Cher Pochep, suite à votre courrier plus que chaleureux à mon égard, j’ai souhaité vous faire une réponse longue, afin de justifier mes actes récents à votre endroit et réfuter ce statut de « plus fidèle supporter » dont vous me qualifiez assez injustement. Enfin, surtout parce que je ne veux pas passer pour un lèche-cul auprès de la communauté blog-BD, mince quoi.

D’ailleurs, pourquoi jouerais-je les flatteurs ? Il n’y a rien à gagner de votre côté, sinon une extension de délai pour rendre mes bouquins à cette bibliothèque où vous officiez, et où je ne vais jamais. Sans vouloir vous offenser, vous n’êtes pas Joann Sfar. Néanmoins, je maintiens ici que vous n’êtes pas n’importe qui. La blogosphère BD, notamment, vous reconnaît parmi ses éminents représentants depuis un bout de temps, ce qui est d’autant plus drôle que vous n’êtes venu au blog qu’après vos publications presse (dont 30 millions d’amis – sic) et surtout votre 1er bouquin, mais bon. Pas de bol, celui-ci (le Génome, sorti en 2008 chez Septième Choc) n’est guère plus connu, voire carrément méprisé. Moralité, sans bouquin de référence le grand public continue d’ignorer le blog acclamé qu’est votre Politburo – ils ne savent pas ce qu’ils ratent, les bougres – et les libraires ne vous trouvent guère de place que sur une vieille étagère au fond de leur boutique, à côté des revues moisies. Pour la reconnaissance, tu repasseras…

Alors je reconnais que c’est bien maigre pour décider de colporter votre nom à votre place comme je l’ai fait ce soir-là auprès de ce respectable éditeur. N’empêche que j’ai mes raisons… D’abord ce blog justement. Revenons-y.

Dois-je vous répéter ici à quel point j’ai été fan de votre série Feu mes volutes ? Je résume : les mésaventures autofictives d’un jeune provincial venu « s’installer comme pédé à son compte » à la capitale, m’ont émerveillé. Un seul exemple : l’épisode sur GayPlanPlans.com est, à mes yeux, promis à devenir un classique de cette BD post-webienne. Quand tous les blogs bavent de la difficulté à encrer convenablement une planche ou à gagner du fric quand on ne sait rien faire d’autre qu’astiquer sa palette graphique, le vôtre creusait semaine après semaine le sillon de cette vie débile qu’on voudrait nous faire croire fabuleuse. «Ha les homos au moins ils baisent tous les soirs, me disait un ami en sortant bredouille d’un bar. Des fois  je regrette de pas en être, tiens. » C’est ça, rêve donc… Ils en bavent comme nous, les fans de Dalida ! Regarde : ils ont la dictature du beau, du bronzé et du musclé. L’obligation de masquer tout signe de calvitie à la tondeuse. L’interdiction de morosité et du réveil du mauvais pied – l’happy face bogoss permanent. Assortie du devoir d’affichage d’une vie sexuelle trépidante : homo, sois bandant du lever au coucher ! Enfin, il y a le sacro-saint don pour la danse et le style, qui plongea nombre de gays du haut des falaises de la dépression pour éviter la honte de se confronter à la réalité.

C’est bien simple, quand on ne sait pas danser, on n’a pas le droit d’être pédé.

Il y a de la tendresse dans ce que vous décrivez via ce bonhomme mal foutu mais digne. Nul doute qu’Alain Chamfort serait fier de votre Ennemi dans la glace, et Rock Hudson rirait de bon cœur des tribulations de Walnut Grove. On en a vomi, des tumblr autocentrés, et j’ai fait des gastro-entérites de blogs d’humour en trois cases. Mais qui d’autre a réussi à émouvoir et faire sourire ? La classe, c’est la grâce.

Bref, Feu mes volutes est l’une des raisons qui m’ont poussé à prendre sur mon temps de cuite pour avancer votre nom lors d’une soirée avec l’un des piliers (ailier gauche serait plus juste) des éditions Six Pieds Sous Terre. J’étais serein et sûr de ce que je faisais. Quel autre motif ? Eh bien, au risque d’être sec, j’ai la conviction que vous gâchez votre talent au sein du projet Les Autres Gens.

Ce web-soap en BD est une expérience scientifique du niveau des Mentos dans le Pepsi, si vous voulez mon avis ; c’est dément, personne n’aurait osé le faire ni imaginé de tels effets, mais maintenant on fait quoi ? Du côté économique, c’est un pas majeur : on a prouvé qu’on pouvait faire payer des lecteurs web et rémunérer des dessinateurs. Attention, j’applaudis le tour de force d’avoir créé et maintenu ce feuilleton depuis un an et demi, avec un épisode par jour et tant de dessineux différents (qui plus est désormais nourris par Dupuis, chapeau bas ! Sans ironie aucune). Mais maintenant qu’on sait que c’est faisable, pourquoi se limiter à du ‘Cœur, Amour et Trahison’ ?

