Arnaud Maguet est réalisateur. Il est l’auteur d’un triptyque produit par le groupe Hifiklub qui rassemble des films singuliers, aussi différents que possible les uns des autres et dont le point commun est de se focaliser sur des musiciens exigeants et radicaux : R.Stevie Moore, Alain Johannes ou Lee Ranaldo de Sonic Youth. Entretien en plan, forcément, large.

Ne vous fiez pas au format 52’ – à priori, celui de l’unitaire télé – la trilogie d’Arnaud Maguet et Hifiklub est tout sauf formatée ; à fortiori, libre, inventive, toujours cohérente par rapport à son personnage central. Une triple rencontre aboutie entre l’équipe de production, le musicien pivot du film et le spectateur, avec trois films emballants par leur cohérence interne, alliée à une inspiration qui laisse la part belle au Hasard. Avant de laisser la parole à Arnaud Maguet, citons Pascale Ogier dans Le Pont du Nord de Jacques Rivette:

Une fois, c’est un Accident.
Deux fois, c’est le Hasard.
Trois fois, c’est le Destin.

Tu m’as dit avoir été assistant de Ben ? Raconte.

Oui, après mes études à la Villa Arson à Nice, de 93 à 98, j’ai travaillé avec Ben de loin en loin pendant quelques années. Principalement pour dérusher et classer toutes les images qu’il filme tout le temps, mais aussi comme homme de compagnie, je suis meilleur à ça qu’à peindre des fonds de toiles. Avec Ben, cela a dû durer environ 5 ans, avec des périodes plus ou moins denses. Ben à ce moment avait 5 ou 6 assistants qui travaillaient à tour de rôle suivant les besoins du moment, et les humeurs du bonhomme.

lee+hfk

Pour aller vite, comment bifurques-tu de l’art contemporain au rock ? Les Disques en Rotin, le quartet Hifiklub ?

Le rock, ou les musiques en général — je suis très fan de free jazz, de musique expérimentale, de country, de soul… — sont arrivés progressivement dans ma pratique artistique. C’est assez courant, chacun ramène dans ses recherches ses préoccupations périphériques pour les y exprimer. Je suis avant tout un artiste plasticien et un non-musicien, au sens ou l’entend Brian Eno — la musique étant une chose trop importante pour la laisser exclusivement à ceux qui pensent savoir jouer d’un instrument. Le premier disque de mon label date de 2000, c’est une collaboration avec mon ami Jean-Luc Verna. Personne ne voulant sortir ce disque, j’ai créé mon propre label [Les disques en Rotin, NDR] avec l’argent d’un collectionneur. Avec Hifiklub, le travail a commencé en 2010 pour une exposition à Toulon et l’édition d’un maxi 45 tours.

Quel est le déclic  pour R Stevie Moore, le film I am a genius (and there’s nothing I can do about it) ?

Avec Hifiklub, j’ai d’abord fait des pochettes, des clips, puis des films. Ensuite, j’ai été intégré au line-up pour faire de la musique. À présent, la chose est revenue sur un plan plus visuel, pour cause de manque de temps pour tout faire et d’options musicales parfois divergentes. Comme je te l’ai dit, j’avais déjà fait sur la scène artistique beaucoup de courtes vidéos. L’opportunité de réaliser ce film avec Stevie m’a effectivement permis de me lancer dans une entreprise plus ambitieuse, plus longue. Je me suis dis que s’il était une superstar du rock (comme il le croit), alors pourquoi ne serais-je pas réalisateur de film !

Comment as-tu travaillé avec lui ? Est-ce un control freak ou bien t’a-t-il laissé totalement libre ?

Stevie n’était pas du tout control freak, il laissait tout faire, tout filmer, proposait des situations et acceptait celles proposées. Simplement, la veille de l’envoi du film à l’usine de DVD, il nous a demandé dans un mail totalement anodin de supprimer son image et sa voix du film, justifiant d’un contrat signé avec un étudiant en cinéma et d’une soi-disant exclusivité sur son histoire. On s’est donc un peu brouillés et depuis, il vend à ses concerts des DVD gravés du film. C’est un bon résumé de sa stratégie de carrière…

Et qu’en est-il de ce soi-disant film avec un étudiant en cinéma?

Jamais fini, jamais sorti !

Sacré Stevie! Et quand nait ton idée de trilogie ? Est-ce avant le film sur R.Stevie?

Tout cela n’était pas planifié, les choses se sont enchaînées, les rencontres, les opportunités. La trilogie n’est apparue qu’à la fin, comme une évidence, une façon logique de nommer et d’arrêter la chose.

A propos de plans, tu m’as dit que le titre Plans make gods laugh [Plans qui font rire les dieux, NDR] vient d’un proverbe yiddish de la grand-mère de Johannes.

