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De Spirit, beaucoup n’ont conservé qu’une image d’un groupe un poil bouffi de techniques et des lieux communs qui font la part belle à une poignée d’anecdotes sur Hendrix et Jimmy Page. Ici et là, coincé dans une myriade de titres compilés autour d’un âge d’or pour des formations qui ont planté leurs carrières avec panache dans les 60’s, on tombe parfois sur ce groupe capable de nous faire voyager dans une sphère utopique et psychédélique.

Spirit c’est avant tout une histoire de famille.

Début de l’année 1965, Ed Cassidy, batteur de jazz (Dexter Gordon, Cannonball Adderley ou Thelonious Monk, j’en passe et des monstres sacrés) joue dans les Rising Sons, groupe de blues électrique mené par, excusez du peu, Taj Mahal et Ry Cooder. Rapidement, ils deviennent l’attraction du club folk The Ash Grove, dirigé par l’oncle du tout jeune Randy Wolfe qui traine dans les parages accompagné par une mère un rien beatnik. Ce n’est pas encore l’été de l’amour, mais la maman tombe sous le charme et épouse le frappeur de peaux au physique improbable. Entre Yul Brynner, Monsieur propre et un gourou charismatique de la côte ouest. Avec Randy ils fondent The red roosters, un nom explicitement sexuel, qui préfigure déja le line-up de Spirit.

A la mi 66, la petite famille s’exile à New York où Cassidy vient de décrocher quelques contrats pour jouer dans des formations de jazz, laissant les p’tits bouts rouge au repos dans les caleçons. Randy, quinze ans, passe alors le plus clair de son temps à dépecer des standards de blues et de folk, à flâner dans les clubs de Greenwich village et bénéficie de l’éducation laxiste et libérale de ses parents.
Un jour, l’adolescent se retrouve dans un magasin de musique à jammer avec un certain Jimmy James, pas encore connu sous le nom de Jimmy Hendrix. Impressionné par le gamin, le gypsy black l’invite immédiatement pour jouer dans son groupe (les Blue Fames) qui donne cinq à six concerts par jour au Café Wha pour une poignée de dollars. Le soir même, dans la pièce qui sert de backstage, Jimmy montre les basiques du set à Randy, dont une version de Hey Joe, popularisé par The Leaves, qu’ils jouent beaucoup plus relax. Plus blues. A la fin du set, le jeu consiste à jouer Wild things des Troggs le plus violemment possible pour faire sauter les plombs de la boite ou pousser le patron à couper le compteur.

Jimmy, avec des gros larsens et pleins de gimmick de bluesmen, amuse la galerie en jouant avec les dents.

Comme le bassiste s’appelle aussi Randy et qu’il vient du Texas, il sera rebaptisé Randy Texas et le petit Wolfe, Randy California, sobriquet qu’il conservera jusqu’à boire la grande tasse.  Trois mois et quelques acouphènes plus tard, Chad Chandler, ancien bassiste des Animals, déniche Jimmy au Wha, lui propose de le manager pour faire péter les tympans du swinging London avec le Jimi Hendrix Experience. Au départ, il est question que Randy suive dans les bagages mais Chandler veut un power trio pour concurrencer Cream sur son propre terrain. Les parents de California, dans un moment de responsabilité enfumée, décide finalement de ne pas lâcher le petit prodige en pleine poussée d’acné, seul dans la nature.

Back to square one.

