Richard Prince est-il une pourriture qui brade l’underground au grand capital dans une muséification des vrais rebelles, gagosianifiés et vitrinisés à température et hydrométrie stable ? Ou alors, est-ce que l’on jalouse finalement son succès, son argent et tout ce que les hérauts de l’underground font semblant d’ignorer – à part Warhol, mais Warhol est Dieu n’est-ce pas – en silence ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Rappelons que Kerouac écrivait ses romans chez sa maman, la machine à écrire bien calée sous le crucifix. Rappelons que Jean-Paul Sartre écrivait des articles pour Playboy. Disons que Prince à la BNF ce n’est pas Koons à Versailles. En vendant des tableaux dérivés de couvertures pulps à des millions de dollars, à des yuppies auxquels on souhaite de croiser Patrick Bateman au sortir d’un cocktail corporate, Richard Prince pousse un peu plus loin l’entreprise de démolition de Warhol. La culture n’est plus ce qu’elle était, la culture d’ailleurs n’est souvent qu’une construction à posteriori, fiction d’un âge d’or qui dans le cas de l’Amérique n’a jamais vraiment existé que sous la forme d’une succession de fantasmes.

Prince nous rappelle que la culture américaine est une culture de ploucs, qu’elle ne se fonde pas comme en Europe sur la production élitaire d’un groupe qui peut raffiner une production jusqu’à un substrat intellectuel supérieur, mais qu’elle se construit dans les supermarchés, les salles de concerts et les bars. Etre écrivain, ou artiste d’ailleurs, aux Etats-Unis, c’est un métier comme un autre. Et l’imaginaire qui nourrit tous ces auteurs n’est pas tant celui d’une haute culture transcendante que celle du quotidien dans toute sa vulgarité et sa puissance de masse. Cela veut dire Bukowski, mais cela veut aussi dire Delillo et son Outremonde, pavé intense qui commence par décrire sur cinquante pages un match de baseball. Cela ne veut pas dire que les artistes américains sont incultes. Au contraire, ils sont juste moins pompeux et, dans l’ensemble, vouent un culte absolu à Flaubert, l’homme qui a écrit l’histoire d’une pauvre fille mariée à un médiocre médecin de campagne, qui s’emmerde tellement qu’elle flambe toute sa thune en séances compulsives de shopping, prend un amant par désespoir avant de se suicider d’une manière nettement moins élégante que Juliette – voir les films de Baz Luhrmann et Claude Chabrol pour ceux qui ne savent pas lire.

Richard Prince est emmerdant parce qu’il fout en l’air notre conception classique de l’art. Il fout en l’air l’équation déjà bien malmenée : c’est beau = c’est cher. En exposant à la Bibliothèque Nationale de France, le permis de pêche de Richard Brautignan, Prince rappelle quelle part de notre rapport à l’art est une pulsion fétichiste, sans le moindre foutu lien avec l’œuvre. En montrant un exemplaire customisé de Sonate pour une gouine, il provoque le même court-circuit transformant un livre dont on ne voudrait pas chez Boulinier en un livre rare des réserves de la Bibliothèque Nationale. En montrant un manuscrit du roman de Thompson signé par le leader des Hell’s Angels, Sonny Barger, un livre de Ruscah dédicacé à Leary, un livre de Rimbaud signé par Ginsberg et devenu l’exemplaire de Jack Kerouac, Richard Prince nous rappelle que ce qu’il y a de plus fascinant dans la culture ce sont moins les objets eux-mêmes que la circulation incessante des idées, des échanges, le réseau souterrain qui nous relie les uns aux autres.

Richard Prince //  An American Prayer //
Bibliothèque François Mitterrand, exposition jusqu’au 26 juin 2011

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