Alain vient d’une famille juive d’Europe de l’est qui a émigrée au Chili. Sa mère, pendant le tournage du film été très malade, mais elle avait gardée son solide sens de l’humour. On se plaignait des violentes pluies dans le désert, et elle nous répondait If you want to make God laugh, make plans! J’ai rajouté un « s » à God, je trouve ça moins dangereux en général.

D’ailleurs, les dieux vous ont joué des tours puisque de ce que j’ai compris, la belle voiture qu’on voit dans le film ne démarrait pas? Ca t’a donné l’idée de faire une sorte de road movie stagnant.`

La belle voiture, une Studebaker Avanti, nous a été prêtée au Rancho de la Luna à Joshua Tree par Hutch, l’ingé son des Queens of the Stone Ages et des Eagles of Death Metal qui habite là-bas. En effet, le road-movie immobile s’est imposé car je n’avais ni le matériel vidéo nécessaire (pied à ventouse, protections…) pour faire ça en mouvement ni la batterie adaptée pour démarrer la voiture !

En même temps comme on voit Johannes arpenter ce désert fascinant, on oublie la notion de sur-place. Quand Johannes a-t-il écrit la superbe voix off ? Tu lui avais donné des consignes ? Si non, il t’en avait demandé ?

Alain a écrit et lu le texte quelques mois après le tournage, quand j’étais en train de monter le film. On lui avait juste fait un découpage en quatre parties (origine/famille, adolescence/LA, Natasha/Eleven et présent/futur) et une indication de durée. Au final, j’ai très peu coupé pour que ça rentre dans le déroulé du film.

Comment a-t-il réagi quand il a découvert son texte et tes images? Il me semble qu’il a évoqué El Topo ?

L’enregistrement du texte, de son propre aveu, a été assez dur, ça a remplacé une visite chez le psy ! Seul dans son studio, un micro ouvert à gauche et une bouteille de vin rouge ou de Tequila (Patron, bien sûr) à droite. C’est son bon ami Mark Lanegan, fin cinéphile et à qui il a montré le film avant qu’il ne sorte, qui a pointé cette analogie avec El Topo de Jodorowski. Son récit est touchant, à la fois très personnel, bien sûr, et avec une dimension romanesque : son groupe Eleven et Natasha morte à 11:11. Je crois qu’il a été très honnête, qu’il s’est vraiment livré. Sa voix, la plupart du temps parfaitement posée, semble vaciller quand il évoque les derniers souvenirs de Natasha.

Last not least de la trilogie: comment s’enclenche le projet avec Lee Ranaldo ? Ce beau titre, In doubt, shadow him ! venait du fait que tu ne redoutes  qu’il t’échappe ?

Avec Hifiklub, nous voulions rebondir sur un autre projet après le non-succès (dont nous nous foutions) du film sur Alain. Nous connaissions Lee et il venait de faire un workshop à la Villa Arson, où j’enseigne à présent. La chose paraissait logique. Le titre vient d’une citation de Dashiell Hammett, un de mes auteurs préférés : c’est le conseil d’un vieux détective à un novice. Le rapport avec le titre d’un morceau de Sonic Youth (Shadow Of A Doubt, soit l’ombre d’un doute) ne m’est apparu que plus tard, par un ami vraiment fan du groupe.

Vu ta souplesse et la part que tu accordes au hasard, je me dis que tu n’avais peut-être pas prémédité d’emblée qu’il n’y ait pas Thurston Moore à l’écran.

Lee a choisi tous les intervenants du film. Ceux qui étaient disponibles ont participé. Aucun membre de Sonic Youth n’était prévu. Nous avons croisé par hasard Thurston, de passage à New York City, à un vernissage, il nous a invité à son concert le lendemain. C’était un jour off, mais j’avais mon appareil photo dans la poche, j’ai attrapé au vol cette unique séquence de Thurston au loin sur la scène et Lee au fond de la salle qui le regarde.

Donc, contrairement aux deux autres artistes, Lee a supervisé ton film. Du moins, il était partie prenante?  `

Il vient à l’instant de m’envoyer un email très détaillé avec ÉNORMÉMENT de changements qu’il souhaiterait faire dans le film. La négociation s’annonce serrée !

Quel artiste aimerais-tu suivre maintenant ?

Pour l’instant, personne ! Je pars en résidence au Maroc pour deux mois, et j’emmène ma caméra, je ne sais pas ce qu’il en sortira… J’ai peut-être l’envie de filmer les derniers disquaires existants sur place. Je ne les ai pas contactés, c’est juste une intuition. A Marrakech, il y a aussi le luthier qui a fabriqué mes flûtes. Nous l’avions rencontré avec mes amis Vincent Epplay, Ghazi Barakat et Nicolas Moulin quand nous avions enregistré Azurazia, il y a quelques années.

Plus d’infos : http://disques.rotin.free.fr/index1.html

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