Il y a de ça quelques années, ce devait être en 2003, je me souviens d'avoir loupé

Il y a de ça quelques années, ce devait être en 2003, je me souviens d’avoir loupé Mazzy Star en concert à Paris. Mazzy Star. En concert. A Paris. A l’air libre en plus. En plein jour. Au Batofar. Arrivé trop tard, j’étais resté sur le quai. De loin, sur le bateau, je me souviens d’avoir vu passer la petite silhouette erratique et boudeuse de leur chanteuse. Mais ce n’est peut-être qu’un souvenir déformé. Pure fantaisie de ma psyché. Faut dire qu’à l’époque le folk onirique et vénéneux d’Hope Sandoval et de son guitariste David Roback me fascinait comme rarement musique ne m’avait fasciné.

D’ailleurs faut croire que rien n’a changé. Hier je jurerais les avoir vu en concert. A Paris. A l’International. Avec Sarabeth Tucek dans le rôle d’elle, Luther Russell dans le rôle de lui. Et dire que j’ai failli manquer ça.

6 mai 2009. Encore une journée où le simple fait de m’être levé, douché, caféiné, habillé me fit l’effet d’une œuvre d’art ultime. Une journée à penser que le simple fait d’avoir fait 2-3 trucs genre vaisselle, mails, poubelles, écriture et aimé en pensée ma famille, mes amis et un million de filles aurait dû m’assurer la vie éternelle. Mais encore une journée où le simple fait de sortir saluer mes congénères constituera un exploit majeur que l’humanité ne dédaignera pas se souvenir à l’heure de faire ses comptes. Une nuit, je le sentais, que j’allais encore finir couché à pas d’heure, habillé, seul, ivre, nicotiné. Avec un plat de pâtes dans le ventre.

Bref, le soir est venu et comme souvent les sirènes de la nuit parisienne sont venues frapper à ma porte. APRIL77RECORDS me disait « Ouééé, viens au Motel ! Y’a notre première soirée qui aura lieu désormais là-bas tous les premiers mercredis du mois et là on célèbre la sortie du single de The Bewitched Hands On The Top Of Our Heads. » Et ça me disait car depuis des mois, sans que je leur ai jamais rien demandé, ils m’envoyaient de supers vinyles sixties rock garage dont je n’ai jamais le temps de parler. Mais les filles de l’agence de promo WAAA me disaient « Ouééé, viens à l’UFO ! Y’a Medi And The Medicine Show qui fête la sortie de son deuxième album et il sera accompagné de son pote Charlie Winston. » Et ça me disait parce que y’aurait des filles (important les filles) et de l’alcool gratuit. Mais Alex de POK me disait « Ouééé, viens à l’Inter ! Y’a Sarabeth Tucek et dans le genre dark-folk-psyché parait que c’est bien. » Je ne savais pas qui était ce groupe, ni ce qu’il fêtait mais ça me disait parce que j’aime bien Alex, l’Inter’ et le dark-folk-psyché, Que faire ? C’était clairement un de ces soirs où il fallait avoir le don d’ubiquité et quelques thunes en poche (important les thunes). Je n’avais ni l’un ni l’autre. APRIL77 en a fait les frais.

A 21h, extérieur cuir et pieds cirés (ô reflet adoré), prêt à passer pour le chic type, je suis allé voir Medi, son pote Charlie (important les potes) et les Charlies Angels de chez WAAA. Et c’était bien parce qu’il y avait en effet du punch et des filles. En plus, sorte de mix entre Stevie Wonder, Kravitz et Bryan Adams la musique mettait bien l’ambiance (belle reprise du Like A Rolling Stone de Dylan). Oui, avec son folk rock anglophile décontracte, péchu et pas prise de tête ce Medi avait des chances de percer. Surtout si son nouvel album comptait les 3 pépites radiogéniques annoncées par Lisa. Parce qu’en plus Medi a une bonne tête (important la tête). Mais tout ça n’était rien à côté de qui nous attendait à l’Inter. Oui, car je n’étais pas seul ce soir. Comme Medi j’étais avec un pote, Stéphane, le batteur de La Féline. Et heureusement que je l’étais car y’a certaines situations où on se sent con si on n’a pas de pote pour partager ce qu’on a vécu. Vous savez, ce genre de situations où après la bière se fait le breuvage des dieux alors que c’est de la pisse, mais on oublie, on est ailleurs, et on a envie d’en reprendre une, puis une autre, et encore une autre, comme ça jusqu’au bout de la nuit.

Tout ça pour dire que ce soir Sarabeth Tucek donna l’un des meilleurs concert qu’il m’ait jamais été donné de voir. A un moment Stéphane m’a dit « Je sais pas si c’est parce que leur musique est superbe ou… »  Je croyais qu’il allait dire « parce que je trouve la nana à tomber mais j’ai l’impression de planer« , un truc dans ce genre, parce que c’est vrai qu’elle l’était, à fond même, tellement que je n’en pouvais plus même de la voir si brune, distante et ténébreuse dans sa robe noire à fleurs roses. Mes yeux applaudissaient à tout rompre. Et sa voix… Mais il a dit « Je sais pas si c’est parce que leur musique est superbe ou parce que je suis bourré mais j’ai l’impression de planer ». J’ai dit pareil. Et ma bière était quasi pleine.

