Vous avez toujours imaginé votre programmation de festival idéale, mêlant les références les plus obscures et inavouables aux dernières tendances du moment. Vous vous levez parfois le matin en vous disant que putain, s’il n’y avait ne serait-ce qu’un seul festival digne de ce nom, vous prendriez direct vos places un an à l’avance, évitant ainsi la cohue des grands départs et leur lot de surtaxes par la compagnie Sans Nommer Celle-ci Forcément.

D’autres, pas davantage aguerris en matière musicale, pensent à tout autre chose en se rasant le matin ; ils ont cependant le don de nous faire rêver, tant leur ubiquité dépasse la conception que le commun des mortels peut avoir d’un budget transport. Ces autres, nos représentants politiques, n’en sont pas moins des individus parfois zélés, prompts à s’enflammer pour la moindre broutille, comme la sortie du dernier album d’Orelsan, d’Amadou et Mariam (cacededi à Syd Charlus) ou The Next Big Thing, mais il est déjà trop tôt pour en parler.

Ce jeu de dupes permanent où il s’agit de deviner qui idolâtre qui, a laissé libre cours à notre imagination perturbée sur la base de cette interrogation : « Quelle est la programmation de festival idéale de nos chè(v)res têtes pensantes ? » ou encore « Dis-moi ce que tu écoutes et je te dirai pour qui je vote… ». Voici donc une ontologie musicale de chacun de nos candidats à la présidentielle, toute pleine de bon sens et de mauvaise foi. Exclusif : Nous avons demandé à chacun d’eux à quel festival il souhaitait se rendre cet été.

Nicolas Sarkozy

Son style pragmatique rentre-dedans, son cynisme allié à son franc-parler, mais aussi son  arrogance teintée de niaiserie conservatrice et de populisme néo-Rastignac sur fond de pop à papa, nous invitent à proposer dans le désordre (100% des gagnants sont priés de se présenter au prochain vol Paris-Ouagadougou affrété par Clo-Clo) : France Gall, les Rolling Stones (Carla l’a transformé), Joe Dassin, Aznavour, Dire Straits, Queen, Dutronc (les deux font la paire), Balavoine (les juges et les lois… ), The Mamas & the Papas (c’était mieux avant), The Beach Boys (en bermuda à Saint-Tropez), The Raconteurs, U2 (Me Not), Wolf Parade, Vampire Weekend, Sharko.

« Rock en Seine évidemment, c’est à côté de la maison. Et puis j’aime les grands mouvements populaires ! » (sourire bling-bling cash-cash et voix de sphinx)

François Hollande

C’est avec bonhomie que notre éphèbe corrézien se prête au jeu, fort d’un charisme emprunté nourri à la culture élitiste démocratisée (TGV spirit), mais aussi plein d’un buccolisme enjoué dont la finesse trahit parfois la mollesse : Vincent Delerm, Arnaud Fleurent-Didier, Animal Collective, les Têtes Raides, Charles Trenet, Cat Power, Miles Kane, Yves Montand (À bicyclette) ou encore Béna(ba)bar seront les têtes de liste rêvées pour son iPod de campagne.

« J’hésite encore entre la Route du Rock et les Franco, c’est mon côté touche-à-tout (les râteliers)… »

Marine Le Pen

Sa présence quasi-pachydermique, son populisme teinté de fanatisme breton (entre les ultras d’En Avant Guingamp et le staff du club de voile de la Trinité-sur-Mer), mais aussi son côté anti-démago centré sur un égo plein d’atavisme et un esprit de contradiction 100% pur porc, ses prises de positions très conservatrices sur la peine de mort, imposent les références suivantes : Cage the Elephant, Elton John, toute la famille Gallagher sur au moins quinze générations, Les Fils de Teupuh, Booba, Les Sales Majestés, Brigitte Fontaine, Johnny Cash, David Allan Coe, Sardou, Manau.

« Le côté « village gaulois » des Vieilles Charrues m’a presque convaincue de ne pas me rendre au Main Square à Arras, où j’ai pourtant la cote. »

Jean-Luc Mélenchon

D’aucuns évoqueront un populisme plein d’images aux desseins quasi-fascistes ; l’homme teigneux, combatif et colérique n’en demeure pas moins cultivé. Et même si son côté anti-système relève plus de l’opportunisme que de son caractère ronchon, sa générosité n’a d’égale que son énergie à mobiliser les foules : Kraftwerk, Frustration, les Bass Drum of Death, The Stooges, feu James Brown (peut-être réincarné en Dan Auerbach), le Groupement Culturel Renault, Panico, The Murder of Rosa Luxembourg, Radio Moscow ou les  Guns & Roses seront les premiers attablés autour du rouge salvateur.