La famille retourne dans les environs de L.A. et se promène par un beau jour d’été au Love-In d’Hollywood, réponse un rien plastique et préfabriquée au Be-In du Golden Park de Frisco. Comme dans un mauvais téléfilm sur les années soixante, ils tombent sur leurs vieux potes des Red Roosters, se marrent un bon coup et remettent instantanément le couvert, avec en prime l’arrivée de John Locke aux claviers.
Plus grand chose à voir avec la gentillesse des débuts, ils partent tout droit dans répertoire bien plus original et allumé, encouragé par leur mentor Barry Hansen AKA Dr Demento qui fixe les délires musicaux de la famille élargie. Les fioles de LSD liquide circulent aussi vite que la chaude pisse et les morpions. Les caboches dévient vers l’inconnu, les formes se liquéfient et des sons angéliques et distordus descendent des firmaments: «Man, tu te rends compte on utilise que 20% des possibilités de notre cerveau…»

Fin 1967, à fond dans le mouvement mais pas désireux de vivre avec les nababs de Sunset Boulevard, la petite tribu se pose à une demi heure de Hollywood, à Topanga, un coin plus sauvage que Laurel Canyon où Neil Young et les blueseux de Canned Heat ont déjà atterri.
Ele était bleue pour Leforestier, rose chez The Band, l’épicentre de Spirit restera une bâtisse jaune, perchée dans les hauteurs de la côte pacifique, suffisamment spacieuse pour accueillir la communauté et les chiens. On répète, on baise, on se défonce… On répète, on baise, on se défonce…

Le groupe signe finalement avec Ode Records, le label de Lou Adler, qui a dealé une licence avec Epic. Adler est l’un des petits princes de L.A qui s’occupe de la carrière des Mamas and the papas et de Johnny Rivers. Avec John Phillips, il est l’instigateur du Monterey pop Festival qui a vulgarisé le mouvement californien. A l’époque, même s’il est sévèrement critiqué par le Grateful dead pour avoir vendu le mouvement des freaks et récupéré les groupes de la baie de frisco pour un coup médiatique, il semble être l’homme de la situation.
Pour son premier album intitulé Spirit, le groupe rivalise avec les meilleurs formations de L.A mais comme Love restent sur le tarmac à regarder les Byrds et les Doors s’envoler vers un succès international. Pourtant les arrangements de cordes, les clavecins, les orgues luxuriants, les structures complexes et les guitares à la fuzz assourdissante sont largement au dessus des standards de l’époque.

Fresh Garbage, premier single écolo ne passera pourtant guère en dehors des ondes californienne.

Avec I got a line on you, et son second album The family that plays together, Spirit à l’impression d’avoir décroché la queue du Mickey à la fête foraine psychédélique. Ramassé sur un 2’30, le single les propulse un temps sur le devant de la scène et à la vingt cinquième place des charts. Leur quart d’heure de gloire est enfin arrivé.

Le groupe se retrouve en tête d’affiche d’une tournée nationale dont Led Zep, Traffic et Chicago assurent les premières parties. La légende veut que Page ait pompé son intro de Stairway to heaven à celle de Taurus, que Spirit joue sur la tournée. Plus que probable, lorsque l’on sait que le dirigeable reprenait parfois Fresh Garbage sur scène et que Page en bon technicien suceur de plans a souvent, mine de rien, regardé du côté californien. On est des bons musiciens, on se tire à la campagne, on prend un max de trucs, on expérimente sur de de bons titres bien tournés, on y va à fond… S’il existe une corrélation et une fraternité musicale avec l’outre-manche, c’est surtout Traffic qui peut encore être désigné comme un équivalent de Spirit, tant la comparaison avec celui de Dear Mr Fantasy s’avère encore aujourd’hui troublante.

1969. Spirit sort Clear qui respire la fatigue, l’absence de grands titres et quelques jams jazzy en pilote automatique. 1984, le single censé porter l’album ne décolle pas de l’underground et se prend un four dans les radios qui censure le titre pour son texte orwellien qui pourrait pousser la jeunesse à la révolte. Surnage Dark eyed woman (ancêtre éloigné d’un morceau  de QOTSA) et Ground Hog, blues psyché à la Beefheart. Le groupe patine dans sa montée vers les cimes et reste bloqué en deuxième division de la côte ouest. Rassurez-vous, ça va aller de mal en pis.

