Pondre un machin sur Van Halen en guise de ticket d'entrée pour Gonzaï est un challenge que seul un détraqué calamiteux pouvait relever. Pour tout dire, on aurait pu me demander d'écrire un billet sur la nana qui joue Annette dans "Premiers Baisers", j'ai dans l'idée que je n'aurais pas moufté des masses. Cela dit, Van Halen, ça tombait plutôt bien, je présentais le même génome, on allait gagner du temps en présentations.

Quand le rédac chef est venu me trouver en pleine séance d’autisme dans ma vieille cabane au fond du jardin bien rance que constitue le Gard made in maître Collard, il ne se doutait pas qu’il allait devoir se farcir un animal sauvage qui, arrivé en 1990, a décidé de faire demi-tour histoire de se repasser la bobine à l’envers et y trouver quelques coins où se mettre au chaud pendant qu’on déchargerait du Ace of Base benne après benne.
J’avais certes une solide réputation de gars qui ne connaît pas la queue d’un artiste qui ne remplirait pas au moins trois quarts des arènes de Nîmes, mais par chance ma réputation ne dépassait pas les trois rues alentour. Et quand j’ai pointé ma dégaine de Néanderthal fringué à la portugaise des campagnes devant la porte du Langs, avec un Van Halen cuvée 1979 pour faire semblant d’avoir un fond de savoir-vivre, le mec a accueilli tout le package avec un sourire aimable dont je ne sais toujours pas s’il traduisait une paire de bollocks en béton armé ou une aptitude à la patience un brin résignée jamais vue depuis Jann Wenner.

La patience, justement, allait être l’introduction du merdier. Quand j’ai atteint l’âge de choisir mon groupe favori, j’ignorais que le côté « Fan 2 » de ma vie allait se résumer à l’idée qu’on se ferait des passe-temps d’un agent de la DST passionné par son boulot. Des mois, des années, à chercher des traces de vie d’un groupe, parfois jusque dans les ruelles sordides du web profond. Ça sentait bon l’autisme, je me sentais un peu à la maison… Donc, ne demandez pas à mon encéphale dégénéré pour quelle raison j’ai décidé d’attendre une bonne année avant de proposer cet article à Maître Gonzaï. C’était juste histoire de poser l’ambiance.

Si Johnny Hallyday avait été un groupe de hard-rock, il aurait pu s’appeler Van Halen.

Van-Halen-Classic-Photo-5Ou un aimant à groupies qui veulent de la panoplie en tête de gondole et tout le cirque sex drugs & rock and roll en trois plages sur un CD à Prix Vert. Il suffit de voir débarquer David Lee Roth en 1978, un genre de lionne à la démarche de traînée qui ressemble à ce qu’on obtiendrait si on foutait le groupe Europe dans un shaker, pour comprendre qu’on est au cœur du cirque. La voix haut perchée qui glisse de temps en temps vers les rauques bandants, la lippe un peu molle histoire de faire clignoter « sex appeal » dans les yeux de quelques californiennes peu regardantes, un jeu de scène exclusivement situé dans les hanches et un morceau de périnée quand le Fahrenheit grimpe à trois chiffres, ce type était une telle caricature qu’il a touché plus près qu’aucun autre le concept de lead singer. Quand on jette un œil sur le groupe qui joue derrière lui, on se rend compte que Diamond Dave, ainsi qu’on le surnomme (probablement à cause de son artillerie d’accessoires clinquants qui en ont fait le précurseur du tuning) pourrait être l’atout charme de Van Halen même à peine réveillé d’un lendemain de déchire au 80°.
Derrière cette blondasse assez désarticulée pour faire ressembler un concert à un cours d’éducation physique de 4ème, nous avons Michael Antony, le bassiste, un croisement à la va-vite entre un ours et un texan nourri au Tabasco dès l’in utero, qui joue sur un instrument à l’effigie d’une bouteille de Jack, et les deux frères Van Halen : Eddie à la guitare avec son air de poupon explosé à la Marlboro, et Alex à la batterie, dont la présence semble être exclusivement destinée à coller au plus près du poncif qui veut que le physique le moins appliqué sur les finitions se retrouve planqué derrière les fûts. Un vrai bon groupe de rock qui ne fait pas très recommandable sur l’affiche et suit le mode d’emploi à la lettre, une bande de wild horses savamment rétamée pour faire grimper aux rideaux les feignasses en quête d’une discographie de mauvais garçon sans avoir à se taper 50 ans de carrière des Stones. And counting, qu’ils disent, de surcroît, alors bon…

vanband

Cela dit, au départ, comme beaucoup de clampins, Van Halen a longtemps été pour moi un truc à claviers pour stades de foot.

