Si Satan était vraiment une ordure, il ne passerait pas son reste d'éternité à mâchonner les trois plus grands traîtres de l'histoire – Judas, Brutus et Caïus - au neuvième sous-sol des enfers : il leur servirait des cocktails en leur disant : « bravo les gars ». Pourtant, voilà des siècles qu'on lui donne le mauvais rôle : celui de procureur, celui qui s'acharne sur les pauvres hères lors des leurs comparutions immédiates, celui de gardien de prison, tortionnaire à ses heures. Mais il ne juge en rien, le juge ce n'est pas lui c'est l'autre. Le mauvais rôle, le mauvais job. Donnez lui une guitare, il chantera du blues. La réédition de « Satanisme et sorcellerie dans le Rock » au Camion Blanc chante cette histoire.

1507-1Quelque part dans le Mississippi, un jeune guitariste, Robert Johnson, jusque là tout va bien. On dit qu’il a vendu son âme au diable, d’ailleurs le blues lui-même est décrit comme la « musique du diable ». Qui est l’accusateur ? Les pasteurs du coin, sur fond de racisme bien rance. C’est comme cela que s’est écrit l’histoire ; un homme chante ses problèmes de boisson et de couple, on l’accuse d’être le « diable », et il endosse l’accusation, et par là même devient accusateur. Ou plutôt porte sur lui fièrement les stigmates du diable, celle de la déchéance, comme pour en accuser les biens pensants : regardez ce que vous avez fait de moi. Nous en sommes alors à Marilyn Manson : « Nous sommes le résultat de ce que vous avez créé. Nous avons grandi en regardant votre télévision. Nous sommes un symptôme de votre Amérique chrétienne, le plus grand Satan de tous les temps. Voilà votre monde, voilà où nous avons grandi. Et nous allons continuer à grandir pour mieux vous haïr. » Bref, une fois de plus Satan c’est l’autre.

Dans ce procès, tout le monde se prend pour le juge en étant rien de plus que le procureur. « Le pape est la merde que Satan a chié dans l’église » disait Luther, tandis que les catholiques et autres Traditionalistes (avec un T majuscule) dénonçaient dans la révolution, la réforme et le rationalisme la trinité satanique à abattre. D’ailleurs en acronyme ça fait « Rrr… », ce qui est le grognement du diable. Chacun a ses raisons, mais dans le fond c’est Lennon qui a posé la problématique : « Le christianisme va disparaître. Il va perdre toute son influence et partir en fumée. Cela ne fait aucun doute. J’en suis certain et le temps me donnera raison. Nous sommes actuellement plus populaire que Jésus (…). Jésus était quelqu’un de très bien, mais ses disciples étaient des gens ordinaires, je dirais même des rustres. Ce qui a tout foutu en l’air, selon moi, c’est qu’ils ont complètement faussé son message. » Volonté de réforme sur fond de sécularisation, toujours la même histoire. Et Satan n’y est pas pour grand-chose.

Maintenant, oubliez la métaphysique du mal, oubliez Satan et prenez un bon gros connard, bien raciste, bien macho, un redneck qui en plus fait du folk à la guitare : Charles Manson. Il ne vient ni du ciel, ange déchu, ni des enfers, mais de Cincinnati dans l’Ohio. En fait, c’est un être humain. Un pauvre type qui a entendu dans le « White Album » l’annonce de l’apocalypse, qui chez lui signifiait l’extermination des blancs par les noirs. C’était statistique : parmi la masse des fans de Beatles, il y en aurait un qui dans Black Bird entendrait la prophétie de la suprématie noire au terme d’un génocide duquel il comptait réchapper pour mieux se venger et prendre le pouvoir à la tête de sa « famille »: « Black bird singing in the end of the night / Take these broken wings and learn to fly / All your life / You were only waiting for this moment to arise. » C’est une interprétation calamiteuse, fausse, et qui finalement n’est que le réarrangement de ses motifs personnels. Charles a entendu ses propres obsessions dans la chanson, ses propres voix. Mais qui, dans le fond, sont du même ordre que le délire sur la mort de Paul Mc Cartney.

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Illustration : Joe Coleman

A priori, il n’est pas bien difficile de réarranger le monde en fonction de ses idées. De tout ramener à sa marotte personnelle. C’est juste complètement con. Et méthodologiquement l’inverse de la démarche scientifique. En passant à l’envers n’importe quelle titre de Céline Dion, il est probablement possible d’entendre des appels à Satan. Dès lors, la pensée devient froide et mécanique, broyant toute extériorité pour la réduire à une conception personnelle, rationalisation morbide. Voilà le véritable visage du mal, dont les psychokillers sont les représentants les plus spectaculaires : Jeffrey Dahmer, Mengele, Ed Gein, Hitler… Ce sont eux désormais qui inspireront les Slayer et White Zombie, sur un mode plus ou moins carnavalesque.

« Satanisme et Sorcellerie dans le Rock » étant une réédition d’un livre de 1997 – c’est-à-dire d’avant internet – nous n’irons pas plus en avant. Possible qu’il n’y ait pas de chapitre à rajouter à cette histoire d’ailleurs. Car comme le dit Jota Martinez Galiana, la société est devenue tellement permissive qu’agiter des cornes de diables n’effraient plus grand monde. Dans le grand jeu du multiculturalisme, le Satanisme a tout autant sa place en tant que conception du monde que l’église de scientologie ou les adventistes du septième jour. Il semblerait d’ailleurs que même les messes sataniques soient désertées par les fidèles.

Jota Martinez Galiana // Satanisme et sorcellerie dans le rock // Editions du Camion Blanc

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