Portée au firmament de la hype en 2010 lors de la sortie de son premier album, "For all the bruises, black eyes and peas", la Stéphanoise nourrie au rock de meuf qui en ont a bien failli se perdre dans les méandres du music business. Mais Lætitia a bien recadré Raymonde. Aujourd’hui, sa créature retrouve discrètement la lumière avec "S.W.E.AT.", un deuxième album dans lequel elle s’adonne sans contrefaçon à sa discipline favorite : une pop-punk minimale, plus épurée que jamais. Comme dirait Ardisson : « Interview double personnalité. »

On ne lui a pas demandé d’où venait ce pseudonyme à première vue un peu ridicule mais qui, au final, sonne diablement bien. Tant pis, là n’est pas la question. « Raymonde Howard » est le one-woman band que mène depuis une dizaine d’année Lætitia Fournier. Enseignante du côté de Saint-Étienne dans la vraie vie, la trentenaire est peut-être aussi l’une des songwriteuses les plus talentueuses de France. Faite de boucles et de ritournelles entêtantes, sa pop minimale teintée de punk et de blues s’immisce dans votre cerveau comme un couteau chaud rentre du beurre. Littéralement conquise par son premier disque en 2010, la critique ne s’y était d’ailleurs pas trompée. Certains requins non plus, qui ont bien tenté de s’approprier ses services. Mais on n’achète pas une ex-riot grrrl comme ça ! AlloLaetitia ? À moins que ce soit Raymonde ?

Lætitia, Raymonde Howard est ton alter-ego musical… Comment est-elle née ?

À une époque, je jouais dans pas mal de groupes plus punks, plus couillus, plus bruitistes aussi que ce que je fais actuellement. Et j’avais pas mal de riffs de guitare en stock ou des idées de mélodies de chant que je n’arrivais pas à placer dans ces groupes. Au bout d’un moment, je me suis retrouvée avec un stock suffisamment important de morceaux et un petit 4 pistes cassette sur lequel je les ai posés. J’ai sorti un CDR, on m’a proposé un premier concert et voilà. Elle est née comme ça, d’une sorte de frustration ou plutôt d’une envie d’avoir un espace de liberté pour moi, sans les concessions que tu dois toujours faire à un moment ou un autre dans un groupe.

Du coup, on fait l’interview avec elle ou avec toi ?

Ah ah ah ! Bah tu décides !

Bon alors on va essayer avec Raymonde, on verra bien ce qu’elle a à nous dire… Alors, si on met de côté la B.O. du film Le Lit qu’elle a sortie en 2014, son précédent album à part entière remontait à 2010… Elle a fait quoi pendant sept ans ?

Elle a essayé de se donner une contrainte de travail parce que Raymonde, c’est pas mon activité principale [dans la vie, Lætitia est enseignante, ndlr]. C’est un choix mais ça pose le problème du temps. Et comme je suis assez lente pour composer… Donc quatre ans pour sortir « Le Lit », après trois ans pour sortir « S.W.E.A.T ». Mais du coup, quand je compose, c’est vraiment une source de plaisir parce que je n’ai pas tous les aspects négatifs relatifs au fait d’avoir des urgences de travail.

Donc pendant que Lætitia travaille comme enseignante, Raymonde patiente à la maison ?

Ouais, c’est un peu ça ha ha ! Elle fait le tri, elle nettoie la guitare, elle essaie de trouver l’inspiration comme ça quand Lætitia rentre, Raymonde est un peu énervée et elle a plein d’idées.

Cet album sorti en 2010, « For all the bruises, black eyes and peas », avait reçu un accueil critique énorme, bien au-delà de l’underground : double page dans Libé, des passages sur France Inter, France Culture… La descente n’a pas été trop dure pour Raymonde après ça ?

En fait, ça m’a permis de me positionner par rapport à mes envies. Parce qu’à cette période-là, il y a eu aussi des propositions financières assez avantageuses qui m’auraient permise d’être peinarde un petit moment. Du coup, j’ai bien réfléchi à pourquoi je fais de la musique, qu’est-ce qui me plaît là-dedans. Et finalement, tout le côté business, devoir entretenir ça, bah non… Finir par jouer dans des endroits où tu n’as pas vraiment envie de jouer, faire de la musique une routine, ça devient vite une source de stress, de conflit et c’est vraiment pas ce que je recherche. J’en suis sortie peut-être plus forte et convaincue de faire le bon choix. Donc non, il n’y a pas vraiment eu de « descente ». Je suis repartie sur un autre disque, à mon rythme.

« On m’a proposé de composer pour un site de rencontres extra-conjugales. »

J’imagine que tu évoques notamment cette proposition de synchro pour une pub (le graal aujourd’hui pour tout musicien qui souhaite vivre de son art) ?

