Un adjectif accordé de façon étrange, un titre d'album en allemand, une origine strato-messine, tout concourait à faire de Scorpion Violente les rois de la fête à Ibiza. Mais ils ont choisi que non. Ca sera donc drone-core et réverbérations fumantes pour tout le monde, dans une ambiance glauque comme dans les concours miss beauté pour les 6/13 ans. Si Francis Heaulme organisait un jour chez lui un goûter d'anniversaire, sûr que la sono sera assuré par Scott et Toma.

Quand bien même vous pensez ne jamais avoir l’occasion de vous pourrir une soirée avec de la dark wave minimal synth neo folk post punk minimal post disco industrial italy – selon les tags du site du label – qui parle de viol, procurez vous « Uberschleiss » (2010), juste pour la pochette. C’est ce que j’ai fait et je n’en ai pas été déçu. Quel bonheur de recevoir l’objet barré d’un stickers Air Mail tout droit expédié de Bologne, Italie, adresse de Avant! Records. Sachant que le groupe est français de l’est, le bilan carbone de l’affaire est plutôt amusant.

Sitôt reçu, sitôt posé sur la cheminée à côté de mon disque de Fleetwood Mac. Une femme nue avec des seins – il me semble important de le préciser – portant une cape rouge et une tête de bouc en plastique avec trois cornes, levant son bras poilue vers le ciel. Au fond, une texture de mur moche évoquant un vieux donjon d’un jeu vidéo Atari ou alors une séance de D&CO qui aurait mal tourné. Ce méchant c’est le diable, le baphomet, l’entité androgyne. Il est alors de bon ton de renier le Christ puis renoncer au salut, en échange d’avantages en nature qui ne sont pas vraiment spécifié dans le contrat.

Souillure mentale

Ne mettez surtout pas encore le disque sur la platine. Il y a d’abord les titres des chansons, tout un voyage : Viol et Revanche, 13 ans presque 17, Fugue de Pute Mineure, un vrai sommaire de « Faîtes entrez l’accusé ». Le disque est rouge, pour sûr un bel objet, et la question de savoir si cela ne va pas être saisi et finir sous scellé dans un cagibi du tribunal de grand instance de Strasbourg ne va pas tarder à se poser. Pour le moment le crime ne semble pas encore avoir été découvert. Une certaine sérénité règne. Celle des forêts de l’est au petit matin, une pelle à la main.
La musique est souvent question d’humeur et de circonstances. A cette aune, « Uberschleiss » n’est pas vraiment du tout terrain. En famille, autour du roti d’agneau sauce menthe, il faut oublier. Lors d’un diner romantique non plus. Cette scansion, Christopher Walken, ça la met mal à l’aise. Autour d’une partie de PES entre potes ? Ca donne envie à tout le monde de lâcher le ballon et creuser des trous dans la pelouse pour y enterrer des choses. En voiture alors ? Ok d’accord mais sur une départementale, de nuit et avec quelque chose qui grogne dans le coffre. Un chien par exemple.

C’est malsain, c’est messin

Si l’occasion se présentait de rencontrer ces deux jeunes hommes, j’imagine la conversation riante et sympathique. Les questions fuseraient : « Alors le trip viol – inceste – mineure, c’est juste une pose ou un mode de vie ? » tandis que résonneraient les paroles de Viol et revanche (« You smell like butter, you smell like my sister« ). Ca continuerait comme ça: « Et donc vous avez sorti votre dernier opus à 666 exemplaires[1], pourquoi, c’est votre chiffre porte bonheur ? Et « The Rapist », c’est un titre qui sonne bien, vous avez reçu une subvention de la région Lorraine pour la promotion du disque ? Pensez-vous à l’instar du site dragueur.net que la meilleure façon de séduire une femme scorpion est de tenter un « un pseudo viol dans un coin sombre après une soirée brillante (le parking souterrain des limousines américaines semble particulièrement indiqué...) parce qu’elle aime les hommes forts » ?[2]

Scorpion Violente, femme indéfinie et déesse meurtrière, séance de BDSM de province cheap : « I can see your pale eyes / you can see my face cause you’re Christopher Walken » débité sur un synthé portamento, avec un accent anglais d’une laideur à peine masqué par le delay micro. Et nous revoyions là la dernière scène sublime du « King of New York », Walken blessé marchant au ralenti, sa vie fuyant par ses beaux yeux pâles, s’asseyant dans un taxi pris dans un embouteillage. « Drive », mais la voiture reste statique. La musique est magnifique, plan sur une vierge Marie et une croix pendue au rétroviseur tandis que la police boucle la rue. Ils s’approchent avec l’arme braquée sur le roi déchu et l’encerclent, s’abattant sur lui telle une nuée, tandis que nous le voyons crever, las et immobile, les yeux dans le vague. Aucun coup de feu échangé. Simplement dans le dernier plan, l’arme du déchu retombant comme la bite molle d’un pendu après son ultime pollution.

« The Rapist », leur dernier EP sorti chez Teenage Menopause, est du même tonneau. Triste comme un épisode de Derrick réalisé par Carpenter où l’inspecteur à la tête de batracien serait au prise avec une secte satanique dans la banlieue de Munich, voici Pumping Iron, pure electro-glauque, et son petit cousin dégénéré Backdoor action. Si on vous demande de quoi ça parle, vous répondrez que vous ne savez pas. En comparaison la reprise du Strychnine des sympathiques Cramps semble presque enthousiasmante.

Alors voilà les américains ont Suicide, les anglais Throbbing Gristle mais nous, nous avons Scorpion Violente. Ce qui est peut-être la seule justification à postériori de la ré-annexion de l’Alsace Lorraine en 1918. Nous n’avons cela dit pas à rougir. N’ayons pas de complexes culturels vis à vis de nos voisins : en indé glauque, on cartonne. Sans compter qu’ils sont un peu plus frais que mémé Vega braillant sur sa chaise office dépôt sur les scènes des clubs miteux de Paris, ou que madame Genesis P-Orridge et son devenir vieille dame anglaise. Il n’y a certes pas là toute la palette de Throbbing Gristle : ça creuse exclusivement dans la veine de Slug Bait – quoi d’ailleurs, une cave aménagée ? Le registre est très Fourniret et sonne comme une modernisation ironique de la question rock’n’roll : « Laisseriez vous votre fille épouser un Rolling Stone« . Avec Michel à la place de Mick.

Scorpion Violente // « Uberschleiss » // Avant! Records (2010)
Scorpion Violente // « The Rapist » // Teenage Menopause (2012)

[1] Aucun presseur de disques n’ayant voulu prendre le risque d’invoquer Satan par mégarde en créant 666 exemplaires de « The Rapist », c’est 700 qui en furent pressé. Il y en a donc 34 dans la nature, hors commercialisation. Qui sont ils, que sont ils devenus, nos enquêteurs sont sur le coup.

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