De Bordeaux, la musique nous vient par vents contraires. Ville rock mon pote, ou aire de repos pour babas desséchés du bulbe. Sharitah Manush résume cette ambivalence à merveille. Cow-boys qui descendent les passants ou simples casse-couilles fumeurs de vignes ? Je cherche la réponse parmi mes échanges épistolaires avec un correspondant local.

Très cher Vic,

Oui, cette lettre est parfumée au tandoori. Mais figure-toi que les salles de spectacles municipales du Périgord sentent fort l’encens. Tu connais sans doute ces vétérans hippies qui s’encroûtent dans tout morceau de verdure suffisamment grand pour accueillir leur caravane. Ces gens-là, je les méprise sans haine et les raille en souriant. Vieux sage en goguette, Didier Ridoux chaque soir tient conférence. Ses jeunes proies entretiennent leurs dreadlocks au savon de marseille. C’est parti, il ouvre les vannes et radote en pilotage automatique : pourquoi il a raté son train pour le Pakistan et comment il a fait tomber son 13th Floor Elevator, les menaces de la société de consommation et sa précieuse collection de disques, l’Etat fasciste et les sacro-saintes allocs, la drogue OK mais la nature surtout, le nucléaire pas bon pour la famille, l’autorité c’est un concept bourgeois et tais-toi quand je te parle, du respect pour les anciens. Quand je fatigue, je m’éloigne de ses bourrasques de patchouli verbal. Leur parfum d’hypocrisie me donne autant la migraine que l’odeur du mauvais tabac à rouler qu’il porte à même le châle.

Toi, tu sens toujours très bon.

Retrouver cette lettre d’un ami proche m’a certes fait sourire, mais reste peu riche d’enseignements. Didier Ridoux et ses semblables à poncho, je le côtoie aussi en région parisienne. J’élargirai même leur caste autant que possible : pas obligé de cramer jusqu’au dernier centime de leur RSA, certains sont même médecins ; en solo des terrains vagues aux PMU du coin, ou en famille avec maisons de vacances. Restent l’odeur de cochon grillé qui s’échappe des fourneaux et les idéaux qu’on accommode aux contraintes d’un monde finalement trop compliqué à changer.

Aussi, quand nous parvient au bureau un 45t signé Sharitah Manush, je reste sur mes gardes. Mentalement, j’active même l’alerte à la guitare gaga et au psychédélisme ironique.

Tremblez esthètes névrosés, vos pires angoisses cul-terreuses semblent résumées sur les deux faces d’un seul disque. Un vinyle vert translucide comme ces bonbons chimiques qui ne donnent le vertige qu’à l’estomac, planqué dans une pochette à l’artwork plus que douteux. D’autant qu’à l’écoute de ses précédentes productions, le groupe semblait perdu entre d’excellentes orchestrations opiacées dans lesquelles les Indiens fument du curry et les cow-boys s’enfilent la hache de guerre (Beyond the universe), et d’atroces fautes de goût à vous faire perdre foi en la simple idée de beauté pop (leur When I Was A Bird vole de travers aux côtés de celui de Michel Fuguain, échouant dans l’imitation du majestueux Blackbird de qui vous savez).

A la croisée des chemins sous le soleil du Sud-Ouest, Sharitah Manush semble avoir fait le bon choix. Ils ont laissé Didier Ridoux et ses corbeaux colorés s’occuper des carcasses en décomposition, et ont emprunté la voie rapide vers le grand Est. L’Inde pour ses instruments épicés qu’on maltraite toujours au même endroit, soit. Mais surtout le midnight train qui tranche la nuit, les transes express qu’on n’obtient pas avec du safran, et la seule émotion qui pouvait donner de la consistance à tel mélange vaporeux : l’agression. Fébrile tout le long de l’écoute, je remercie en silence ces Girondins cosmiques de participer au démontage du grand mensonge sixties selon lequel tout roule quand on plane, que du bonheur de partager son bol de riz, les meilleurs disques sont ceux qu’on passe à l’heure de la sieste.

Green Horses et Shining Star portent mal leur nom. Ici, c’est la lumière des sourires amusés qu’on éteint, et les stores zébrés qu’on abaisse pour alourdir l’ambiance. Les coupe-gorges de Saint-Jean ou les hectares de la pampa périgourdine, peu importe. Sharitah Manush parvient à nous faire oublier quel genre de gringos on croise partout où l’on a planté des guitares sèches.

Sharitah Manush // Green Horses // Bulbultara
http://www.myspace.com/sharitahmanush

Photo: Benjamin Guénault

1 commentaire

  1. un bon disque psychédélique français récent? le 45 tours des rennais de Sudden Death of Stars! une jolie surprise, en particulier la face B « don’t » et la pochette est superbe

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