« Et pourquoi pas se pencher sur la scène bordelaise ? Les groupes sont très actifs là-bas, plus qu’à Paris ». Il est marronniers qui font sourire, l’idée nous était venue en conférence de rédaction, puis j’avais balayé l’idée d’un revers de chemise. L’idée qu’un groupe de Parisiens blasés puisse partir à la recherche de jeunes déviants bordelais pratiquant le larsen plus facilement que le levé de coude, tout ça ne me semblait aussi vain que Kouchner débarquant sur les plages de Somalie avec des amplis dans son sac. A chacun son pauvre, thanks but no thanks. J’avais d’ailleurs bien fait de botter en touche ; deux semaines plus tard le caritatif hebdo caritatif des Inrocks se penchait sur la question en titrant « A Bordeaux le rock se porte très bien ». L’histoire semblait bouclée, et puis de toute façon j’avais toujours détesté la bière. Alors Bordeaux…

Ouvrons ici une grande parenthèse qui devrait durer le temps d’un article, oublions la tentation d’un grand article sociologique sur le poids des associations locales et la précarité du rock en province. Vu depuis la France d’en haut – géographiquement parlant, j’entends – le rock provincial est toujours vu par le petit trou de la serrure. Le rédacteur est parfois tenté d’insérer des anecdotes acides et personnelles (le souvenir d’une fête de la musique à Tourcoing avec ses potes de lycées avinés reprenant Téléphone, le fan-club de Johnny à St Etienne…) et puis c’est finalement une image d’Epinal qui toujours s’impose : cette fameuse histoire de « scène», qu’on retrouve en accroche dans les grands suppléments culturels, comme si le fait de trouver plus de trois groupes à Clermont-Ferrand ou Bordeaux permettait de conclure en trois allers-retours de manche qu’on tenait là une génération de démunis réunis par la force de l’ennui. Un peu facile, vous ne trouvez pas ? Et comme le rappellent souvent les musiciens interrogés sur le sujet, souvent amusés par tant de raccourcis, les « scènes » restent une invention journalistique, un peu de poudre aux yeux pour épater le badaud, éventuellement un artifice pour décider le badaud des FNAC provinciales, mais globalement une grosse connerie.

Deux semaines après notre conférence de rédaction – celle où l’idée d’un papier global sur la scène bordelaise avait été évincé au profit d’une grande interview d’Amanda Lear, allez savoir pourquoi – un vinyle de toute beauté était arrivé comme par miracle dans la boîte aux lettres. Un miracle, oui, d’une part parce qu’on n’avait rien demandé, et puis surtout parce que l’objet avait des airs de pépite culte tout juste sortie du four. Stereovisio Volume 1, c’était son nom, un recueil graphique et musical brûlant comme le front de l’alcoolique à cinq heures du matin, sept groupes et neuf auteurs de la région rentrés à coups de boots croco entre les sillons. Imaginée et conçu par une petite boîte de production locale (WHIP IT), la compilation s’était fixé pour objectif de gonfler les muscles en assumant son amour présumé pour – je cite – « la bière, les grosses soirées, la fuzz, les vinyles et les têtes de mort ». C’aurait pu suffire à me faire la semaine, le problème c’est que le rock de ces Bordelais était encore plus stupéfiant que leurs promesses.
C’est même, fondamentalement, le seul reproche qu’on puisse faire à cette compilation de groupes parfois éphémères. Muni d’un seul titre, d’un seul 45t parfois, les Stong Haïku, JFG & the Regulars, Izzy Crash et autres Magnetix – la célébrité locale depuis plusieurs années – enfoncent la concurrence en moins de 2’30 en moyenne. L’objet, comme dit, est superbe. Illustré par Victor Marco – l’une des grandes découvertes graphiques, regardez son boulot ici, Winshluss ou Camille Lavaud, Stereovisio ne donne pas qu’à écouter – et pourtant ce serait déjà bien suffisant pour arrêter les antidépresseurs – mais aussi à voir, à imaginer. Une vision, assurément, un instant volé de ce que fut Bordeaux en 2010 et les années qui suivirent, le tout déroulé sur un livret 36 pages où le lecteur apprendra, par le jeu des vignettes, que les origines de Magnetix remontent à la nuit des temps, quand l’homme-singe fracassait les osselets pour donner le rythme. On n’est pas loin, du reste, d’une certaine vérité.