Oui, c’était pour un site de rencontres extra-conjugales, qui n’a jamais vu le jour d’ailleurs je crois. Au début, c’était juste pour l’interface internet. Et puis comme on discutait un peu, les prix ont très vite monté et on est arrivé à l’achat du morceau pour une pub télé… Et là on peut se faire proposer beaucoup. Quand on a arrêté les discussions, si ma mémoire est bonne, on était à 30 000 € [dans une autre interview, elle évoquait 40 000 €, ndlr]. Et donc voilà, à partir de ce moment-là, j’ai décidé que mon but n’était pas de vivre de la musique. Aujourd’hui, je suis plutôt contente de ce que je fais, quand je vais faire des concerts, que je rencontre des gens, qu’il y a une dynamique humaine. Et que ça reste une source de plaisir.

Bon alors parlons un peu de ce nouveau disque, « S.W.E.A.T. », il me semble encore plus épuré que les précédents, avec moins de boite à rythmes, moins d’arrangements… Je me trompe ?

Non, non, tu es en plein dans le mille… En fait, le disque précédent, « Le Lit », qui était une commande de la réalisatrice stéphanoise Raphaëlle Bruyas, j’avais décidé de le faire avec des arrangement, en sortant un petit peu l’artillerie lourde : basse, contrebasse, batterie, violon, trompette… Et c’était chouette. Mais déjà, à retranscrire en concert, c’était plus difficile que quand je suis toute seule à faire mon truc ou quand on est deux. Et puis là, pour ce nouveau disque, j’avais vraiment composé des morceaux centrés autour de la guitare et du chant, donc pendant l’enregistrement, on a essayé de garder ce côté minimaliste. Au final, il n’y a que deux titres où Jean-Christophe Lacroix, mon violoniste, m’accompagne et fait des arrangements.

Ce qui joue peut-être aussi, c’est que ce disque a été composé sous une certaine forme de contrainte, non ?

Oui, enfin une contrainte ludique. En fait, avec pas mal de potes musiciens qui font aussi leur truc dans leur coin, on se rend compte que ce n’est pas évident de se discipliner quand tu es justement libre de ta composition. Donc on s’est lancéq dans une sorte de jeu, un blog ludique, baptisé « we are the 28th » sur lequel il fallait balancer un morceau de notre création le 28 du mois à minuit. Au départ, c’était très libre. La deuxième année, on a imposé en plus une contrainte thématique, chaque mois, par exemple « érotico-disco ». D’une, tu te sens un peu moins seule à faire ta musique. Et de deux, tu te dis qu’il faut être prêt pour le 28 et ça te discipline un petit peu. Moi, ça m’a beaucoup servi pour faire le nouveau disque : 10 des 11 morceaux ont été composés à partir de ce blog.

Est-ce qu’on retrouve sur le disque ton morceau Erotico-disco ?

Oui, c’est le dernier de l’album, en français (« Punktuality »). Moi, je ne chante jamais en français normalement. D’ailleurs, je n’avais pas prévu de l’enregistrer quand je suis allée en studio. Finalement, j’ai décidé de le garder sous forme de gag. C’est pour ça qu’il se termine par « bon, on va s’arrêter là » : c’est un peu un clin d’œil parce que je chante en français. Et que les paroles sont drôles.

Elles sont plutôt chaudes les paroles ! Au sens sexuel quoi… D’ailleurs, ça, typiquement, c’est quelque chose que Lætitia n’aurait pas osé ?

Ah non, ça, Lætitia avec sa casquette d’enseignante, elle n’aurait pas osé, c’est clair !

Puisqu’on parle de sexe, parlons durée. Tu as toujours été partisane de morceaux assez courts. Mais là, plus que jamais : aucun titre ne dépasse les 3 minutes ! Ça veut dire que tu t’ennuies quand c’est trop long ?

Ouais, il y a un peu de ça. D’une manière générale, humainement ou dans la création musicale, je ne suis pas très patiente. Du coup, le fait d’aller droit au but, ça me suffit et c’est très bien comme ça. Après, c’est une remarque qui revient assez souvent… Je la retourne en me disant que ça crée une forme de frustration et qu’à la fin, on en demande encore !

Plus que jamais aussi, tes chansons prennent quasiment la forme de mantras, avec des structures assez répétitives et des paroles qui reviennent en boucle. C’est volontaire ou c’est sorti comme ça ?

C’est pas vraiment délibéré, mais c’est vrai que le rendu de ces 11 morceaux en 21 minutes fait qu’il y a beaucoup de phrases clés qui reviennent et qui imprègnent le cerveau en répétition.

« Si tu assumes ta féminité, tu peux être vue comme une terroriste. »

Allez, quelques questions plus précises sur certains morceaux… Questions courtes, réponses courtes ! La chanson Angry Ballerina porte le même nom que le micro-label sur lequel tu avais sorti ta première démo en 2006. Il y a un rapport ?

