Holocauste pop, mégalomanie, viol collectif, cuir noir et meutes de chiens-loups : en 1982, Johnny faisait sa crise de la quarantaine à travers son mythique spectacle "Mad Max". Et si notre JoJo national avait tout simplement inventé le black metal ? A l'heure du deuil national, retour sur cette drôle de période noire, très noire.

1982 : qu’il est loin le temps où les gens l’appelaient « l’idole des jeunes ». Johnny Hallyday a trente-neuf ans, pas loin de vingt-sept albums derrière lui, dont le dernier en date, « Quelque part un aigle » est loin d’être le meilleur. Après avoir lutté contre le disco et les hippies, eighties obligent, il doit désormais se battre dans les charts contre les nouveaux minets de la néo new wave variétoche. 1982, ce sont de nouveaux héros qui s’appellent Jean-Jacques Goldman et Téléphone, et c’est aussi le proto-hip-hop de Chagrin d’Amour, la funk d’Imagination ou encore Kim Wilde ou Boy George. Bref, du synthé, de la vitesse, des couleurs flashy et de la cocaïne. Notre Johnny dans tout cela ? Fatigué, mais toujours présent : il change d’entourage, se colle avec Nathalie Baye et se met à faire de la muscu. Pierre Billon, ancien de l’écurie Sardou, commence à travailler avec lui : « Johnny m’a dit : “Toi, tu fais de la muscu, tu peux m’entraîner.” On est partis un mois à Miami. Pas d’alcool, pas de fumée. On s’est entraînés comme des bêtes. » Alors Johnny réunit sa nouvelle équipe dans les Alpes pour organiser sa nouvelle lubie : un spectacle sur le thème de l’Apocalypse. C’est Jean Renard, vieux briscard du showbiz, qui va mettre en scène ce nouvel opéra rock intitulé Fantasmhallyday, mais plus connu des aficionados sous le nom de… Johnny Mad Max.

« La presse a pensé que le spectacle était inspiré de Mad Max, mais quand on l’a écrit, il n’était pas encore sorti en salle. » (Jean Renard)

Dans la biographie Johnny la vie en rock de Frédéric Quinonero, Jean Renard se souvient : « La presse a pensé que ce spectacle était inspiré de Mad Max, or quand j’en ai écrit le scénario et la mise en scène, je n’avais aucune idée de l’existence de ce film, il n’était pas sorti en salle. En fait, nous étions précurseurs : on a pris la responsabilité de choquer dans un esprit bande-dessinée. » Précurseurs, on ne sait pas trop, mais choquer : ça oui. À tous les niveaux, avec les voyants dans le rouge…

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Il suffiraaaaa d’une étincelle

Le spectacle est programmé au Palais des sports, du 14 septembre au 11 novembre 1982. Six semaines de folie intégrale et de démence jamais égalées dans la chanson française. Quinze millions de francs de budget – du jamais vu pour l’époque –, quatorze musiciens, des dizaines de comédiens déguisés en zombies, des cascades, un rideau de pluie de 25 mètres, des orages électriques et des effets pyrotechniques première classe grâce au metteur en scène parti aux Studios Universal et Disneyworld pour débaucher des techniciens payés 8 000 francs chaque soir. Les influences : un mix improbable entre Conan le Barbare, Blade Runner, Les Guerriers du Bronx et New York 1997. Dans le livre La Dernière Idole, Hallyday explique à Serge Loupien : « Oui, c’est du western avec des motos à la place des chevaux. Dans Mad Max, les flics sont des ordures comme les voyous […]. C’est une bonne image de la réalité, dans un monde où tout serait mauvais. » Ça donne quoi, ce concert alors ?

Naissance des chiens-loups

Le grand soir, dans un Palais des sports plein à craquer, l’ambiance est sépulcrale et une voix annonce en prologue : « Au cours de la Nuit des deux Lunes, un homme, un seul, revient du domaine des ombres. C’est le Survivant. Il sait que l’Apocalypse est proche. Pour la dernière fois, il va vivre ses fantasmes. » La cérémonie kabbaliste de Johnny peut commencer, il surgit d’un volcan et quitte son manteau en peau de loup des montagnes celtiques pour révéler au public une armure ultra cuir clouté. C’est Rob Halford de Judas Priest version TF1. Des gardes ouvrent les portes sur un décor mi-spatial aluminium, mi-viking avec des faux rochers et un escalier en pierre dans un esprit H.R. Giger.

