« Rite of the end », troisième album du compositeur polonais né un an avant la catastrophe de Tchernobyl, est l’occasion d’un arrêt sur image pour distinguer la pop de la musique sacrée, le comestible du digérable et le beau du sublime. Avant que le monde ne s’écroule et que le disque ne sorte (en avril, chez Ici d’Ailleurs), portrait de ce gamin touché par la grâce ; celle qui permet enfin d’écouter la musique comme on verrait la lumière à travers des vitraux.

Capture d’écran 2017-03-16 à 01.21.33À quoi sert la musique, si ce n’est à prendre de la hauteur ? À se divertir, à s’oublier ? Certainement. À tromper le temps qui passe aussi, sans doute. Cela explique, majoritairement, pourquoi la pop fut inventée, et comment ses différentes incarnations successives ont finalement transformé Internet en un gigantesque robinet où se déversent quotidiennement des pilules de l’oubli de 3 minutes environ, et dans lesquelles le trop plein de vide finit par nous éloigner de l’essentiel.
Ce n’est pas que Drake, The XX et autres rappeurs hybrides soient mauvais en soit (cela est pourtant discutable d’un point de vue solfège) mais les millions d’heures de clip uploadées tous les jours sur Youtube finissent par éclipser cette théorie pourtant vérifiée selon laquelle la musique, depuis la nuit des temps, s’avère être le seul remède solide pour sublimer des vies globalement pourries allant d’un point A (découvrir les Beatles, Stravinsky, Chassol) à un point B (mourir sur un best-of, n’importe lequel). Fatalement, maintenant que même l’avis du premier graphiste d’open space compte double, tout nous condamne irrémédiablement à la médiocrité, au raccourci et à la facilité ; bref, à une certaine Kanyewestisation du monde, et contre laquelle rien ou presque n’est possible.

Imaginez donc qu’on puisse trouver un disque qui ferait office de marchepied, et qui serve non pas à caler des chaises mais à atteindre les ouvrages les plus hauts d’une bibliothèque. Ils ne sont pas nombreux, ces albums, à pouvoir jouer ce rôle d’élévation des âmes. « Rite of the End », du compositeur Stefan Wesolowski, est l’un d’entre eux. Maintenant que le retour du classicisme acceptable semble enclenché, que des artistes comme Max Richter ou Nils Frahm ont, toutes proportions gardées, permis de rouvrir une porte qu’on croyait condamnée depuis que Thom Yorke ne cite plus Messiaen à tout bout de champ, le nom de Wesolowski semble prononçable (enfin, faut le dire vite). Après « Liebestod » (2014) et « Kompleta » (2015), le nouvel opus – car oui, là, on peut parler d’opus sans pouffer – à paraître est une formidable occasion de prendre peur à la simple énonciation du terme « musique contemporaine » qui a déjà fait fuir des millions de lecteur jusque là.

« Rite of end », si le nom s’avère plus anxiogène qu’un concours de T-shirt mouillés sur le capot d’un 4X4, s’écoute comme la prolongation intelligente, jamais pédante, des travaux de Yann Tiersen, dans sa volonté de vulgariser une musique par définition inaccessible au simple prétexte qu’elle regarde vers le haut. Plus céleste que religieux, parfois, oui, plombant, le disque de Wesolowski est aussi la preuve qu’un gamin de 32 ans peut jouer une musique vieille comme le monde et la réinventer, y injecter des cordes, du souffle, ainsi que des références surprenantes (Nick Cave, les Stranglers, les bornes d’arcade) pour quelqu’un ayant grandi dans les couloirs d’un Conservatoire d’Europe de l’Est.

Composé à la demande de Stéphane Grégoire, patron du label Ici D’ailleurs, à partir d’une commande d’illustration musicale pour une exposition du photographe Francis Meslet, il est finalement né le divin disque, comme un accident. On y croise aussi bien tous les pères de la « grande musique » que Boards of Canada pour le côté immersif et Michael Mann pour les ambiances de course poursuite qui se dégagent de ce disque nocturne, et surtout grand comme une église.

Avant la sortie de l’objet fin avril, entretien au confessionnal avec le principal intéressé.

À regarder ton début de carrière, on a l’impression que tu es plutôt atypique par rapport aux musiciens de ton âge. D’où t’est venue cette envie d’une musique néo-classique, presque mystique ?