«Trois jours de paix et de musique. Des centaines d’hectares à parcourir. Promène-toi pendant trois jours sans voir un gratte-ciel ou un feu rouge. Fais voler un cerf-volant. Fais-toi bronzer. Cuisine toi-même tes repas et respire de l’air pur».

En aout 1969, c’est le grand raout de Woodstock. Trois jours de bains de foule à la boue, 450 000 mille pékins, trois morts (une overdose, une appendicite mal soignée et un accident de tracteur). L’organisateur Michaël Lang contacte Lou Adler pour que Spirit ouvre pour Hendrix, qui vient de confirmer sa venue in extrémis. Que nenni et pas de bol, Adler a déjà booké une tournée des radios pour la promo et envoi poliment chier l’organisateur. A la place de se faire immortaliser par les bobines de Michael Wadleigh, le groupe en sera réduit à regarder les évènements à la télé en tirant des tronches de trois mètres de long de ne pas faire partie de la grand messe.

La coupe est pleine de rancœur et Adler sort de la photo souvenir. Fort de son demi succès, Spirit conserve un deal chez Epic et décide de pondre un dernier album avant extinction du feu sacré. Randy California se met en quête d’un nouveau producteur et tombe sur David Briggs, chaudement recommandé par Neil Young qui l’a aidé à poser Everybody knows this is nowhere sur bandes. Briggs, une grande gueule connu pour son aptitude à faire accoucher l’acétate dans la douleur, sait donner des idées toutes plus barges les unes que les autres. Hippie version cynique cinglé, il effraye jusqu’à Charles Manson, tellement effrayé que le gourou se barrera sans demander son reste… C’est dire si le bonhomme à les pieds sur terre et le buvard sur la langue.

Direction les seventies. Avec sa pochette toute droit sortie d’un voyage au LSD, Twelve dreams of Dr Sardonicus à l est une cathédrale psychédélique aux proportions hallucinantes qui assurera la pérennité du culte du groupe. Pas franchement conceptuel mais avec une unité évidente, les titres coulent et s’enchainent dans une myriades de styles déformés par une production radicale où les guitares, les cuivres, les synthés analogiques tourbillonnent dans un mix impressionniste. Des milliers de jeunes issus de l’underground vont se payer un dernier trip avec cette album qui ne cartonnera certes pas mais passera de platine en platine au cours des années. Twelve dreams of Dr Sardonicus est l’archétype d’un bon album d’Art rock, genre somme toute éphémère qui apparaît après la parution de Sgt Pepper et avant l’arrivée monstrueuse du prog dégoulinant de vanité musicale.
Dès le prélude Nothin’ to hide et son «You have the world at your fingertips», on s’embarque dans un vaisseau hallucinogène qui visite tous les styles majeurs de l’époque : le groove de Mr Skin (hommage aux fans du groupe et clin d’oeil évident au crâne d’oeuf de Cassidy), l’expérimental avec les bandes à l’envers et le moog sur Love has found a way et Space child, la pureté harmonique de Why can’t I be free et de Nature’s way.

Sans grand succès commercial, le groupe jette finalement l’éponge. Randy et son beau-père restés seuls aux commandes reprendront par la suite le nom pour en faire fréquemment une atroce bouilli. California sortira Future Games en solo (un disque qui mérite le détour des aficionados) et on compilera sur les Mercury Years, les meilleures moments d’albums des seventies d’un one man band en demi-teinte. Les 80’s confinent à l’acharnement thérapeutique où l’on retrouve California dans des tenues d’une beaufrie sans nom que même un roadie de Spinal tap ne porterait pas.

Tragédie qui continue sur sa lancée; le 2 janvier 1997, Randy California sauve son gamin de la noyade mais périt dans les flots.

Depuis, certains continuent d’invoquer l’âme de Topanga disparue dans les méandres de la mémoire d’un nouveau siècle dépourvue d’utopie. Ils cherchent désespérément la formule de cette Californie qui, pendant un cours moment, regarda le monde par le prisme d’un kaléidoscope.

6 commentaires

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