« Ca devait être un disque de techno ou de coldwave. Mais en fait j'ai pas réussi, du coup j'ai fait un disque de chansons avec des vieux synthétiseurs et les moyens du bord ». A propos de son premier disque paru chez Ego Twister, San Carol a la main lourde. Mais à défaut d’avoir été touché par la grâce, il vient d’être désigné du doigt par l’un des apôtres de Dieu, le bien connu Saint Thétiseur.

1379125_230410987117387_2028981028_nTout débute par une prise de bec sur Facebook, un jour comme les autres. Visiblement, le type n’a pas apprécié un papier sur – enfin surtout contre –  les billets durs de Christophe Conte. La belle affaire. « C’est tellement poseur comme billet […] parle de choses plus intéressantes […] j’aimerais comprendre plutôt qu’avoir l’impression de voir un mec se planquer une fois de plus ». A ce stade le lecteur a déjà compris que le type en question me les brise déjà menues menues. De fil (de discussion) en aiguille en passant par des messages privés, j’apprends que le type – à ce stade c’est encore un anonyme – en plus de me chier publiquement sur les bottes, dispose d’un disque qu’il aimerait « vivement me faire écouter ». Bordel de nom de dieu, c’est un comble ! Impression de me faire insulter dans la rue par un vendeur à la sauvette me proposant, après m’avoir traité d’incapable vendu au capitalisme, d’acheter l’une de ses Tour Eiffel clignotantes. J’accepte par politesse ; le disque finira sur un coin du disque dur et l’incident sera clos,  l’objet dématérialisé prendra la poussière sans avoir eu le luxe d’être passé par les enceintes, comme un bon paquet de disques autoproduits à la con qu’on a lâché après 30 secondes d’introduction avec des boites à rythmes mimés à la bouche. Mais non, le type revient à la charge. Une fois. Puis deux. Puis trois. C’est qu’il est sacrément collant le bougre. Et qu’il a sacrément raison. Pourtant je fais front, je refuse d’écouter le disque, faut pas non plus déconner. Quant arrive un message amical du parrain Rubin Steiner[1] (« tiens, voilà la nouvelle sortie de mes copains Ego Twister j’aime bien alors voilà ») qui, je vous le donne en mille, renvoie encore vers ce même type, je craque. L’histoire de « La main invisible » débute ici.

« La main invisible » est, en plus d’être un album électronique du plus bel effet, un disque véritablement fait avec les mains ; d’une part pour sa confection artisanale qu’on devine derrière chaque accord plaqué, mais aussi car la paire de synthétiseurs qu’on entend au premier plan renvoie aux plus belles heures du clavier branché sur 220V, qu’il s’agisse de John Carpenter, de Suicide, de tous ces angoissés bourrés de diurétiques ayant au milieu des années 80 transformer leur angoisse d’une coupe de cheveux merdique en futur indémodable. Découvrir toutes les qualités enfouies à l’intérieur, en plus de nécessiter plusieurs écoutes attentives, est d’autant plus surprenant que San Carol ne paie pas de mine et que, comme on l’a vu précédemment, la tentation de voir en lui un énième lapin de six semaines à la recherche d’un quart d’heure de célébrité américaine est plutôt grande.
C’est en fait tout l’inverse. Agé d’à peine 22 ans, Maxime Dobosz – voyez comme on a changé de sphère, ce n’est plus le type anonyme du début – pioche dans la palette des sentiments indicibles pour se tailler le portrait ; on passe du romantisme à l’épouvante, du cracra intimiste au rock froid de 2035 en seulement neuf chansons qui, en plus de porter des noms aussi stupides que Hyppolite et Ripolin, Rouge Colère ou Tout ce que vous n’avez pas eu le temps de voir, s’avèrent aussi dévastatrices qu’un pot de peinture fluo jeté du sixième étage.

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(C) Fred Lombard

« La main invisible », il faut bien le reconnaître, n’a pas d’objectif ni de grands propos. On ne découvrira pas, derrière cette pochette rétro-vintage tirée du graphisme Amiga des années 80, une vérité qui nous monterait le chemin pour les dix prochaines années. Tout au plus pensera-t-on à la sensualité robotique déjà entrevue récemment chez Câlin ou chez Ricky Hollywood ; soit d’autres Français autant influencés par la B.O. de Blade Runner que Duke Nukem, les frères Bogdanoff ou encore les boites glauques de notre enfance où l’on se faisait tous, quoiqu’on en dise, piteusement recaler.
Faussement moderne et encore trop jeune pour être taxé de passéisme, San Carol est à l’image d’une génération, le cul entre deux chaises en plastique. Les qualités des morceaux en font presque oublier tout le reste, la pollution chimique dans la stratosphère, le prix des tickets de métro qui ne cessent d’augmenter, le fait que cette génération Y ne prendra pas plus le pouvoir que celle des skateurs des années 90 ou encore le fait que le synthétiseur, en dépit des clichés véhiculés depuis des plombes, n’est pas né la veille de votre naissance. Maintenant que vous avez appris qu’on doit son invention à un certain Thaddeus Cahill (1867 – 1934), créateur en 1897 du telharmonium, considéré comme le premier instrument de synthèse, ne vous reste plus qu’à écouter ce disque de futur d’aujourd’hui en savourant ces mélodies qui se jouent avec un seul doigt. Invisible peut-être, mais certainement pas inécoutable. Tout l’inverse de Christophe Conte.

San Carol // La Main invisible // Ego Twister Records (CD et vinyl)
http://egotwisterrecords.bandcamp.com/album/la-main-invisible-vinyl-lp-cd


[1] A propos dudit disque, il écrit dans la biographie : « Il faut au moins être né en 1991 pour avoir l’audace de se frotter aux synthés des années 80 qui n’ont plus bonne presse chez les vieux comme nous. Il faut également beaucoup de talent et de classe pour arriver à nous faire aimer à nouveau cette époque, ces époques même, qui ne cessent de confondre technique et musique : San Carol fait de la musique, de la BONNE MUSIQUE, qui rappelle certes des vieux machins dont DMX Krew avait déjà sublimé le souvenir, mais avec l’intelligence de l’imaginer comme la musique de demain, et non pas celle d’hier. Les nostalgiques du fluo et de l’aérographe seront tenté de vouloir rattacher cet album à la famille des Kavinsky, College et compagnie, mais ils auront tort. San Carol, ne fait pas du neuf avec vieux, il fait du neuf tout court. Et j’aime vraiment beaucoup ça ».

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