Les Stooges, Les New York Dolls, les MC5, le Pub Rock, les binômes Lou Reed / Velvet ou Ian Hunter / Mott The Hoople, le concept protopunk archi-rebattu et ses généalogies capillotractées (Slade, ex-faux Hooligans, aïeux de la Oi!)… laissons tout cela de côté. Nés avant l’heure, d’autres n’ont pas eu la chance d’être associés aux coups de chaine à vélo mais n’en restent pas moins des Parrains évidents. Revue affranchie, sélective et iconoclaste, de ces Messieurs Jourdain du « Dole queue Rock »…

Autant commencer par les Who à leurs débuts, bien sûr. Bruit et fureur lors de leurs concerts. La manière dont Keith Moon, le plus barré des quatre comme chacun sait, a pris la place de son prédécesseur. Les bastons entre les membres du groupe, qui se détestaient cordialement. Et les guitares fracassées sur scène par Pete Townsend qui renvoient à la pochette de ‘London Calling’, qui renvoie elle-même à Elvis. Enfin, bref, Les Who, j’aurais pu m’abstenir, tant leur influence et celle des Mods sur le Punk va de soi. On avait dit « iconoclaste ». Je voulais en fait placer Elvis sans plus tarder et ménager ainsi un petit suspense pour la suite. C’est le moyen que j’ai trouvé.

Les Stones aussi, ont été punks. (Soigneusement) négligés, chevelus et provocants, ils étaient aux antipodes de Beatles proprets et amidonnés. ‘Let It Bleed’ versus ‘Let It Be’, cette vieille lune ! Mais ce n’est pas tout. La filiation entre des cris de ralliement tels que (I Can Get No) Satisfaction, No Fun et No Future saute aux yeux, non ? Stray Cat Blues n’est pas un blues : c’est un brûlot punk, vicelard jusqu’au bout des griffes. Et Altamont a bel et bien été l’anti-Woodstock, la formule a fait florès. Gimme Shelter, vraiment. Plus près de nous, et déjà si loin : Keith, au cours d’un set, dégaine sa guitare pour cogner sur un spectateur envahissant, puis la rengaine pour reprendre dans la foulée – tout ça à la cool –  (I Can Get No) justement. Gestuelle punk sous une pluie multicolore de ballons de baudruche, si typique des pétillantes années 1980… Je sais bien que les Stones ont été égratignés par les Punks et ne l’ont pas volé (les Who itou). Mais ils méritaient moins ce traitement que Pink Floyd, par exemple.

Syd Barrett, de Pink Floyd, tiens. Chat de gouttière flamboyant d’abord, il s’est consciencieusement cramé les neurones avant de virer chien perdu implorant Séléné. Destroy. Michka Assayas a « rencontré » Syd en 1982. Son récit est paru dans un numéro d’Actuel désormais célèbre, avec Ceausescu en couverture. Une commerçante à qui il demanda son chemin lui tint à peu près ce langage : « C’est une personne charmante maintenant. Il n’a pas toujours été comme ça, vous savez. » Vilain garçon. « Être gentil, c’est facile… », dixit Johnny Rotten. « Wild Thing », mais aussi personnalité borderline gavée aux substances hallucinogènes. Prêtez plutôt l’oreille à Lucifer Sam. Adolescent, j’ai fait découvrir ce titre à des acolytes punks à œillères en leur faisant croire que c’était un obscur morceau des Damned. Malgré le son d’orgue aigrelet à la con, ils ont marché. Beaucoup plus tard, j’ai lu (dans le NME, je crois), amusé, les propos d’un Captain Sensible mordu, rendant un hommage appuyé à ce Punk Floyd. La vie vous fait de ces clins d’œil, parfois…

Je parlais des Fabs plus haut. Le patronyme des faux frères Ramones n’est-il pas une allusion au pseudo utilisé par McCartney au sein des Silver Beetles ? « Hey ho, let’s go! », donc. Non, là, je pousse le bouchon un peu loin.

« Father, yes son, I want to kill you / Mother… I want to… » Œdipe à la diable. Le Roi Lézard a été l’influence majeure de l’Iguane sortant de l’œuf. Et il y a Break On Through…. Mais pas que. Jim Morrison a dit tout le bien qu’il pensait des Hippies, bien avant John Lydon. De plus, son attitude sur les planches était foncièrement punk : il rotait, était grossier et obscène et agressait même son public, ce qui ravissait celui-ci – un fait inédit pour l’époque. Ses multiples démêlés avec la Justice, qui feraient passer Brian Jones et les Glimmer Twins pour des séminaristes, viennent avantageusement compléter le tableau. Il advient qu’avoir un géniteur dans l’armée vous forge un caractère bien corsé d’insoumis. Bonus : William Douglas Morrison était doté d’une plastique ébouriffante, mais que Mister Mojo sacrifiera. Trop écorché, trop défoncé et finalement trop mort trop tôt. « Too Much Too Soon », ça ne vous rappelle rien ?

