Aller voir les ménestrels du 9-3 dans les Hauts-de-Seine, ça ne se refuse pas. Tous les vingt-deux ans, je vais donc voir Bruno Lopes et Didier Morville sur scène, c’est ainsi : avant le live de la Seine Musicale du 8 avril, j’avais assisté à un concert du meilleur groupe français de l'Histoire en 1996. C’est peu dire qu’on a changé d’époque depuis.

La Seine Musicale, c’est vraiment très joli. On dirait un musée d’art moderne en forme de vaisseau spatial posé sur l’Île Seguin à Boulbi, dans le fief de Booba. Merci à Monsieur Devedjian qui a tant fait pour la culture pour le département, même si le fait d’avoir programmé cette vieille baderne de Bob Dylan pour l’inauguration dénote un certain manque de goût. A l’entrée, les videurs reniflent les paquets de clope des fumeurs, je n’ai pas compris pourquoi. Dans le hall d’entrée, des écrans indiquaient les prochains concerts prévus : Jean-Sébastien Bach – je le croyais mort depuis belle lurette – et le jazzman français Michel Jonasz..

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Pento dans les cheveux, cannette de Fanta orange, baskets Airness et survète Adidas : j’avais sorti le grand jeu pour revivre les frissons de mon adolescence. Las, le public majoritairement composé de petits blancs n’a absolument pas joué le jeu et je me suis retrouvé un peu bête, cible de moqueries alors que j’avais fait des efforts. J’aurais adoré vous dire que le public du concert était composé de vieux cons comme moi mais pas de bol : le Suprême s’est produit dans le cadre du Festival Chorus qui draine un public bien plus jeune qu’attendu. Le vieux con, c’était moi avec mon déambulateur et la poche à pisse que je me trimballe depuis que ma prostate me fait faux bond. Mis à part les quolibets dont j’ai été la cible, tous ces petits jeunots étaient bien urbains et ça m’a fait plaisir : personne pour resquiller dans la queue au bar ou aux toilettes. Le monde s’en porterait bien mieux si les gens étaient aussi polis.
Au bar justement, on a retrouvé Michel et Augustin dont les produits étaient proposés à la vente. A la place des Nique ta Mère, j’aurais annulé le concert si j’avais eu vent de ce truc : en 2018, il est impossible de trouver de la weed à un concert de NTM mais en revanche, on peut acheter des carrés de chocolat des deux trublions du je-ne-sais-quoi sans que ça ait l’air de déranger personne. Pute borgne… Voilà où nous en sommes. J’ai peur qu’on nous propose du risotto aux cèpes pour les noces d’or du groupe en 2038 au train où vont les choses. Ah, dernière chose qui a son importance : le poulet dans le sandwich n’est pas bio. Une petite déception quand on y pense bien, à l’heure du vivre ensemble.

Quand j’ai vu NTM en 1996, c’était l’apocalypse : les cailleras étaient dans la ville et les deux compères n’ont pas attendu pour foutre le feu. L’ambiance était électrique, c’était chaud, les gens se bastonnaient dans la fosse et je m’étais mis tout au fond pour ne pas qu’on casse mes lunettes, c’est vous dire. Les mauvais garçons avaient globalement déserté les concerts de rock au détriment du rap.  En 2018, NTM est un groupe de vieux et les mauvais garçons ne vont plus voir NTM. Ils fument des spliffs et ne connaissent pas Jacquie et Michel et Augustin. J’ai quand même aperçu un noir en intérim à un moment. Faut-il s’en plaindre ? Je l’ignore, il n’y a pas de leçon philosophique à tirer de tout cela, c’est simplement un constat de changement de générations, vingt ans se sont passés. Les parents des petits blancs qui achetaient à l’époque les albums du Suprême écoutaient probablement Sardou et Yves Montand au même moment. Les enfants des fans de NTM de la première heure écoutent certainement Jul, Maître Gims et ainsi de suite. Les deux rappeurs se prénommant Didier et Bruno, j’imagine que ces noms sonnent curieusement pour les jeunes générations, comme si on nous vendait Jean-Claude et Bernard comme ultimes rebelles et poètes urbains. Vous voyez ce que je veux dire ?

« J’ai toujours pensé que Kool Shen jouait dans une catégorie supérieure et ses textes sont bien mieux écrits : il maîtrise l’imparfait du subjonctif ».

Venons-en à la performance en elle-même : Kool Shen et Joey Starr envoient du bois. Le plaisir est intact, c’est un rouleau compresseur qui ne varie pas d’un iota dans sa trajectoire. Starr a pris du lard et se fringue chez Delaveine alors que Kool Shen est toujours aussi affuté : il a failli devenir joueur pro au foot et s’est bien moins défoncé que Joey Starr, ce dernier est toujours un gourmet des toxiques, ça se voit. Si les deux ont beaucoup de talent, j’ai toujours pensé que Kool Shen jouait dans une catégorie supérieure : ses textes sont bien mieux écrits – il maîtrise l’imparfait du subjonctif – et fournis (il rappe les deux tiers du temps a minima). Joey Starr a un truc, il fait le zozo, il le sait, il en joue, mais sort rarement de sa zone de confort. Il est Joey Starr comme Dark Vador est Dark Vador ou Laurent Wauquiez est Laurent Wauquiez : prisonnier de son propre personnage.

