Dans une époque où chacun croit en sa complète liberté artistique sous prétexte qu’il n’a de compte à rendre à personne, Ricky Hollywood publie aujourd’hui un disque comme on imagine qu’il aurait pu sortir en une autre époque, difficile à dater. Sur « Ricky et les dix-iples », comme son nom l’indique, ils sont dix. C’est marrant, parce qu’à l’écoute, on dirait qu’ils sont cent.

On le croyait normalisé, bien dans sa trentaine en coton et revenu des mélodies de poche composées dans un deux-pièces, c’est raté. Ricky Hollywood, hier le plus bel espoir de la France des artisans, revient au bidouillage deluxe avec une grosse clef de douze. Enfin, de dix. Puisque c’est le nombre de musiciens présents sur ce disque accidentel.

Reprenons l’histoire par le début. La salle du Confort Moderne, à Poitiers, a décidé d’inviter l’ex-batteur de La Féline (et aussi ex Poster Moderne), désormais reconverti à son compte, à enregistrer un disque en cinq jours et cinq nuits, dans le cadre de leur programme Rencontre du Troisième Type. Comme si cet exercice n’était pas déjà en soi un exploit, il fut également proposer à Ricky Hollywood de recruter son backing-band parmi des dizaines de musiciens amateurs ayant candidaté pour cela et retenus par le musicien aux quarante kilos tous mouillés en fonction de critères comme la motivation, les origines géographiques ou encore le niveau de maitrise de leurs instruments. Le résultat de ce casting qui aurait pu tout aussi bien ressembler à un reboot de Loft Story se nomme « Ricky et les dix-iples ». Et, croyez-le ou pas, mais cinq titres (et un documentaire, à regarder plus bas) Ricky et ses guérilleros ont réussi à produire une espèce d’étrangeté à la fois poétique, légère et surtout : enfantine.

Dream Team

Si le terme enfantin est ici important, c’est non seulement parce que les derniers essais de Ricky Hollywood laissaient à penser qu’il était un peu rentré dans le rang (le pénible et trop rose L’amour peut-être, hit des plages Télérama 2014) ; voire avait fini par admettre que son songwriting brûlé au quatrième degré, entre vraie écriture dada et déconne innocente, ne suffirait pas à fédérer une foule assez grande pour remplir une rame de métro. Mais voilà, « Ricky et les dix-iples » est une claque, une vraie surprise. En se faisant remettre les clefs d’un château (oui, un château) au parfum Ricoré pendant moins d’une semaine, Ricky et son attelage improvisé, composé de personnes d’horizons et d’univers radicalement différents, sont parvenus à écrire from scratch trois merveilleux morceaux où l’âme de feu Pierre Barouh semble s’être allié au meilleur de Philippe Katerine. Rajoutez deux remix cosmiques (par Astrobal et Pointe du Lac) et l’aide de Benjamin Glibert (Aquaserge) et Maud Nadal (Halo Maud) et vous obtenez cette opération commando préparée dans ce qui pourrait bien ressembler à des sessions au château d’Hérouville en 1974.

Ricky et les dix-fférences

Si le mini-album, forcément signé chez La Souterraine, se démarque tant des autres productions, c’est que tout y est dit avec précision en un temps minimum. Les morceaux composés à l’arrache puent le bonheur, la fête et la joie ; sans jamais verser dans l’angélisme qui gâche tant de morceaux aplatis au fer à repasser par des directeurs artistiques aussi visionnaires que Gilbert Montagné dans un train fantôme. Matin et ses chœurs à la samba si Saravah, fait furieusement penser au « Nino and Radiah » de Nino Ferrer, pour son côté champêtre qui donnera à celui qui l’écoute l’envie de fumer tout le gazon présent à deux pas du studio. La grande réconciliation, cette tentative de reggae mid-tempo (lapsus), évoque La Marseillaise de Gainsbourg à la sauce Aquaserge ; avec le petit pas arythmique qui donne au morceau un air de tube aquatique. En gros, autant pour les fans de Bob Marley que pour les amateurs de pisciculture ; voyez comme ça donne envie d’écouter. Enfin, Danse dans le cosmos s’écoute comme un indescriptible gimmick boogie-disco plaqué sur ce qui ressemblerait à de la chanson française si elle était jouée par des batteurs de funk avec solo de guitare abusé. Mention spéciale à la conclusion du poète Ricky, finalement toujours un peu perdu sur sa planète : « Salut les petits chats, je voulais vous annoncer une bonne nouvelle : on va tous aller danser dans le cosmos. » Parfait.

Ricky Hollywood : le film

Bien plus abouti que « Forever Le Bon Coin [1] », en ce sens qu’il apparaît plus construit dans un format chanson, l’enregistrement de « Ricky et les dix-iples » a également été filmé. Et c’est précisément là qu’on touche au chef-d’œuvre. Après avoir écouté cet instant de perfection d’une durée de 24 minutes, découvrir les coulisses de l’enregistrement et tout l’amateurisme (au sens noble), devient subitement surréaliste. Après une introduction digne du générique de Châteauvallon, le mini-film de François-Xavier Richard laisse entrevoir des séquences d’une simplicité touchante ; au hasard Ricky conduisant les séances avec sa légendaire modestie coupable, ou encore des séances de débriefing improvisé sur une terrasse avec café, croissants et T-shirts pas repassés; chacun apparaissant alors à son désavantage (et donc, paradoxalement : au plus juste de ce qu’il est). À mille lieux des storytelling factices tels que la pop les vend désormais par paquet de douze (merde, de dix), et tellement vrai qu’il en devient presque difficile de le décrire. Dans la dernière scène du film Ricky et les dix-iples, Ricky finalise en extérieur avec son groupe de travail les chœurs de La réconciliation. Satisfait du résultat, il hoche la tête avec la main appuyée sur une table de ping pong. Rien d’autre que ce moment ne pourrait mieux illustrer ce nouvel Hollywood.

Ricky et les dix-iples chez La Souterraine
souterraine.biz

[1] Lui aussi composé à l’invitation du Confort Moderne, dans le cadre de son programme À la rencontre du troisième type.

3 commentaires

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