Le backing band se met en place et déverse sa soupe rock-variété. C’est parti pour cinquante minutes de mégalomanie pop décadente. Dès les premières chansons, des prêtresses sataniques font leur entrée, encapuchonnées dans des toges suivies de barbares vêtus de guenilles et de peaux de bête, brandissant des étendards ésotériques dorés. Passé dix minutes, on se rend compte que le tour de chant peu inspiré n’est qu’un prétexte au caprice de Johnny qui veut se mettre en scène dans son rôle préféré : celui du biker post-apocalyptique avec un aigle en mercure dans le dos, seul contre tous, prêt à dégainer une guitare transformée en hache géante grâce à du papier alu. Ce soir-là, Johnny devient le grand guignol hardos à la Kiss.

On assiste, médusé, à une version opéra rock des Maîtres de l’univers avec un Hallyday coiffé comme Billy Idol dans le rôle de Skeletor. Johnny descend l’escalier byzantin, un casque chromé à la main et accompagné par une amazone peu farouche lookée telle Xena la guerrière et répondant au nom de Vampira, coiffée comme Tina Turner avec une épée en plastique dans le dos. Elle viendra prendre place sur le rocher pour écouter les complaintes de Johnny, aka le survivant du monde nucléaire. Plus tard, quand le spectacle basculera dans le grand n’importe quoi, elle sera accompagnée d’autres filles peu vêtues pour prendre place au pied du mâle alpha qui transpire beaucoup. Johnny, lui, a l’air au bout du rouleau : visage boursouflé, les cheveux qui ressemblent à de la paille à cause des trop nombreuses décolorations et un maquillage de pute d’Europe de l’Est qui ne fait rien pour arranger la chose. Mais jusqu’ici encore, tout va bien.

« Si on présente quelque chose trop proche de la réalité, ce n’est plus du rêve. » (Johnny)

Viol collectif, flammes de l’enfer et Iron Maiden

82_pds-g01-p13C’est au bout d’une demi-heure que tout part finalement en vrille. Le décor se change en sorte d’arène barbare comme celle du film Mad Max et le dôme du tonnerre. Un colosse ressemblant à Mister T. (Michel Maguiez, champion culturiste dans le civil) habillé de peaux de renard, fait son entrée sur scène debout sur un bouclier porté par des esclaves iroquois. Il descend pour défier Johnny le Survivant avec une chaîne de vélo. Et c’est pas fini : sur scène, des dizaines de comédiens avec des costumes à tête de loup surgissent pour un combat avec de fausses hachettes et des hallebardes en carton. Certains tirent à blanc avec des mitrailleuses cloutées sur un public hystérique, des gars à crête rouge capturent Johnny, l’attachent sur un autel sacrificiel EN FLAMMES et le lacèrent à coup d’arme blanche. Johnny hurle, le sang dégouline sur son visage : c’est définitivement gore, mais rien en comparaison de la séquence du viol collectif de Vampira par une horde de comédiens. On l’entend crier, on la voit se débattre sur cette musique heavy metal assourdissante. L’ambiance est lourde, malsaine. Puis, par un subterfuge, la comédienne tombe dans une trappe, remplacée par un mannequin qui lui ressemble vaguement, et là, sous vos yeux incrédules, les barbares lâchent une meute de VÉRITABLES bergers allemands enragés qui se jettent sur le mannequin-cadavre et le mettent en charpie. Vous pouvez crier au mensonge, mais ce spectacle a réellement existé – il est disponible sur YouTube. C’est le Satyricon de Fellini revu par Iron Maiden. Après ça, évidemment, tout est beaucoup plus terne : Johnny se relève, met deux ou trois coups de boule et sort grand vainqueur avant de reprendre Sweet Home Alabama de Lynyrd Skynyrd, histoire de rester dans la thématique redneck crasseuse. J’imagine que des salariés ont obtenu des places via leur comité d’entreprise et y sont allés en famille.

Gladiateurs pop et Guy Debord

La première question qui nous vient à la vue de ce spectacle d’anthologie : pourquoi être allé aussi loin ? Niveau scénographie et thématique : c’est zéro limite. Dans un report très lucide du spectacle dans le magazine Best de 1982, le journaliste Patrick Eudeline observe : « Johnny a toujours eu besoin d’enfoncer le plus gros clou possible, de fuir les nuances. Savoir s’il eut été capable de subtilité est un autre problème – inutile. C’est en insistant lourdement qu’il a pu faire passer en force des images dont le public français ne pouvait saisir d’instinct l’identité. » Ce concept d’entertainment pur et dur mélangeant Elvis et Conan le Barbare, c’est la clé du succès de Johnny. Il l’explique d’ailleurs au journal suisse 24 heures, venu le voir en tournée à l’époque : « Je crois sérieusement que, sur scène et au cinéma, il faut faire rêver les gens. Mais il faut aller jusqu’au bout de son idée, qu’elle soit du côté de la violence ou très fleur bleue. Si on présente quelque chose qui est trop proche de la réalité, ce n’est plus du rêve. Les gens ne s’évadent plus. Et pour les faire rêver, il faut s’habiller en fonction. »

