine, un maxi signé Voices From the Lake vient de paraître : trois titres et l’ensemble s’intitule « Velo di Maya EP ». Les gens appréciant peu la techno – ma femme et 98% de mon entourage – trouveront cette musique trop anxiogène alors que j’y perçois des ondes réconfortantes. Plutôt que de proposer des plages entièrement synthétiques, Dozzy et Neel incorporent des sons réels dans leur musique ce qui lui donne un aspect très organique, à la manière de Goldie et Boards of Canada. On y entend des cris, des insectes, des souffles et des tas d’autres trucs… On préfèrera l’écouter en plein air au contact de la nature plutôt que dans un hangar désaffecté radioactif rempli de gabbers. Je n’ai aucune idée de la manière dont ils choisissent leurs samples mais c’est du grand art : vous repasserez pour y trouver de la caisse claire.

Vous êtes allé au bout de cet article, vous êtes sur le point de crever d’ennui ?  Pas de panique, on a gardé le meilleur pour la fin. Il est question ici d’un merveilleux mix de Voices From the Lake toujours, pour vous féliciter de votre pugnacité. A l’inverse des derniers enregistrements évoqués, celui-ci est purement ambient et a été enregistré pour le site http://www.beatsinspace.net. On y trouve des morceaux notamment de Neel, Dozzy, Chris Carter – membre des fêlés de Throbbing Gristle – et de la méconnue Lucette Bourdin, peintre et musicienne française installée en Californie, et décédée il y a trois ans. C’est superbe, inhospitalier par moments et réconfortant à d’autres. L’écoute de ce mix peut faire le même effet que la vision d’Eraserhead ou de la fin de 2001, L’Odyssée de l’Espace : on ressent un trouble physique et on n’a pas envie de rigoler. Les variations sur l’humeur provoquées par la musique sont bien plus présentes qu’avec Patrick Sébastien, curieusement. Ce mix est addictif, je ne me lasse pas de l’écouter et cela fait un bail que je n’avais pas entendu quelque chose d’aussi puissant et perturbant. Retenez qu’il y a moins d’une chance sur dix pour que vous trouviez du plaisir à l’écouter. Le mix se clôt par une interview du duo et l’on entend des vagues enregistrées à San Felice Circeo en fond sonore.

Les parutions estampillées des seaux Dozzy ou Voices From the Lake sont d’une richesse inépuisable, de ces œuvres dont il vous faut des mois pour en saisir les contours. Il paraissait impossible qu’un nouvel enregistrement n’égale la splendeur formelle de « Voices From the Lake », l’album miraculeux paru il y a maintenant deux ans, mais les atmosphères déployées pendant ce mix sont tout aussi remarquables. Mauvaise nouvelle : Neel nous confie qu’aucun album de Voices From the Lake n’est prévu dans les mois à venir.

Gamin, je prenais un malin plaisir à foutre les jetons à mon petit frère en lui passant l’introduction de Pornography, dernière chanson de l’album éponyme des Cure. Ces voix manipulées et déformées faisaient flipper le pauvre gosse  ! « Papa, j’ai peur. » : voilà ce qu’a dit la petite fille d’un ami quand ce dernier lui a fait écouter le mix ambient dont je vous parle. Elle a trois ans. Et bien je vous invite à faire de même avec vos mioches : « Tu ne connais pas ta table du sept ? Et bien tu écouteras deux fois le mix de Voices From the Lake avant d’aller te pieuter dans le noir ! » Vous mettrez toutes les chances de votre côté pour que votre enfant soit un jour lauréat de la médaille Fields. La prochaine fois, je vous parlerai de ma collection de petits animaux morts.

2 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages