Parce qu’ils sont allés faire pousser leur musique là où les autres n’allaient plus, parce qu’ils savent reconnaître la modernité, qu’elle soit enfouie ou volatile, nous avons voulu connaître l'avis des visionnaires sur ce qu’il va advenir de la musique, de la musicalité et de ses musiciens.

Moderne depuis 1978 mais reconnu tardivement par ses pairs, d’Aphex Twin à Chemical Brothers, Bernard Fèvre aka Black Devil Disco Club nous offre ses réflexions et espoirs quant à ce qu’il adviendra de la musique. Back to the rétrofutur.


Gonzaï : Comment voyez-vous l’avenir de la musique ?

Bernard Fèvre : Là, on est dans le rêve, dans l’utopie, et moi mon problème c’est que je suis un vieux musicien. J‘avais 30 ans d’avance, j’ai simplement rattrapé mon temps. La musique, je n’en ai pas la vision qu’en a mon fils de 18 ans. Pour lui, la musique c’est un truc qu’on pique comme ça, alors que quand tu es musicien, la musique c’est quelque chose pour lequel il faut bosser. C’est la même différence qu’entre un Dj et un musicien. C’est deux mondes. Ça dépend aussi de quelle musique on parle ; il y en a tellement que les avenirs vont être différents selon les styles. Ça englobe énormément de choses. La musique dans l’avenir, c’est l’avenir qui nous le dira…

L’avenir du point de vue technologique ?

Je me suis intéressé très vite à la fabrication de musique avec un ordinateur. Alors que j’avais des copains qui me disaient « non, ça m’intéresse pas », ils se sont eux-même foutu dans le trou en s’empêchant d’évoluer. Peut-être que la musique de demain va correspondre à une nouvelle technologie. Je ne sais pas encore ce que les ingénieurs vont nous sortir, mais l’iPad, ça ne fabrique pas de nouveaux sons, pas de nouvelle énergie. Ça n’utilise que le passé. Les synthés, ce qui est important c’est que c’étaient des nouveaux instruments où tu devenais ton facteur d’orgue [l’artisan fabricant – NdA] ! Avant, tu avais un facteur d’orgue, de piano ou de guitare, qui faisaient des machines à sons. À partir de là, les gens ont pu faire leurs sons eux-mêmes. C’était ça qui m’a intéressé ; des guitares j’en avais entendu depuis mes 16 ans, alors t’imagines…

« La nouvelle musique pourrait aussi bien venir des clubs échangistes… »

Du point de vue géographique ? Voire idéologique ?

Oui, il faudrait vraiment une vue internationale pour pouvoir se dire « Tiens, celui-là est intéressant, c’est hyper nouveau ! » ou bien « ça, c’est étrange ! ». Car ce qui est nouveau nous est étrange. Ça ne l’est plus quand c’est accepté, ça peut même devenir has-been au bout d’un moment. Aujourd’hui, je n’entends pas de choses qui me semblent étranges, mais j’entends des choses qui sont nulles ! Or quand j’ai fait mon truc en 78, j’ai bien compris sur le visage des gens que c’était de la merde. C’est donc très difficile à trancher : des trucs nuls peuvent être l’avenir. Je cite toujours l’exemple des Gymnopédies de Satie : quand j’étais petit cette musique servait pour les enterrements, on la mettait au cimetière, dans les endroits sombres, et aujourd’hui sur une cérémonie de mariage ça passe. Aujourd’hui, il y a sûrement des gens qu’on n’écoute absolument pas et qu’on écoutera dans 30 ans, des gens qui sont en train de fabriquer la distraction des années à venir, ce qui sera mis dans les mariages.

Du point de vue mélodique ?

L’état des lieux dans ce domaine est que ça n’a pas bougé beaucoup depuis les années 70. La technologie a avancé, mais le résultat rythmique ou mélodique n’a pas avancé. On manque cruellement de bons mélodistes, c’est pour ça que les gens se réfugient dans le passé, cherchent d’anciens trucs. À cause des machines, aussi, les créateurs (ou créatifs) sont devenus fainéants, ils s’inspirent de peu. Il y a un manque de ce côté. Il faut toujours se dire que dans la vie les gens ne s’intéressent pas à la musique. Eux, ils veulent de la musique le matin, pour prendre leur solex et aller bosser. C’est la musique qui doit s’intéresser à eux. Oh putain, je suis parti loin là…

« On devrait avoir des syndicats de groupe, un truc comme la CGT de l’électro »

Du point de vue rythmique ?

Les changements sont pour beaucoup liés à la société, à sa vie de tous les jours. Si les gens se sentent trop seuls, ils vont chercher des trucs pour se réunir. Du coup ça pourrait être la valse, le tango, le kazatchok, n’importe quoi ! Tout est possible, du moment que ça permet aux gens de se rencontrer dans des clubs. Actuellement, quand ils dansent, les gens ne sont pas les uns dans les autres, physiquement ; donc se réunir, ça pourrait bien être une recherche. Ça fait un peu club échangiste dit comme ça, mais c’est ça. D’ailleurs, la nouvelle musique pourra tout aussi bien venir des clubs échangistes… Cela dépend du côté où la société va souhaiter aller, si c’est vers la libération ou l’enfermement. Les créatifs ne peuvent rien à ça ; ils peuvent seulement respirer ce qui se passe.

Du point de vue politique ?

Un groupe, c’est déjà une entreprise en soi. C’est pour ça que ça marche mal en France, parce qu’un groupe a besoin d’un chef et qu’en France on se retourne contre les patrons. Donc le groupe se casse la gueule. Les Anglais sont capables de tenir longtemps car ce sont tous des chefs et ils ont décidé de travailler ensemble. On devrait avoir des syndicats de groupe, la CGT de l’électro. Mais quand même, les gens doivent penser à ce qu’ils fabriquent et pas au groupe. La résolution finale du produit, c’est ça l’objectif quand t’es en studio. Si tu penses à ta gueule, ça ne marche pas. Si tu oublies le but, ça se casse la gueule.

Du point de vue sociologique ?

Il faudrait revenir à des écoles avec des maîtres. Moi qui ai vécu avec des peintres, dans les ateliers il y avait un maître qui dirigeait. Tu prenais des coups dans la gueule mais tu pouvais devenir assistant du maître un jour, puis maître toi-même. Mais on ne dit plus ça de nos jours, ce n’est pas politiquement correct. Moi j’ai été repéré par mon institutrice car je jouais du piano dans le préau ; à l’usine j’ai été aidé par un militaire, un ancien d’Algérie, il m’a fait rencontrer un pianiste de jazz qui m’a montré des trucs… En réalité, il y a des gens biens partout ; comme des crapules, d’ailleurs. Tiens, la voilà, ma vision : la musique de demain sera celle des gens biens partout.

Black Devil Disco Club // « Magnetic Circus » // Lo Recordings / Alter K
En concert le jeudi 20 décembre à la Maroquinerie pour notre Gonzaï X, avec Jeremy Jay et Bataille Solaire. Toutes les infos ici


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