« Fête de l’Huma, Coco, c’est moi le nouveau booker ! »

Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Pierre Chevènement, les frères Pétard de la Gaule en retard

Mal aimés, maltraités, mal fagotés, mal baisés, mal armés, malmenés, mal compris, mal traduits… Protectionnistes de tous les pays, unissez-vous derrière Bertrand Belin, Cheval Blanc, Daniel Darc, William Sheller, George Harrison, Nicolas Kerr and Associates, Tom Verlaine, Tom Novembre, Tom Yorke (et tous les Tom de la putain de Tomerie), The Besnard Lakes, Robert Wyatt, Elliott Smith, Mark Everett, Young Michelin, Michel Houellebecq, The Love Me Nots.

« Cette année nous n’irons pas aux Eurockéennes. »

Frédéric Nihous

Ce chasseur, pêcheur, ancré à ses terres comme à ses convictions – confondant  probablement Jean Roucas et Jean Saint-Josse –, pratique volontiers la chasse au poisson, ce qui colle la poisse au gibier. Traditionnaliste avant tout, cet amateur de rouge (tant que c’est au fond d’un verre et pas sur un drapeau) nous livre avec la pudeur du gars du terroir sa playlist fétiche : Timber Timbre, Grizzly Bear, Grinderman, Caribou, The Animals, Eddie Veder, Deerhunter, Deerhoof, Crystal Antlers, Connan Mockassin, Captain Beefheart, Boards of Canada, Avi Buffalo, Billy Walker, Grandpa Jones, Cheveu.

« Pour Moi ce sera Garorock ; j’attends avec impatience le lâcher de loups-garous, j’ai préparé le matos pour pêcher la carpe dans la Garonne aussi, pas moyen de survivre alimenté de sandwichs à la saucisse allemande, non mais on l’a gagné la guerre putain ou quoi ??? »

Eva Joly

Une voix douce, une grande sensibilité sociale et écologique et un côté binoclard maladroit cachent une nature très attachée à ses convictions, bosseuse et indépendante. Ce volcan en sommeil, qui peut virer au soporifique, risque aussi d’exploser à tout moment. C’est pourquoi celle qui ne pète pas plus haut que son cul de peur de trouer la couche d’ozone nous propose avec entrain : Woods, François and The Atlas Mountain, Alpes, Björk, Gojira (EP « Of Blood and Salt » pour Sea Sheperd), Sting, Dinosaur Jr (les binocles), I am Kloot (Natural History), Sebastien Grainger and the Mountains, Tame Impala, Emilie Simon (chiante et sophistiquée), Wooden Shjips.

« Cabaret Vert à Charleville-Mézières plutôt que le We Love Green au Parc de Bagatelle ; c’est l’assurance d’un vernis popu en cette période de rapprochement avec les forces de gauche, m’a confié Cécile. »

Nathalie Artaud, Philippe Poutou, Corinne Lepage, François Asselineau, Patrick de Villenoisy, Patrick Lozès, Jacques Cheminade…

On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs, c’est pourquoi nous avons choisi de les mettre dans le même panier. Eux constituent l’épilogue de ce décryptage esthétique. Souvent peu visibles, mystérieux et aphones, ces successeurs de l’ombre aux contours indéfinis ont pour principale qualité d’être sympas, peu bruyants, et de passer inaperçu. Tablons que leurs meilleurs représentants puissent unir leurs forces pour faire valoir cette troisième voix tant chérie par le Mime Marceau : The Who, Unknown Mortal Orchestra, Question Mark and The Mysterians, Suicide, Death from above 1979, The Oscillation, Disappears, The Dead Weather, Holy Gost!, Minor Threat, The White Stripes, Why?, The Album Leaf, Spacemen 3, Can.

« La Route du Rock, pour nous, ce sera plutôt version hiver. »

On me dit dans l’oreillette qu’on en a oublié un ; l’indéboulonnable François Bayrou prie pour le retour sur scène de René La Taupe. Comme quoi il n’y a pas de plaisir coupable, simplement une neutralité de bon aloi.

« Il faut respecter toutes les musiques ; j’irai donc aux Transmusicales. »

Imaginons donc les programmes de nos chers interrogés réglés comme du papier à musique, et convoquons la mémoire d’Alphonse Allais pour conclure que tout cela n’est pas si innocent qu’il n’y paraît : « Ce n’est pas tout à fait exact que la musique adoucit les mœurs. Je crois même que l’harmonie, un peu en excès, amène l’homme le mieux constitué à un état d’hébétude et de gâtisme tout à fait folâtre. » Non, tout cela n’est pas si innocent…

Faites vos jeux.

Illustrations: http://rimbusblog.blogspot.com/

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