En France comme en d’autres contrées poussiéreuses, la course au gisement d’or ne ressemble pas vraiment à un western filmé par des pizzaïolos en stetson. On peut bien essayer d’identifier les cow-boys (Yussuf Jerusalem, la classe et la précision), les indiens (Koudlam, les Mantis : un peu de Peyotl pour assaisonner vos plumes ?), même la cavalerie (les Cavaliers tiens) ou encore tous ces jeunes gens droits dans leur bottes qui s’y mettent à plusieurs pour faire trembler les parquets, mais rien n’y fait: la posture du Sheriff Perkins parait bien désuète face au boucan des concurrents; pourtant sa présence semble prouver que ni Paris ni le rock ne sont destinés à devenir des villes fantômes. Récit d’un récit.

Ca fait quelque temps qu’il ne croit plus aux étoiles et qu’il a rejeté l’idée d’insignes distinctifs sur son veston. Pas besoin, le Sheriff a d’autres instruments pour arguments d’autorité. Une caisse claire option double pédale, d’abord. Le genre de canasson qu’on monte fièrement pour parader devant les bonnes dames et réduire au silence les insolents. Pur amour des gros calibres et des cadences qui tirent les pieds et allongent les miles. Tu f’ras gaffe gringo, y’a ton son qui galope. Un parabellum à six cordes, ensuite. Ca perce dans le vent, tant pis pour les oreilles fragiles, on n’est pas là pour ménager les vierges ou épargner les orphelins. Ici, pas d’armure ni de principes moraux en étendard. On joue sa face -la vie comme l’honneur- à même la peau. Et crachez-moi ces foutus harmonicas. Une voix à déferrer les chevaux, enfin.  Pas de temps pour les politesses, à peine ouvre-t-il la grotte rocailleuse qui lui sert de gosier que les garçons de café comprennent qu’on n’arrose tel gouffre qu’avec du malté.

A son tableau de chasse, un EP et un album, Gruesome Death Awaits Us All. Pas d’entailles à son gourdin, les compteurs de victoires restent moins éloquent que la danse macabre qu’on lance à chacune de ses sorties.

Quand un soir d’été, j’ai rencontré le personnage pour la première fois, l’urgence de sa prestation a rythmé mes pensées, et j’ai tout de suite imprimé. Once upon a time dans l’est parisien, Sheriff Perkins n’est ni Fonda ni Bronson, mais le Cheyenne. Même bagout, même sens du sacrifice. Aucun compte à régler, on joue fort pour imposer le silence dans l’assistance, on éructe gras pour faire rougir les veuves fatales. Quelque soit le saloon (capitale ou province, mère patrie voire au-delà), le Sheriff ne joue ni aux cartes ni du piano défoncé. As de pique gominé, il impose sa loi et défie quiconque ne craint le goudron et les plumes. Pas facile d’accoster tel monolithe de cuir électrique, mais mes éperons brillaient de trop pour que j’impose le respect. Ma tronche en 16/9ème, je tente le coup et bingo. Wanted : la lonely life du bonhomme. Au fil des réponses, j’anticipe sa fin de journée. Satisfait du devoir accompli, le Sheriff regagne sa casa branlante de Clichy. Un rapide coup d’œil aux portraits de Bob Log et de Tommy Johnson, et il pose ses boots sur le rebord de la fenêtre. Le Big road blues guette tandis qu’au loin, les mornes plaines l’emmènent vers ses camarades missionnaires. Certains sheriff comme lui, tous one-man band. Il pense pas mal au Brésil et à Chuck Violence, associé principal de son entreprise de démolition. Là-bas, les gauchos règlent leurs comptes en pleine rue, la caisse claire sur le béton, la voix qui déraille entre les tours. Tous les badauds ne s’arrêtent pas, pas de paradis pour les bruitistes solitaires. Mais certains se figent et immobilisent leur journée quelques minutes. Chaque seconde d’étonnement, de défi, de confrontation à quitte ou double est motif de célébration pour la corporation. Ils n’ont rien à gagner, seulement des routes sinueuses à défoncer à la pioche.

La nuit est maintenant tombée et le Sheriff est sur son télégraphe. Un télex pour Chuck Violence:

Chuck,

Toujours consternant, rarement décevant. STOP. Personne dans la geôle, mais pas besoin. STOP. Pas d’ennemi attitré, seulement des âmes à toiser.

STOP.

http://www.sheriffperkins.com/sheriff.html
(En concert à la Java jeudi 21/04, dans le cadre de la soirée Fear and Loathing #3)

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