Beefheart, ce bon Captain. En dehors du fait que pas mal de Punks ont reconnu avoir été marqués par le bonhomme, attardons-nous sur son cas. Inventeur du DIY, il s’est improvisé compositeur en mimant, grognant ou sifflotant ses partitions à son Magic Band, notamment lors de la création du titanesque ‘Trout Mask Replica’, qui a dynamité tous les codes musicaux existants. Il faut voir par ailleurs les conditions dans lesquelles cet ovni a été conçu : quasi-séquestration et nutrition à minima des musiciens, violence psychologique voire physique sur ces derniers (qui n’avaient pas la chance d’être des arbres), ambiance sectaire à la Charles Manson… Ce type était alors sans concession vis-à-vis du Business et du reste du monde et l’est resté jusqu’à sa galette suivante (‘Lick My Decals Off, Baby’). Après, ce fut – disons – différent, mais Van Vliet est redevenu punk sur les skeuds qui ont parachevé sa fresque et les échos de sa démence résonnent encore (« Case of the Punks »).

« Wham bam thank you ma’am » suggère un coup de « ça va, ça vient » à la hussarde. Dino, Charlie Mingus et Slade ont mis des notes sur cette merveille phonétique. Mais je ne vais pas parler d’eux, en fait… David Bowie a donné un second souffle à Iggy Pop, le mal nommé (il a également aidé Lou Reed et Mott The Hoople, mais dans une moindre mesure). Celui que je n’appellerai par aucun de ses surnoms avait au préalable contribué à la réalisation de ‘Raw Power’, ultime pépite de l’œuvre Stoogienne. Mais ce n’est pas pour ça que je le cite ici. Pour savoir si Bowie a été punk, je vous propose de réécouter les sommets fiévreux et trépidants de ‘Ziggy Stardust’. Et Queen Bitch, putain ! Ça ne jette pas les bases du Punk à venir ? Si, ça le préfigure. On peut pareillement adouber Marc Bolan et T Rex (« You won’t fool the children of the Revolution »). Certes pas le Glam en général, mouvance aux scories improbables, qui a cependant vu naître les virils travestis des New York Dolls ou de Roxy Music, mais qui n’étaient pas punk. Quoi que ce premier album, sobrement baptisé et non pas éponyme…

Je ne prétendrai pas que Bob Dylan a été punk. Ça m’aurait pourtant plu de le ranger sous la bannière pirate, lui qui a eu maintes fois un comportement suicidaire. En électrifiant son art, au grand dam de son noyau de fidèles intégristes. En crachant sur des clowns qui l’interviewaient. En se vautrant en moto du côté de… Woodstock (et merde). Laisse tomber, il fait du Folk, point barre.

Fort bien, et Elvis, dans tout ça ? J’y viens… La plus célèbre de ses tenues, impayable s’il en est, ne doit pas faire perdre de vue l’essentiel, à savoir le séisme que son arrivée a déclenché. Les foyers américains bien-pensants, découvrant sur leur petit écran ses secousses suggestives, rythmées par des accords pervers, ont été horrifiés. Il chantait le Rock électrique. Ses premières apparitions l’ont assurément fait passer auprès du Grand Public pour un véritable Freak, un monstre de fête foraine. Disques brûlés, prestations annulées ou soumises à une présence policière… Remuer le petit doigt quand son bassin est censuré… Les Teenagers d’alors, eux, ne s’y sont pas trompés. Engouement irrépressible. Genèse de l’hystérie juvénile, terrifiante (parce qu’incompréhensible) pour le puritanisme dont la chape de plomb étouffait les États-Unis de ces années-là. Ses textes n’étaient guère subversifs (c’est quoi le message de Jailhouse Rock, quelqu’un ?), mais sa musique, son aura et son déhanchement lascif l’étaient incontestablement. Le premier Punk Rocker, à n’en pas douter, c’était lui, « Elvis The Pelvis », le pionnier de Tupelo. Il sera d’ailleurs singé par l’homme en noir des Sex Pistols qui, passé frontman, lui empruntera ses poses.
Ensuite, oui, je vous l’accorde, ça s’est gâté. La plus grande ville de l’État du Nevada n’est punk qu’à travers les regards hallucinés de Raoul Duke et de Maître Gonzo dans Las Vegas Parano. « Elvis has left the building ». Talent jeté aux orties. Le svelte Apollon originel s’est in fine métamorphosé en Enflure. Beauté Cherokee évanouie. Une bien triste histoire, en vérité. Mais tout, absolument tout, finit toujours un jour…

Si on remonte encore dans le temps, quid de Ludwig Van Beethoven, à la toison sauvage et aux yeux pleins de colère ? « L’Espagnol » que chérissait Alex Delarge, le Droogie (« don’t crash here ») d’Orange Mécanique, film punk par excellence. Mais je m’égare. Tenons-nous en au Rock…

« Et en France ? » me direz-vous. Il y a eu Gainsbourg, point barre. Dutronc ? Un Punk d’occase, au rabais, à la rigueur, à l’extrême limite, pour son côté branleur et sa contribution au Rock hexagonal énergique. Parce qu’être maqué avec Françoise Hardy, si ça ne vous grille pas de façon rédhibitoire, c’est somme toute un sacré handicap. Polnareff ? Il a bien montré son cul sur des affiches avant l’émergence du Punk, mais ça n’allait pas bien loin. En définitive, le Punk est un truc qui a toujours existé dans l’histoire du Rock, même si le terme n’a été adopté qu’à un instant T pour désigner un courant, puis un mouvement, datés avec plus ou moins de précision. Pour paraphraser Brassens, exclu à regret de mon petit bestiaire, « le temps ne fait rien à l’affaire ». Je sais… Mais cela ne nuit pas à la cohérence de mon discours : Hippies « d’la dernière averse » et Punks « des neiges d’antan », si vous préférez.