Dans votre propre courrier, vous avouez vous-même avoir eu un « passage à vide créatif » cette année, en référence, j’imagine, à l’abandon en friche du Politburo. C’est pourtant chose normale, on finit toujours par délaisser nos blogs sans se l’avouer vraiment ; « les blogs se cachent pour mourir », aurait dit Richard Chamberlain (je m’adapte à vos références, vous noterez). Mais vos efforts réguliers pour défendre et donner une touche d’humour à ce BD-novella via le mag de la série ont tout, à mes yeux, d’une résignation. Un tel dessin, qu’on croyait disparu avec la vieille génération de Fluide Glacial, et votre niveau de dialogue devraient briller dans un scénario plus serré ou plus personnel, au lieu d’un Dynastie à la française. Relevez le front, ouvrez les épaules, vous êtes un seigneur, Philippe, pas un suiveur. Et surtout pas un bête illustrateur. Sinon pour payer vos entrées au hammam.

Vous êtes ce que vous dites. La preuve, on vous prend pour un ringard.

Pourquoi croyez-vous que c’est auprès des Six Pieds que j’ai abordé cette conversation ? Pas seulement parce qu’ils vous ont sollicité sur leur revue Jade, mais parce qu’ils sont exigeants en terme de récit. Vous valez mieux comme auteur que vous ne le croyez ; la publication de La Traboule l’a prouvé. Adios l’humour et bonjour puissance. La force du détail, partout tout le temps. Tout est zoomable : moustaches affermies comme dans les pubs des années 80 et moquettes aux torses, des coins affûtés sur toutes les chemises et les lunettes… La Traboule est avant tout un fabuleux polaroïd de ces années honteuses où le port du baise-en-ville en cuir était signe de sérieux.

C’est le piédestal de votre goût immodéré pour les situations moches. Ces moments de vie où l’on voudrait se jeter sous un train pour fuir la honte, avant de réaliser que Sud Rail a reconduit sa grève. Un sens de l’humour repassé à froid sur l’envers, qui s’avère impeccable et infroissable. Vous m’avez dit un jour que vous le deviez à Goossens, quand je le méprenais pour celui d’Edika. Vos grands nez, ses grands seins… D’autres que moi auraient fait fausse route. Mais pas Six Pieds. Eux savaient. Vous me répondez donc qu’ils vous avaient déjà abordé à Angoulême, et cela ne m’étonne pas – vous voyez bien que je n’y suis pour rien et que je ne suis en rien votre meilleur « supporter ».

Nous touchons à la fin de cette missive, au dernier argument. Je le confesse, il y a eu un acte manqué. Une pilule qui refuse de passer. Le jour de notre rencontre fut celui d’un échec. Café froid et bière tiède, Chérie FM en bande-son – qu’est-ce qu’on foutait là ? J’aurais pu (et dû) enregistrer notre conversation pour partager avec d’autres votre engouement à sortir vos carnets de votre sac. Enregistrer votre voix posée pour éviter de parler technique, votre simplicité face à mes assertions. J’ai merdé. En choisissant un lieu (piteusement) sonorisé, j’ai opté pour la négligence. Flemme du fatigué. Et pourtant je m’en suis mordu les gants (on était en novembre), car vous veniez de publier votre meilleur livre. Oh si, j’ai fait le test autour de moi : capable de filer des crampes abdominales aux Monty Python, La Battemobile marche sur un fil curieusement tendu. Drôle toutes les trois cases (si !) et parfaitement cohérent dans la longueur malgré un découpage haché en strips, le livre conduit un super-héros bien con(nu) sur le chemin de la castration freudienne : dépouillé de son véhicule puis de son costume puis de… tout. Jusqu’à la raison. On ricane jusqu’au bout tout en sentant la bile remonter dans nos gorges. Ecrit sur la durée, accouché au forceps de votre (minuscule) éditeur (Onapratut)… Je persiste : La Battemobile est unique en son genre.

Ainsi, je vais vous le dire abruptement mais, voyons, je ne peux pas vous faire des pages de louanges : vous êtes ce qu’on appelle pudiquement un putain d’espoir. Il était de mon devoir de ne pas vous lâcher d’un œil. Dont acte.

Veuillez agréer mon indéfectible respect. J’attends votre prochain livre avec mes bésicles de magistrat sur le nez.

Blog Politburo : http://pochep.over-blog.com/
La Traboule est lisible sur le blog du festival Lyon BD

10 commentaires

  1. Pochep en plus il roule bien les pelles.

    Non mais plus sérieusement, ce mec a vraiment un trait très perso, et très bon. Alors ouais, des fois c’est un peu rigide, il est pas avare sur le copier/coller. Mais putain quel dessin quoi. Je l’aime!

    Maître Picault a raison, il devrait lâcher LAG et se mettre sur un truc plus ambitieux, et des affiches. Moi je veux voir des affiches de concert by Pochep.

  2. On me souffle à l’oreillette que des projets ambitieux existent déjà (et sont bouclés) dans les cartons de Monsieur. Jésus va-t-il finir par se suicider enfin chez un éditeur ?

  3. OHhhh la vilaine tentative de marketing trollien gratis monsieur Wandrille…

    Honnêtement à part La Traboule et une ‘psychanalyse’ par Yoda je n’ai rien lu de Wraoum (ni de Warum). Envoyez un catalogue et/ou l’un ou l’autre SP et je verrais ce qu’on peut faire.

    Yours,
    H.

  4. On dit éditeur indépendant… parce que quand on trouve les bouquins en FNAC et VIRGIN, on peut difficilement se targuer (ou être targué) d’undergroundeux.

    En revanche, je suis d’accord, Pochep mériterait nettement d’être auteur star chez Fluide Glacial… Mais on ne va pas jeter la pierre aux petits éditeurs indés d’être les seuls assez intelligent pour reconnaître son génie.

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