C’est une association d’idées que j’aime bien. Cette espèce de dichotomie entre une ballerine que l’on s’attendrait à voir bien policée, bien rangée, bien pensante, mais qui est finalement en colère. Un peu comme Raymonde quoi ! Et en fait, ce micro-label, c’est moi qui m’en occupais. J’avais sorti quelques disques de potes que j’aimais beaucoup et qui démarraient. Mais pour le moment, c’est en pause. On utilise encore un peu la structure pour faire jouer des groupes à Saint-Étienne mais sinon, je n’ai malheureusement plus le temps de m’en occuper.

Il y a un morceau intitulé Terrotits. Spéciale dédicace aux Femen ?

Pourquoi pas ? Mais de façon plus large, c’est une manière de dire que si tu assumes ta féminité, tu peux être vue comme une terroriste. Femen pourrait être un bon exemple.

(C) Alexandre Charles
(C) Alexandre Charles

Le morceau Submarine est lui diablement PJ Harveysque… C’est un modèle pour toi ou pas plus que ça ?

C’est marrant, ça fait plusieurs fois qu’on me fait la remarque à propos de ce morceau… Mais oui, c’est quelqu’un que j’ai beaucoup écouté donc ça me fait toujours plaisir quand on fait le rapprochement. Je vais régulièrement la voir en concert encore aujourd’hui. Je l’ai vue l’an dernier et c’était vraiment chouette, même si c’est très différent de ce qu’on a pu voir il y a une dizaine d’années.

C’est quoi ta période préférée de PJ Harvey ?

Je suis old school : mon album préféré c’est « To Bring You My Love » et juste après « Dry« . Bref, plutôt les premières années quoi.

Le titre Penekini Kill, lui, m’a automatiquement évoqué Bikini Kill (un des groupes pionniers du mouvement riot girl dans les années 1990), j’ai bon ?

Ah ah ! J’ai cru que tu allais me parler de ton propre penikini !? Je suis rassuré…

Je…euh… non… Enfin, on parle de quoi là ?

Pour faire simple, c’est un peu le string pour pénis. Je t’invite à aller voir sur Google images. C’est assez moche. Tu vois Borat [l’un des personnages du comique anglais Sasha Baron Coen, ndlr] ? C’est un peu le genre de costume de bain qu’il peut porter. Mais oui, c’est un clin d’œil à ce groupe qui a été une influence majeure quand j’étais jeune adulte, au même titre que Nirvana au départ, puis tous les groupes de nanas comme L7, Hole, etc. Mais les paroles de la chanson ne parlent pas de Bikini Kill.

Tu as toi-même un passé au sein de groupes plutôt riot girl d’ailleurs, à Saint-Étienne, dans les années 1990 ?

Oui, il y a eu Goofball, qui a duré cinq ou six ans. C’était avant Internet ou au tout début, donc on s’échangeait encore des cassettes, on s’envoyait des courriers postaux qui mettaient quinze jours à arriver pour recevoir la démo de tel ou tel groupe de nanas d’Italie ou d’ailleurs… Moi j’étais toute jeunette, j’ai commencé à seize ans, mais on a fait pas mal de choses en fin de compte, pas mal de concerts en France. On a même joué en Écosse en 2001 lors du tout premier lady fest européen, avec notamment The Gossip, donc c’était vraiment incroyable ! Après, j’ai eu d’autres groupes plus locaux : Kiss Kiss Martine (avec des nanas aussi) et puis La Seconda Volta, qui était plus « couillu » on va dire. Par moments, d’ailleurs ça manque un peu de ne pas avoir de gros son, d’avoir une batterie qui soutient la basse… Je pense qu’un jour ou l’autre je me replongerai dans un vrai groupe.

Est-ce que tu es toujours investie dans la scène alternative à Saint-Étienne ? Elle ressemble à quoi aujourd’hui ?

Plus ou moins, toujours le problème du temps… Mais ça m’arrive de donner un coup de main pour des organisations de concerts, je vais régulièrement voir des potes jouer, soutenir le bar associatif qui fait que des vins locaux… C’est assez étonnant pour la taille de la ville, il y a vraiment plein de choses qui s’y passent. Pour les concerts, t’as La Gueule noire, Ursa Minor, des lieux assez alternatifs qu’il est chouette de trouver dans une ville de taille moyenne.

Des artistes ou des groupes qui valent le coup à « Sainté » ?

Mes petits chéris en ce moment, c’est Cavalerie, j’espère juste qu’ils vont continuer à jouer…  C’est banjo, basse, batterie, guitare, entre pop et blues par moment. Dans un tout autre genre, tu as Tête de Cerf, un duo hip-hop punk dans l’esprit, c’est assez déglingué, mais vraiment bien fichu. Ils m’avaient invitée à faire un featuring sur un de leurs morceaux qui parle d’alcool. T’as Jubilé aussi dans une veine plus noise… Tu vois, il y a plein de choses !

raymondehoward.bandcamp.com

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