« Si, à cinquante ans, on n'a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie », a dit un jour le poète. Avec "Spent", excellent essai de psychologie évolutionniste à ce jour non traduit en français, Geoffrey Miller soulève que « de nombreux produits s'avèrent être signaux avant d'être objets ». Parce que c'est bien de pouvoir lire l'heure, mais c'est mieux si c'est sur une montre qui vaut cinquante fois le salaire mensuel d'un congénère appartenant aux classes populaires.

Spent analyse nos comportements de consommateurs au travers du prisme des théories darwiniennes selon lesquelles notre cerveau, comme chacun de nos organes, a connu une adaptation constante aux contraintes environnementales auxquelles nos ancêtres ont été soumis. Les théories évolutionnistes, dont Miller est l’un des tenants, tendent donc à réduire l’être humain à la qualité d’animal ayant optimisé ses techniques de séduction dans le but de s’entourer d’alliés et de partenaires sexuels de choix. Certes, l’idée n’est pas des plus valorisantes, mais il y a pire : ces tactiques de séduction se traduiraient jusque dans nos actes d’achat.

« Grossièrement, les biens de consommation peuvent être classés en deux catégories imbriquées l’une dans l’autre : ceux qui prouvent notre valeur et nous apportent un certain statut lorsque les autres voient que nous les possédons, et ceux qui satisfont notre plaisir immédiat et nous apportent de la satisfaction même si personne ne sait que nous les possédons. »

« Dis-moi de quels produits tu te pares, je te dirai quel beauf tu es » pourrait ainsi être le credo de l’auteur dont la plume ne manque jamais d’égratigner l’égo de l’acheteur qui, avec subtilité — et souvent sans —, tente de présenter au monde toutes les qualités dont il pense — ou souhaiterait — être doté. Geoffrey Miller a conscience que son propos ne peut faire l’unanimité tant dans les comportements qu’il décrit la raison semble mise en sourdine. Mais peu importe, le lecteur est prévenu :

« La vérité, c’est que parfois la science fait du mal. »

Au fil de son raisonnement, Miller évoque régulièrement le concept de « consommation ostentatoire », théorisé à la fin du XIXe, en rappelant l’exemple de la queue du paon, étalage flamboyant de l’excédant de ressources que l’animal peut se permettre de dépenser sans but pratique. L’auteur statue ensuite que le Hummer, « qui est également grand, symétrique, coloré, embarrassant et cher à l’achat et à l’entretien », s’avère être l’un des équivalents chez l’être humain.
Plus tard pourtant, il précise que les traits que l’être humain désire le plus mettre en avant seraient en fait la gentillesse, l’intelligence et la créativité — position déjà défendue dans son précédent essai, The Mating Mind. Partant sur la voie de l’intelligence émotionnelle, il évoque les « Central six » qui consistent en une association de l’évaluation du QI à celle de cinq grandes variables que l’individu aspire à mettre en avant : l’ouverture d’esprit, la conscience, l’extraversion, l’agréabilité et la stabilité émotionnelle. Cette évaluation permettrait de déterminer assez précisément à la fois les comportements sociaux, politiques et religieux de la personne, ainsi que ses tendances de consommation.

Et, quitte à finir de perdre les lecteurs sceptiques, pourquoi ne pas se vautrer dans les stéréotypes ?

Miller liste donc consciencieusement une série de marques de voitures et d’options susceptibles de séduire l’individu, en fonction de son positionnement sur ces cinq variables. Il statue par exemple qu’un consommateur marqué par une grande ouverture d’esprit aura tendance à apprécier les designs excentriques, les toits ouvrants et les marques étrangères alors qu’un acheteur marqué par une faible stabilité émotionnelle aura quant à lui tendance à privilégier les airbags, l’ABS ou encore l’extension de garantie.
Ce mode d’étalage peut induire une certaine schizophrénie lorsque la personne est contrainte de mettre en avant des traits incompatibles : le rationalisme, le conservatisme et un certain degré d’immoralité exigés dans le cadre de son travail, contre la spontanéité, l’ouverture d’esprit et la bienveillance dans le cadre de sa vie privée.

Geoffrey Miller dénonce enfin la fausse croyance, diffusée par la publicité, selon laquelle l’individu serait jaugé au travers des biens qu’il utilise comme ornements. Dans les faits, nous dit-il, à moins de n’être atteint d’un syndrome du fétichisme du bien de consommation comme le héros d’American Psycho, la plupart d’entre nous ne retient que quelques traits basiques chez les personnes que nous rencontrons brièvement : leur taille, leur corpulence, leur âge, leur sexe, leurs origines ethniques, leur attrait et notre degré d’affinité. Miller invite donc le consommateur à faire preuve de discernement pour envisager des modes de démonstration de ses qualités et ressources plus subtils.

« Le consumérisme repose sur le fait d’oublier une réalité. (…) L’être humain a déjà passé plusieurs millions d’années à faire évoluer des moyens réellement effectifs d’afficher des traits mentaux et moraux auprès d’autrui au travers de comportements sociaux naturels tels que le langage, l’art, la musique, la générosité, la créativité et l’idéologie. »

Période de crise oblige, amis ambitieux, sans doute est-il temps de considérer que pour parvenir à s’entourer de l’élite, plutôt que d’investir dans une Rolex, il est préférable d’opter pour les calembours, le macramé ou le triangle. Quelqu’un m’a dit qu’ensemble, tout devient possible.

 Geoffrey Miller // Spent // Viking Books

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