En septembre, si les gamins retrouvent les bancs de l’école, les adultes, eux, traînent dans les librairies, liste à la main, pour dégoter le coup de cœur de Télérama, la révélation de Libération ou, pour les plus téméraires, le conseil du Masque et la Plume. Culture oblige, chez Gonzaï, on écrit mais on sait lire, aussi. Alors, quitte à parler papier (cette vieillerie attaquée par le numérique), autant y aller franchement, et distribuer dès maintenant les bons points et les bonnets d’âne de cette rentrée.
Beigbeder, peut mieux faire
On commence par appeler au tableau l’élève Beigbeder. Venant de celui qu’on a un temps considéré comme la nouvelle plume française, cynique et érudite, son dernier travail rendu, Premier bilan après l’apocalypse (Grasset), frôle le redoublement. Métamorphosé en Jean d’Ormesson trendy, Beigbeder nous refait le coup de la liste. Il y a dix ans, il commentait les cinquante livres les plus marquants pour les lecteurs du Monde (Dernier inventaire avant liquidation), ambition littéraire un peu frelatée. Aujourd’hui il nous livre sa propre sélection des cent bouquins incontournables du XXe siècle. Autant dire qu’il enfile surtout des évidences (Ballard, Miller ou Salinger). Et quand il semble pertinent (Ellis, Adrien), il a juste vingt ans de retard ! Agrémenté d’une mini bio de chaque auteur, son « essai » sent le coup éditorial, entre une notice Wikipédia et un guide à l’attention des branleurs qui ne veulent pas faire l’effort de fouiner par eux-mêmes, et préfèrent suivre les préceptes de l’homme adoubé par les médias. Malheureusement, ils risquent d’être nombreux, ces lecteurs du dimanche qui s’achètent une culture pseudo-décalée pour moins de vingt euros.
Shakespeare, élève motivé, très bons résultats
Passons à l’élève Nicolas Shakespeare. Avec un patronyme pareil, la barre est haute pour ce romancier anglais. Dans Héritage (Grasset), on apprend comment un type lambda se retrouve à la tête de plusieurs millions de livres en se trompant d’enterrement. Excavant le passé du défunt pour élucider le mystère de cette succession hors norme, le roman s’attèle à décrypter la construction d’un mensonge familial dévastateur. Si le pitch peut inspirer la méfiance, le style du Britannique fait merveille. Drôle, émouvant, épique et introspectif à la fois, voilà une copie qui mérite qu’on s’y arrête !
Filloy, fantasque mais très motivé
De son Argentine natale, Juan Filloy a conservé une exubérance haute en couleurs. Son roman Op Oloop (Mr Toussaint l’ouverture) narre dix-neuf heures et dix minutes de la vie du statisticien finlandais Optimus Oloop. Chronique d’un homme à la vie millimétrée qui va péter un plomb, le roman rappelle Sous le volcan pour le motif de l’errance (Optimus traîne sa carcasse dans les rues de Buenos Aires). Un poil abscons à la lecture, le bouquin oblige à la concentration, mais comme il n’y a pas de plaisir sans effort… Vous savez ce qu’il vous reste à faire !
Burnside, un peu rêveur, mais de sérieuses prédispositions
Dans Scintillation (Métailié), John Burnside nous invite dans l’Intraville. Cité industrielle construite dans le giron d’une usine chimique aujourd’hui désaffectée, l’Intraville se meurt. Population contaminée par des rejets toxiques, enfants qui disparaissent mystérieusement, un seul flic pour gérer le marasme, autant dire que le titre du roman fait plus écho au style du livre qu’à l’ambiance qui y règne. Navigant entre une enquête trouble et des personnages brutaux, la lecture ressemble à une plongée en apnée. Attention à la suffocation qui guette parfois le lecteur, face à des passages trop répétitifs (certaines scènes violentes), mais une plume à suivre.
Bortnikov, electron libre doué
Repas de morts (Alllia), le premier roman (en français) de Dimitri Bortnikov, lorgne clairement vers l’intime, vers les morts qui jalonnent une existence : la sienne. Sa mère, retrouvée raide sur un trottoir, sa grand-mère, babouchka silencieuse, son grand-père, soldat des deux grandes guerres du siècle, son père déjà mort à ses yeux, et un cortège de putes, de crève-la-faim et de troufions de l’Armée Rouge. Dans une langue hallucinée, bourrée des saillies lexicales et syntaxiques à frémir (« Deux ans de pôle Nord. Deux ans sur les rives du Styx glacé. Blanc à perdre la vue. Glaces…Je transe. »), l’audace de Bortnikov confine au génie. Une insurrection verbale permanente.
Liberati, travail soigné, élève assidu, félicitations
Simon Liberati n’a pas raté sa rentrée. Son roman biographique Jayne Mansfield 1967 (Grasset) réussit le challenge impossible de raconter une légende sans user de superlatifs fatigants (travers habituel des bios laudatives) ou de détails triviaux (travers des bios non autorisées). Au contraire, il brosse un portrait humain de la bombe peroxydée, par le biais de trois moments de sa courte existence : sa rencontre avec le fondateur de l’Eglise de Satan, la première d’un festival à San Francisco, et l’accident. Sex-symbol absolu, « reine du plan média sauvage », Mansfield a inventé la star pour tabloïd. Liberati lui rend enfin l’hommage qu’elle mérite, et fait de sa vie une œuvre littéraire XXL.
Alors que la rentrée s’éloigne déjà, la période des prix littéraires (autre marronnier commercial) pointe son nez. L’occasion d’un panorama sur les bouquins qui ne seront jamais élus dans ces grand-messes autoproclamées, mais qui mériteraient pourtant d’être lus… To be continued.
3 commentaires
Faites moi le plaisir de remballer votre Beigbeder et jetez vous sur les mémoires de Samuel Fuller parues en août chez l’excellent éditeur Allia sous le titre « Un troisième visage ». Une vie exceptionnelle racontée par un des plus grands narrateurs du XXème siècle, formé à la rude école du journalisme de Park Row.
Dans cette « rentrée » littéraire (c’est drôle du reste, on ne les voit jamais partir en vacances, est-ce à dire qu’ils le sont all year long?), si l’on veut éviter de contribuer inutilement au dboisement des forêts et aux émoluments injustifiés des « attachées de fesse » de chez Galli-marre, une seule solution:
faire un « one shot ».
Une seule balle, un seul livre.
Pour moi, c’est « Rouler », de Christian Oster, chez l’Olivier.
Un peu de Nationale 7, un zeste de « the road ». La station service du temps qui passe.
C’est léger, vaguement mélancolique, clairement cruel.
Ca dit avec le détachement poli du desespoir tranquille que nous sommes seuls, épicétou…
Sandro
« Le coup de la liste », cette « ambition littéraire un peu frelatée », cette suite de « notices Wikipédia » qui permet de « s’acheter une culture pseudo-décalée ».
Vous parlez de Beig ou de GONZAI ?