Alex m’avait donc dit que la musique de ce duo new-yorkais était du dark-folk-psyché, qu’elle lui évoquait la rencontre d’Alela Diane et de Nico. C’était ça, oui. Alela pour le côté folk, Nico pour le dark. Sur scène comme ils n’étaient que deux, elle guitare-chant, lui guitare-chœurs, on n’avait pas le côté psyché que leur a donné sur disque Ethan Johns, le producteur de Ray LaMontagne et de King of Leon. Mais face à l’épaisseur charnelle du chant de Sarabeth, face à son timbre ténébreux plein de sex appeal (important, les ténèbres, important le sex appeal) le coté psyché on s’en chargeait très bien nous-même.

Je ne savais pas pour les autres. Connaissaient-ils le groupe ? Alex lui le connaissait pour avoir lu un petit truc dessus dans un numéro de Volume. Mais moi qui n’en avais jamais entendu parler nulle part, plus qu’à la petite Sarah Ingalls de Nevada City où à l’icône allemande du Velvet Underground, tout cela me ramenait plutôt à un autre duo américain : Mazzy Star. Mazzy Star, groupe culte de l’indie pop pour avoir sorti trois albums de folk languide à la parfaite croisée du Velvet, de Julee Cruise (période Lynch) et de The Jesus and Mary Chain en 90, 93 et 96 : She Hangs Brightly, So Tonight That I Might See, Among My Swan. Mazzy Star pour la voix, toujours imitée jamais copiée, de moue rêveuse d’Hope Sandoval. Pure souffle que cette voix. Nuage, caresse, apesanteur. D’ailleurs vous la connaissez. C’est elle qu’on entend sur la célèbre pub Air France qu’illustre « Asleep From A Day » des Chemical Brothers. Et c’est presqu’elle qu’on a essayé de vous vendre avec Headless Heroes, album de reprises où deux producteurs ont noyé Alela Diane d’effets reverb pour la rendre plus vamp. Mielleuse médiévale. Avec succès (belles cover de Daniel Johnston, Nick Cave et… The Jesus and Mary Chain).

Mazzy Star donc. Sauf qu’à l’inverse d’Hope Sandoval Sarabeth Tucek tient la gratte. Et ça change tout. Car ainsi elle ne passe pas pour une jolie chose dont on se demande si elle comprend ce qu’elle chante. Et si tout ça c’est elle. Non, avec elle on sent qu’à chaque souffle, chaque note c’est son histoire qu’elle raconte. Ça fait comme des échardes douces amères. Ça se voit dans ses yeux. Sourcils froncés comme un arc tendu. (J’avais envie de fondre sur elle. M’immoler là-dessus. Disparaître.) Elle n’a donc pas besoin de jouer les lolita amazone, ce que fait une Hope Sandoval surconsciente de sa beauté.

Bref, j »étais tellement sous le charme que j’en fouillais mes poches. Allais-je avoir assez pour m’acheter leur disque à l’issu du concert ? Je fais jamais ça, acheter un disque, car en tant que journaliste d’ordinaire ce n’est pas moi qui vais à eux mais eux qui viennent à moi. Mais là cette question me pressait : allais-je avoir assez ? Surtout que j’avais faim et que j’aurais sans doute encore envie de boire. Cruel dilemme. Et j’étais tellement sous le charme que dans mes brefs sursauts de conscience je me voyais prendre mon téléphone pour dire à Adrien de chez Fargo qu’il fallait qu’il les signe. Je me disais même qu’une fois chez moi il faudrait que j’ai assez de force pour prendre le temps d’écrire tout ça avant de m’écrouler et d’en profiter pour vous parler aussi de l’irlandais Declan De Barra, un autre des meilleurs concerts de ma vie dans le genre dark-folk.

Hé bien vous savez ce que j’ai fait ? Après le concert je suis allé voir le groupe. Elle et lui discutaient avec leur pote Chris Stills. Oui, Chris Stills, le fils de Stephen Stills et de Véronique Sanson. J’avais eu un peu de mal à le remettre quand je l’avais vu avant le début du set mais je l’avais direct repéré à sa gueule d’Apollon. Le genre de gueule qui vous accroche et vous fait dire que vous l’avez déjà vu quelque part, mais plus dans les médias que la vraie vie. Je suis donc allé voir le groupe et je leur ai dit que j’avais trouvé un truc de fou : « J’ai trouvé votre concert fantastique, y aurait-il moyen d’acheter votre disque là, maintenant ? »

Avec Steph et Alex on s’est cotisé pour s’offrir Sarabeth Tucek, leur unique album qui n’est distribué qu’au Royaume Uni (Pinnacle, 2007). En échange d’une clope, Luther nous a même offert un exemplaire du 45 tours qu’ils viennent de sortir spécialement pour la France. Parce qu’ils font actuellement une petite tournée française. On a sympathisé avec lui, super. Mais pas un mot avec elle. De retour à l’UFO pour une ultime bière qu’on ne pourra pas prendre faute de temps (important le temps) et de monnaie (transformée en CD) on a juste pu dire au WAAA girls et au programmateur de l’Inter lui-même qu’ils avaient raté le concert du siècle (le pauvre il avait été voir Stuck in the Sound et ça avait été carré, sans plus). Et pour finir, loupant mon dernier métro, je me suis encore délesté de quelques euros de plus pour me rentrer en taxi. Après quelques mots jeté sur une feuille, je me suis couché bourré, nicotiné, les pâtes au ventre, plus pauvre et moins avancé que jamais quant à mon avenir. Mais mince momentanément j’étais foutrement heureux. J’avais un texte pour me lever lendemain.

http://www.myspace.com/sarabethtucek

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