Que reste-t-il de l’esprit du Punk dans la musique aujourd’hui ? On serait tenté de répondre « rien » (« Where Were You When The Fun Stopped? », comme l’a si bien dit Hunter S. Thomson), mais ce serait déjà passer pour un vieux con. Aussi, je me contenterai de lâcher que je ne sais pas. Mais, attention, cet avis m’est personnel : je ne le partagerai pas avec vous.

Été 77. Elvis va mourir. Comme chaque année, je passe mes vacances dans un petit village de l’Aude. Ma famille y va au mois d’août parce que mon père, qui en est natif, m’a appris qu’il y avait des créatures magiques de la nuit, les lucioles. Je ne le sais pas encore, mais c’est l’un de mes tout derniers séjours dans ce qui deviendra un Paradis Perdu. Assis sur un banc de pierre, nous sommes une petite bande à feuilleter un torchon genre Paris Match, qui parle des Punks. Tout est francisé. Il y est ainsi scribouillé qu’ « ils se font appeler Johnny Le Pourri ou Sid Le Vicieux ». Une jeune Anglaise, teint blafard et ratiches comac, s’est jointe à nous. Elle nous dit qu’elle aime les Punks. Quelques instants auparavant, elle a fredonné L’Enfant Et L’Oiseau de Marie Myriam. C’est dire le champ des possibles de ces temps bénis…

Si ce papier, ses maigres mots et les idées qu’il a tenté de véhiculer vous ont intéressés, ne manquez pas le prochain, qui s’intitulera : « Le Punk est-il raciste, à moins que ce ne soit le rédacteur ? » Vu qu’il ne s’est agi ci-avant que de pauvres blancs-becs….

16 commentaires

  1. Et oui les « blancs becs » n’étaient pas que Blancs ! Vous parlez d’Artistes connus ,mais dans les garages ,le Punk s’activait bien avant Elvis !
    Sans parler ,de Black dans les caves. En France il y a eu des groupes Punk après la vague, mais ça n’ intéressait personne , et pourtant ! Ils étaient pauvres et le restèrent ! Excellent article ,mais approfondissez vos recherches et vos écoutes et vous serez surpris . Amicalement. Philip.P

  2. Le classe moille pavillonnaire s’extasie encore devant la fureur joviale du rebelle sans cause. Le punk ? une affaire de grosse paire.

  3. J’ai aimé l’article, on regrette parfois d’avoir été trop jeune à la naissance de ce mouvement qui a donné de très bons groupes.

  4. Le mouvement punk a représenté une révolution fondamentale, pleine d’effervescence et assez consistante pour replacer le rock au- dessus des passions, comme un art de vivre.
    Rien à faire, on rigole plus quand on dépasse les limites de la bienséance ! Et quand les couplets de la chanson sont assez simples pour pouvoir être gueulés.

  5. Je ne maîtrise assez le sujet pour évaluer la pertinence de cette mise en perspective, mais l’approche est intéressante.

  6. Le punk, c’est pas ma tasse de thé ! Mais l’article amène langoureusement à la nostalgie de mes jeunes années avec ce ton à la Philippe Manœuvre….Pas mal.

    1. bonjour,
      bravo pour cet article dans le ton des critiques style rock&folk qui n’existe probablement plus
      Je n’ai jamais été attiré par ce mouvement punk qui présentait une musique bruyante et sans invention avec des groupes d’allure peu sympathiques puisque à contre courant de la génération précédente (comme tous les ados).
      longtemps après on peut s’étonner de voir Iggy Pop tous sourires dehors, en promotion à l’émission de T Ardisson, c’est un comble…!
      Mais les plus contestataires ne se font-ils pas rattraper par le business pour durer et vivre bien plus longtemps que la moyenne ? La contestation n’était elle pas la rampe de lancement d’un talent qui se cherche ?
      Cordialement

      Pierre

  7. J’adore ton style Michel, je ne suis pas au top du sujet mais tu en parles assez bien pour que je m’y retrouve un peu dans ce que j’en connais !

  8. Très bon article merci
    Mais en ce qui concerne Cpt Beefheart permettez-moi de m’inscrire en faux
    (j’adore cette expression toute pourrie !! ).
    Punk ou pas, après « Trout Mask Replica  » & « Lick My Decals Off, Baby  » on peut pas dire qu’il c’est rangé des camions.
    Je vous conseille en toute amitié d’écouter « Shiny Beast  » ou « At The Radar Station » pour ce rendre compte que le gaillard en avait encore sous le pied.
    A quand un un article sur le Capitain chez Gonzaï ?

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