« On s’appuie sur une scène musicale hyper active à Bordeaux, il faut dire que les caves pour répéter sont légion ici, et donnent une émulation vraiment prolifique » explique Charly de chez WHIP IT, « avec quelques bons clubs et bars pour se roder tous les zicos passent d’un groupe à l’autre, les groupes se forment, sortent un 45t ou plus, ça splitte, et ça repart avec une autre formation… Bref, une histoire de potes avant tout ». Une histoire de potes avant tout, ben tiens, on la connaît cette histoire. Et le lecteur dubitatif de se demander de quel foutoir sonique ces amis de la chanson tronçonnée sont bien capables. La réponse est simple : douze morceaux sur deux faces, un songwriting garage insensé et de grands moments fugaces comme Love on two wheels par Kisskiss Karate Passion, magnifique dédicace aux Doors période west coast, un pied dans le sable et l’autre sur son crâne. Plus loin, tradition locale oblige, les Magnetix livrent un I drink but my guitar doesn’t à placer en musique d’attente téléphonique chez les alcooliques anonymes, et en bout de course c’est finalement JFG & ses habitués qui tirent la révérence sur Remerciements. Du rock bien burné en somme, mais pas que, qui permet de conclure que face à l’énergie brutale, mis au pied du mur par le génie de nos petites têtes blondes (comme la bière, tiens), trouver les mots justes s’avère bien complexe.
Aux conclusions douteuses, on préfèrera le silence respectueux : Stereovisio est avant tout un manifeste qui, une fois n’est pas coutume, se dévore les deux doigts dans la prise. Comme une vision sublimée de ce que fut la Californie à son plus bel âge mais le patriotisme en plus, parce qu’avant d’être bordelais, ces anges de l’enfer sont résolument français. Et que parvenir à s’inspirer de San Francisco et des années Nuggets quand votre Richard Nixon local se prénomme Alain Juppé, c’est un double exploit assez rare pour sobrement le saluer.

Stereovisio // Volume Un // Whip It
( Deuxième volume prévu pour octobre 2011 et troisième volume prévu pour 2012)

http://whipit.eklablog.com/

6 commentaires

  1. Clair. D’ailleurs je n’accepte plus les albums, les découvertes, que livrées en carrosse. Il est de même pour les commentaires, remarquez.

  2. Ouais hein, c’est vraiment une belle galette, hormis le papier du catalogue qui fait un peu cheap, mais bon, c’est un début local et ils s’en sont suffisamment excusé auprès des fans pour qu’on leur pardonne.

    M’enfin c’est surtout un mini-festival sterovisio, et pas seulement une compile de la scène garage locale. Les gars, faut vraiment vous sortir les doigts du cul et arrêter de faire des articles sur radiohead, on trouve les mêmes sur rue89 (véridique).

  3. Super, Burp.
    Toute la partie sur Radiohead était ici aussi pertinente que si moi je te parlais rouflaquettes pour décrire la pilosité à travers les siècles. Restons sur la compilation, si tu le veux bien.

  4. Dieu merci, elle ne fait qu’une demie ligne.

    Pardon pour l’agressivité post-cuite du matin, je t’aime Bester. Je voulais juste rappeler et insister sur le fait qu’avant d’être une compile, c’est surtout une série de concert un peu partout dans la ville (j’dis ça au passage, pour que les gensses ils aillent aussi sur le terrain.)

    La petite originalité du truc, c’est que les visus sont faits par au moins un membre de chaque groupe, d’où le fait que c’était des concerts-expos plutôt bien sentis. Pis on se dit que si le type gratte aussi bien qu’il dessine, ça ne peut-être que bon. Et ça se confirme.

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