Si tout cela te semble atypique, c’est sûrement parce que je le suis aussi, à ma manière. Tout a débuté pendant mon enfance ; mes frères ainés ont fait le Conservatoire, et je leur ai emboité le pas. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours baigné dans la musique classique, c’est mon environnement naturel. Mon père, notamment, était un homme profondément spirituel et sans concession ; il m’a appris à me défaire des postures consistant à vouloir faire les choses pour plaire aux autres, pour de basses raisons. Ado, j’étais croyant, et c’est pour cette raison que j’ai commencé à composer. Mais le vrai déclic, c’est lorsqu’un ami des ordres dominicains m’a demandé de lui composer une chanson lithurgique. Plus tard, j’ai commencé à douter de ma propre foi en Dieu, mais les forces spirituelles, comme la croyance en quelque chose de plus grand, sont restées.

À quoi a ressemblé ton enfance, du coup ?

Je ne me suis jamais senti à part, ou différent, des autres, même si il y avait forcément des gamins pour s’étonner que je préfère les saints aux simples collections de stickers du Roi Lion, aha. Très jeune, j’ai voulu devenir prêtre, il faut dire… Bon de toute manière les gamins qui me prenaient pour un freak n’étaient pas vraiment le genre de potes que je voulais avoir autour de moi. C’était le genre à de se foutre de la gueule de mon ami Robert parce qu’il mettait du parfum pour venir à l’école. Le même Robert, aujourd’hui, est chef d’orchestre dans un grand ensemble en Suisse… Mais bref, de cette époque je retiens surtout l’influence de mes deux sœurs ; nous avons passé des heures entières dans la chambre à écouter les Beatles, les Stranglers, Clannad… C’est fondateur pour moi. Les autres références qui me collent au corps, c’est autant le Tristan et Iseult de Wagner que les travaux de John, Schubert mais aussi Melancholia de Lars Von Trier, et même le Interstellar de Christopher Nolan. Ce sont tous des compagnons pour moi, au même titre que Purcell, Nick Cave, Prokofiev ou les premiers chants grégoriens. Tous, à leur manière, me font ressentir la plénitude, la perfection.

Brian Eno a composé « Music for Airports » pour calmer les gens stressés par l’avion, Steve Reich a écrit « Different Trains » pour évoquer les trains de déportation de la seconde guerre mondiale. Et toi, avec « Rite of the End », qu’as-tu voulu dire ?

Je crois aux rituels. Ils permettent de maintenir une tradition, et combattent les modes temporaires. La capacité à cultiver les célébrations est aussi quelque chose d’important, selon moi. Ces rituels ont constitué l’un des bonheurs de mon enfance ; je me souviens de mon père s’aspergeant d’Eau de Cologne le dimanche et portant ses beaux vêtements pour aller à l’église…. Et bref, « Rite of the end » est autant une paraphrase du Sacre du printemps de Stravinsky qu’une image pour brûler le passé. C’est l’acceptation de la mort et de la transcendance ; une émanation de l’amour et de tout ce qu’il peut engendrer.

L’écoute attentive de cet album peut faire penser à la bande son d’un crépuscule suivant une très longue journée. Est-ce aussi un contrepoint à l’époque actuelle ?

Certainement oui. J’en ai plus qu’assez de cette époque hystérique et étrange où tout est fait pour stimuler le culte de la personne et le besoin d’impressionner les autres. C’est inexplicable, pour moi, incompréhensible. Cela nous éloigne de la réalité… Et ayant dit ça, j’arrive encore à ressentir du stress à l’idée que le téléphone puisse sonner, et à ressentir de l’impatience quand j’attends un message. Franchement, cette route ne mène nulle part. C’est l’une des raisons pour laquelle notre société est malade, c’est la cause de sa perte et je continue de penser que cueillir les cerises dans le jardin de sa grand-mère a plus de valeur que d’être taggué dans une photo sur Instragram. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, je reste foncièrement optimiste : je suis convaincu que nous sommes arrivés au bout d’une impasse et qu’on en finit actuellement avec le vide. Toutes les choses ont une fin, et l’heure est peut-être venue de prendre soin de nos âmes.

Stefan Wesolowski // Rite of the End // Sortie le 28 avril chez Ici d’Ailleurs
https://stefanwesolowski.bandcamp.com/
 

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