A la Une de Gonzaï 12, un titre choc : « Qui a tué Ji’Aire ? Plongée dans l’Amérique des déclassés ». La mort d’un enfant de 3 ans, poussé dans une balançoire par sa mère, Romechia Simms, pendant 2 jours et 2 nuits a sidéré les USA en mai 2015. Comme tous les martyrs, l’enfant est victime d’un système défaillant. Après avoir été repoussé de quelques jours par Snowzilla, le jour du procès arrive enfin…

Vontasha Simms, la mère de Romechia, poste ce message sur Facebook, le matin du procès :

Le petit déjeuner des Champions : omelette, poivrons, champignons et oignons, avec des olives noires, de l’avocat, de la féta. Des huitres grillées, et des tomates. On est prêtes. On y va.

Romechia Simms est jugée ce 22 février, pour homicide involontaire et négligence. Elle risque jusqu’à 45 ans de prison. Elle est finalement acquittée, et ressort libre du tribunal, avec uniquement une obligation de soins pendant 5 ans, contrôlée par l’état du Maryland, et une interdiction de travailler en contact direct avec des enfants.

Figure classique de la dramaturgie américaine, le procès a pourtant tourné court. Il s’est interrompu juste après le prologue, quand trois psychiatres différents ont déclarés qu’elle était irresponsable de ses actes au moment des faits.

Pourtant, chaque acteur était en place, prêt à tenir son rôle. Le couple vedette occupait tout l’espace dès la scène d’ouverture, conscient que dans ce théâtre, il faut parler fort et clair, et s’adresser au dernier rang.

Premier rôle masculin : le procureur Tony Covington, en charge de l’affaire depuis le tout début. Représentant l’état du Maryland, il détaille les charges contre Romechia. Voulant marquer des points décisifs dès l’ouverture, il raconte comment le médecin légiste a été obligé d’emmener le garçon avec le siège de la balançoire parce que son corps était trop raide pour l’en détacher. Romechia, essuie ses larmes avec un grand foulard, un policier pleure, une partie du public, présent pour une autre affaire, est subjugué. Le procureur cherche à démontrer que Romechia Simms est coupable de la mort de son enfant. Vontasha Simms, d’après lui, est coupable de ne pas avoir mieux surveillé sa fille en crise. L’hôpital est coupable de ne pas avoir suivi cette patiente. Enfin, le juge Peter A. Krauthamer, est coupable d’avoir attribué la garde de l’enfant à sa mère, plutôt qu’à son père qui la réclamait, 11 jours seulement avant le drame.

Premier rôle féminin : Elizabeth Connell, avocate commise d’office, représentant Romechia. Elle explique que la mère voulait prendre soin de son enfant, mais que des voix lui ont dit « ne bouge pas, quelqu’un va venir ». Elle se sentait piégée, n’avait plus la perception du jour ou de la nuit, n’a rien commis d’intentionnel, était en dépression.

Arrive le chœur antique des psychiatres : Teresa Grant, au nom des trois, déclare que, bien que Romechia Simms soit apte à figurer au tribunal, ses troubles mentaux lui ont causé « une incapacité importante à apprécier le caractère criminel de sa conduite, et à se conformer aux exigences de la Loi ».

Fin de l’histoire : le juge Hayward West déclare Romechia irresponsable. Elle est « libre ». Le tout en moins d’une heure.

Tony Covington s’étrangle. Personne n’est désigné coupable. Il s’adresse au juge : « Elle n’a pas pris son traitement pendant les deux jours qui ont précédé cet épisode, et Ji’Aire est mort ! Votre honneur, pour moi cet enfant a été torturé à mort !».

Comme c’est sa meilleure punchline, il la décline pour les journalistes à la sortie du tribunal : « je ne veux pas que la Cour pense que l’Etat est content de cette décision. Face aux psychiatres, d’accord, les jeux sont faits. Mais c’est elle qui avait la responsabilité de l’enfant, c’était à elle de prendre soin de lui. Ji’Aire est mort, piégé pendant 44 heures, sans eau, sans nourriture, dans le froid et la pluie. Dans certains pays, c’est comme ça qu’on torture les gens ».

Elizabeth Connell, de son côté, exprime sa satisfaction de voir Romechia rester dans la société, qu’elle ne soit ni emprisonnée ni internée. Elle perçoit « une évolution positive dans la façon de penser. Un signe de progrès».