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Une chose qui ressort aussi de cette performance hors norme, c’est l’attitude du public. À chaque montée d’ultra violence, le public hurle et en redemande. Quand Johnny tue le boss de fin de niveau avec une lance géante en forme de chauve-souris, le public scande son nom. On assiste rien de moins qu’à la naissance contemporaine et pop des jeux de gladiateurs. Pendant des mois, le Palais des sports n’est plus une salle de concert, mais une arène romaine où on lève le pouce pour donner la mort et où tout est permis. Et si c’était cela, l’idée de ce show ? Réaliser un grand cirque à la Rollerball en peau de chamois mâtiné d’Alice Cooper pour donner à voir l’absurdité de la violence ? Quitte à faire dans la démesure la plus absurde, afin d’assouvir un public qui en veut toujours plus, cette performance peut aussi être analysée comme une critique de la société du spectacle. C’est du moins l’avis du théoricien pop Mathieu Li-Goyette : « L’arène est comme une mise en spectacle du monde et peut être vue comme un miroir déformant à travers laquelle la société transforme en mascarade toutes les articulations de son organisation pour mieux les vendre et se vendre. » Johnny Hallyday et Guy Debord, même combat ? Si on peut être dubitatif sur la portée théorique du spectacle de survivance de notre biker national, son apport esthétique, lui, ne fait aucun doute.

Sympathy for the devil

82_pds-g01-p03Plus que tout, une vision reste de ce spectacle. Celle de Johnny, tout de cuir clouté, du khôl sous les yeux, une hache à la main, une guitare dans l’autre, le visage blême et les traits creusés : il vomit du sang. À l’origine, cela se voulait une vision christique des auteurs : Johnny comme un messie, seule figure du bien dans un monde de désolation. Mais après toute la violence pure contenue dans ce spectacle dépravé, cette image de Johnny peut être perçue comme le premier signe de nihilisme black metal dans la variété française. On peut citer avant lui Vince Taylor, sa tenue de ski et ses chaînes de vélo dans les scopitones des années soixante. Mais Johnny va plus loin en archange du mal qui porte les stigmates du heavy metal et invoque le dieu Belzébuth, comme dans le morceau Veau d’or vaudou, où il chante qu’il est « le fils de Lucifer, le seigneur et maître de la terre ».

Plus loin, les paroles du morceau La Peur ? Du Slayer avant l’heure : « Hiroshima et Buchenwald / Elle est la tronçonneuse qui laisse le baiser rouge du métal / Elle est le serpent, le napalm / Elle brûle les âmes et les cœurs. » L’enfer de Dante raconté par un habitué des plateaux télé d’Yves Mourousi ? De par les thématiques abordées dans le spectacle (dévastation nucléaire, anarchie, viol avec violence) et les apparats machistes qu’il revêt (moto, filles dénudées soumises, peaux de bête), Johnny invente sans le vouloir le concept de variété black metal. Hasard ou pas : le disque fondateur du mouvement – le premier album du groupe américain Venom – sortira au même moment que le spectacle de notre Johnny, en novembre 1982.

Remarquez, on a peut-être échappé au pire. Toujours dans le livre de Fréderic Quinonero, Jean Renard livre une anecdote sur la production du spectacle qui résume bien l’aberration de cette entreprise : « À l’origine, il devait y avoir une statue de Johnny de vingt mètres de haut avec les bras croisés. Elle devait être placée à l’entrée du Palais des sports et les gens devaient passer entre les jambes. J’en avais fait faire une maquette de deux ou trois mètres par un gars du Nord. Finalement, le budget était trop entamé. Tant pis. C’est dommage car quelque temps après, Michael Jackson a repris l’idée. »

Article extrait du Gonzaï n°22 spécial Johnny Hallyday, toujours disponible sur notre boutique.

 

16 commentaires

  1. Sinon se renseigner 5 minutes pour se rendre compte que Venom sont Britanniques et que black metal est leur deuxième album ? Sinon rien à voir avec le black metal français ou en général. Si le but c’est d’attirer des hardos/métalleux faire la jonction avec Manowar, Judas Priest (comme dit dans l’article), Alice Cooper et les magazines pulp américains comme Weird Tales et les françias de Metal Hurlant paraît bien plus pertinent au vu du délire décrit.

  2. Tout n’est plus que branchouille et hype et buzz!
    je me torche le cul en Quadrichromie avec Gonzai !
    si Johnny a inventé le metal a la française alors gonzai a inventé le premier magazine papier cul pour se torché le cul en Quadrichromie.Trop de couleur distrait le spectateur

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