Je vais enfoncer une porte ouverte mais le début du concert m’a mis mal à l’aise : la plupart des gens dans le public filmait le live avant même qu’il ne commence. Quelle curieuse manie. Sur un écran de smartphone, la vue est bien plus petite que la réalité et la séquence appartient de fait au passé puisque le présent n’existe pas. Ça et le cadre trop parfait de la Seine Musicale m’ont donné l’impression d’être dans un épisode de Black Mirror. Peut-être qu’un jour la bière sera interdite, comme aux concerts de Metallica (exigence de la diva James Hetfield qui veut imposer la sobriété à son public en raison de son alcoolisme).

Deux DJ dont j’ai oublié les noms accompagnent le duo sur scène. Je ne suis pas sûr que ça soit un vrai boulot, j’ai pensé – sans vouloir leur manquer de respect – qu’ils étaient là dans un but purement décoratif, un peu comme Andy Fletcher avec Depeche Mode (mon coiffeur m’a affirmé l’avoir vu manger une banane pendant un concert). Ce que j’ai trouvé amusant, c’est quand Kool Shen a demandé au public qui était là en 1993, c’était pour introduire Tout n’est pas si facile qui est l’un de mes morceaux préférés : la moitié du public a levé la main et là, je me suis dit que les personnes qui s’étaient manifestées avaient dans leur immense majorité trois poils au cul et se prenaient un peu pour des ours vu qu’ils n’étaient pas nés quand les pionniers Sidney et Dee Nasty démarraient leur travail d’évangélisation. Kool Shen et Joey Starr se sont bien foutus de la gueule de ces jeunes prétentieux et j’ai eu une pensée pour les deux DJ qui nageaient encore probablement entre les cuisses de leurs pères en ce temps-là.

« A un moment, des mecs qu’on a pris pour des chauffeurs Uber en fin de carrière sont montés sur scène pour pousser la chansonnette : après coup, il s’est avéré que c’était Raggasonic, Lord Kosity , Zoxea et Busta Flex. »

Je n’ai pas retenu tous les morceaux parce qu’on avait un peu picolé avant et puis j’imagine que vous vous en foutez pas mal. Je ne vous parlerai pas de l’éclairage non plus. A un moment, des mecs qu’on a pris pour des chauffeurs Uber en fin de carrière sont montés sur scène pour pousser la chansonnette : après coup, il s’est avéré que c’était Raggasonic, Lord Kosity , Zoxea et Busta Flex, les compagnons de la chanson du hip hop céfran. En faisant des recherches, j’ai appris que le vrai blase de Busta Flex était Valéry François : il a du bol finalement, car il aurait pu s’appeler Guichard Daniel ou Lenormand Gérard. Un truc qui a son importance, c’est que je n’ai pas regardé ma montre une seule fois, preuve que le concert était très bon car je regarde toujours l’heure, les concerts étant décevants 90% du temps, ce sont les albums studio en moins bien. La musique d’NTM a très bien vieilli, les samples étaient très soigneusement sélectionnés et la rythmique s’accordait parfaitement aux qualités de rappeurs des deux compères. Une combinaison parfaite à la divine époque où le beat et donc le flow étaient encore rapides.

Une théorie a volé en éclat pendant que je me souvenais de cette performance dans les heures qui suivirent : « tout rappeur de plus de 35 ans est un ringard qui ne mérite pas qu’on lui accorde la moindre attention ». Le rap est basé sur l’indignation, la difficulté des rapports sociaux, et il devient difficile de baser ses textes et son attitude sur ces axes quand on a cartonné et gagné plein d’argent. Et pourtant, NTM y parvient, tout comme Public Enemy que j’avais vu il y a une dizaine d’années dans le cadre d’un concert fantastique et mémorable. De même, Booba est plus vieux que Macron et reste le rappeur français le plus intéressant à mille coudées de la concurrence. Je suis content de vieillir avec NTM, je les admire toujours après tout ce temps. Depuis la mort de Johnny, il y a une place à prendre dans le cœur des Français et j’aimerais qu’elle soit occupée par Didier et Bruno.

« Que voulez-vous que je fisse, sinon du hardcore ?
Je fais partie du triste décor de la banlieue Nord 
Mon style évolue, jamais révolu,
Influencé par la rue,
Abats les boeufs et tracte la charrue »

8 commentaires

  1. Le jour ou vous avez besoin de journalistes appelez moi. Article d’un niveau très faible. Les DJ sont R-Ash et DJ Pone (qui ne nageait pas entre les couilles de son père en 1998, TTC, Svinkels, Birdy Nam Nam). Avant j’achetais Gonzai… Quand y’avait de l’info et du style. Ce n’est pas parce que le Web est gratuit qu’il faut écrire de la m…

  2. « Que vouliez-vous que je fisse, sinon du hardcore », ça résume tout kool shen! a mon sens l’un des meilleurs rappeurs de tout les temps tout pays confondus.

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