Peter Early, écrivain, ancien journaliste au Washington Post, et père d’un enfant handicapé psychique, écrit dès le lendemain dans son blog :

« la faute de l’hôpital ? Quel hôpital suit ses patients 3 mois après leur sortie ? Les services sociaux ? La réduction des budgets en a fait des gares de triage ou des employés en burn out se limitent à traiter les cas critiques. Le juge ? Est-ce qu’un handicap psychique disqualifie un individu de prendre soin d’un enfant ? Certainement pas. A partir de quand, la société décide qu’un individu doit se soumettre à une longue liste de conditions, comme celle que le juge à imposé ? Sauvegarder les droits d’un individu pour lequel une maladie mentale a été diagnostiquée sans le stigmatiser, tout en prenant des mesures pour intervenir si elle a besoin d’aide, n’est pas une équation simple à résoudre. »

Les psychiatres, en exfiltrant Romechia du monde judiciaire, composé d’innocents et de coupables, pour la ramener du côté de la médecine, autorisent de fait la nuance.

Pourquoi une telle victoire ? Essentiellement parce que Vontasha, grand-mère de Ji’Aire, a fait tout le bruit qu’elle pouvait. Tous les jours elle se bat, et elle auto-alimente sa combativité par des publications Facebook mystico-guerrières :

« Gloire et bénédiction. Le mal est retourné dans le ventre de la Bête. Nous sommes sous la protection du Tout-Puissant. Les armes ne peuvent rien contre nous. J’ai fait mes prières ce matin. Maintenant je suis prête au combat. On y va. Ou sont mes soldats ? La victoire ou la mort. Je sais que vous êtes là. Qui veut se battre ? Je suis en mission. Mère Nature ne peut pas me stopper. Les vrais soldats sont toujours prêts. Il neige et il gèle dehors, mais la bataille continue. Les guerriers se battent par tous les temps. »

Avec son T-shirt à l’effigie de son petit-fils, elle a assemblé un projet de loi baptisé « Ji’Aire Law », pour mieux prendre en compte le handicap psychique. Elle travaille pendant des mois à imposer cette loi. Elle a réussi à l’inscrire à l’ordre du jour pour qu’elle soit examinée au niveau fédéral, a rassemblé un groupe de travail, veut la pousser au niveau national, a lancé une pétition, fédéré des associations, avocats, médecins. Elle a parlé à tous les médias possibles. Elle a réussi à attirer sur le procès une attention publique considérable.

« Ils disent que je suis courageuse, brave, forte. On m’appelle une activiste, une lobbyiste, une avocate. Je fais juste ce que je dois faire. Je n’ai jamais été du genre à accepter les mauvais traitements, ou l’injustice, et encore moins quand il s’agit de mes enfants. En tant que mère, je n’ai aucune limite. Mes enfants sont tout pour moi. Ils sont à moi. Et ceux qui voudront leur nuire vivront l’Enfer. Ils sentiront ma colère. Tous mes soldats sont sur la ligne de front, et ils ne reculeront pas. La victoire est la seule option. Je bénis les miens. Mais je ne fêterais pas la Victoire. Parce que mon cœur est mort. » 

Le soir même sur W-USA9, nous retrouvons Adam Longo et Lesli Foster. Ils annoncent la libération de Romechia Simms et lancent un direct avec Stephanie Ramirez à La Plata. Stéphanie ? « Oui Adam, c’est difficile à croire que Romechia Simms, que nous avons vu au tribunal aujourd’hui, est la même personne qui était ici en mai dernier déclarant entendre des voix à la police ». Pendant qu’elle parle, la caméra opère un gros plan. Regarde : ils ont changé la balançoire. Des chaines toutes neuves, un siège bleu, l’autre était noir. On voit ensuite Vontasha déclarer qu’elle ne peut pas complétement se réjouir, parce que son petit-fils est toujours mort. « Pour ma fille et moi, faire face à sa mort va être une lutte quotidienne ». Merci Stephanie.

Fin de l’épisode médiatique. Les spots s’éteignent. Restent une mère et sa fille.

Romechia semble détachée de tout. Sa mère est ancrée, prend avantage sur le système, mais sa fille est absente, regarde en l’air, mâche un chewing-gum. Ne quitte pas ce grand foulard, dans lequel elle pleure fréquemment. Le soir de Noël dernier, elle a dit : « j’ai évité ce moment toute la journée, mais je souhaite un bon Noël à mon bébé Ji’Aire, au ciel ».

Je dis à Vontasha : « comment ça va aujourd’hui ?

– je me sens comme de la merde.
– qu’est ce qui se passe ?
– ma fille vient de me dire que, quand Ji’Aire était sur la balançoire, à un moment il a arrêté de s’adresser à elle, et il m’a appelé au secours, moi. »

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