Un genre de new wave avec tout juste quelques légers excès de vitesse dedans, jusqu’à ce que le hasard (en l’occurrence un métalleux convaincu d’être en relation permanente avec Satan depuis un mauvais trip en cours d’histoire médiévale) me fasse tomber sur un Greatest Hits à la pochette noire… Le premier titre sur le CD était Eruption, un instrumental à la guitare qui sonnait comme si Eddie Van Halen revenait tout juste du crossroads, à une petite différence près : il avait lui-même arraché l’âme du diable à mains nues pour l’enfermer dans sa gratte. Résultat, une chevauchée d’une minute trente sur un engin qui carbure au magma et finit par tutoyer dangereusement le 300000/s quand la guitare entre en crise d’épilepsie. Et là j’ai compris que je n’avais pas une miette d’oreille absolue quand je me suis entendu dire « sympa le petit passage de synthé ». Ce que j’avais pris pour du Bontempi, rendu fou par trop de mauvais rhum, était juste de la bonne Fender qui partait dans un hoquet démentiel grâce à la technique du tapping. Le tapping, pour faire simple, c’est la façon dont on se met à jouer lorsqu’on découvre que sa corde mi aiguë est clitoridienne, quelques préliminaires chaudards qui vont et viennent sur les frettes et font gémir le Marshall à 12 ou 13. Pas de quoi réveiller même un quart de molle parmi les chicanos qui dégainent l’oh hisse d’enculé à tort et à travers dans le virage sud du stade vélodrome de Marseille…
Mais de quoi aiguiser la curiosité, en tout cas si l’on vit dans un bled assez paumé pour ne capter que la radio associative du coin et son top 10 du hit-parade passé en boucle dans un été cogneur. Le tout en plein âge d’or de l’Amstrad, donc en plein pas âge d’or de Wikipédia, et la seule façon d’en savoir un peu plus était de trouver une gare pour se rendre à la ville et dénicher quelques chevelus susceptibles d’avoir du Van Halen dans les cartons. Et ce n’était pas plus mal, écouter la musique d’un groupe en dit plus sur lui que l’identité des actrices qui servent de compagnes à chacun de ses membres ou les marques de clopes que ceux-ci s’enfilent.

Premier album du groupe sous le bras, et première constatation, ces gars ont autant d’imagination que l’expert-comptable d’une PME spécialisée dans les galets.

Van HalenLe disque s’intitule « Van Halen », qui est lui même le nom de famille des deux frères à l’origine du groupe. Bon qu’à cela ne tienne, ça reste une bonne pioche, ce nom là résonne un peu comme la promesse teutonne de vieux metal à la bedaine bien pleine de bière, avec des relents de mois de juin à Clisson… Sur la jaquette, autour du nom du groupe, quatre photos, quatre types en action imparfaitement mimée, un gratteux qui exhibe son instrument comme pour titiller les junkies de la pensée freudienne au stade terminal, un chanteur blondinet à poils soyeux sur le torse qui aurait conduit les plus hargneux soldats de Civitas à « se chercher » (au mieux), un batteur dûment camouflé sous un effet de lumière grossier, et un sauvageon des montagnes en train de malmener sa basse comme s’il s’agissait d’un séquoia à dézinguer le moins proprement possible. Ouais, cette pochette était au rock ce que les pieds sont à la photo de vacances sur Facebook, un mal dispensable bien que nécessaire à la bonne compréhension de ce qui se passe, pour ceux qui comme moi ont une capacité de concentration équivalente à celle d’un flan pâtissier.

Des dégaines qui me changeaient un peu des mecs à Makina qui gravitaient autour de moi à l’époque, et du rock qui me changeait d’à peu près tout. Voilà comment l’histoire me fout dans le pétrin. Ça a duré longtemps, toute la discographie en boucle, longtemps. Et fort. Une musique qui la ramenait pas vraiment, finalement, c’était tout juste comme si quatre fermiers made in Nebraska étaient tombés sur des amplis gigantesques un beau jour dans leur champ et avaient décidé de consacrer leur vie à chercher à quoi ça pouvait bien servir.
Le pétrin, c’est que le temps que Van Halen débarque dans les villages du Sud de la France, il était déjà trop tard, les chanteurs s’étaient succédé, David Lee Roth avait été viré en 1984 et remplacé par Sammy Hagar (la version cartoon gentillet de Roth, pour faire court) le temps d’une décennie mielleuse, avant que les penchants autistes des frères Halen finissent par reprendre le contrôle de la situation. C’est là que je me pointe…

Aimer Van Halen, en gros, c’est aimer passer sa vie sur les forums non officiels pour s’abreuver de rumeurs et parfois se délecter de bulletins de santé avec les mots « cancer » ou « hanche artificielle » dedans.

On ne cause plus musique dans les cercles de groupies, on cause indices, recoupements, filatures, planques interminables dans des camionnettes de fleuriste… Van Halen est le seul groupe au monde dont chaque fan se doit d’avoir un dossier « Christophe Hondelatte » sur son PC ainsi qu’un indic qui traîne quelque part. Il arrive que le groupe donne des signes de vie, soit pour annoncer un concert qu’on attend encore des années après, soit pour annoncer un album qu’on attend encore des années après, etc. Sans déconner, ce groupe ferait passer Sixto Rodriguez pour les néons d’une boîte de nuit d’Argelès dont le proprio serait convaincu d’être au bord de la 66.

Eh merde, je crois que c’est pour ça que je les aime ces cons là, pour ce côté sauvage et ce mutisme assez prononcé pour faire encore un peu de barouf, parce qu’on demande aussi à ses idoles de pouvoir s’identifier un peu à elles quand on n’a pas assez sur soi. Et il est plus facile d’être bizarre quand on sait qu’il existe, quelque part, une poignée de types bizarres qui arriverait encore à remplir des stades sans même se faire chier à taper 140 caractères pour les vœux de nouvelle année.

Enchanté, je m’appelle Henry Le Sauvage, je ne sais pas jouer deux notes de Jeux Interdits à la gratte mais je suis capable d’enquiller tout le passage tapping d’Eruption en faisant la sieste.

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