À l'occasion de ses six (!) concerts cette semaine dans le cadre du festival Paris Quartier d'Eté, nous avons demandé à Pierre Henry de non seulement répondre à quelques questions, mais également de poser pour l'objectif. Contre toute attente, le père de la musique concrète a accepté.

Il y a quelques années de cela, je m’étais rendu chez Pierre Henry pour y écouter Dieu, inspiré d’un poème de Victor Hugo et joué dans l’ensemble de son immense maison, labyrinthe sonore, aux murs couverts d’enceintes et de compositions du maître, collage d’objets où se mêlent transistors, objets trouvés et cordes de pianos. Pierre Henry était installé dans le studio d’où il envoyait sa musique aux étages, aux couloirs, aux pièces nombreuses et aux escaliers de la maison. Assis dans un endroit qui tenait lieu de bibliothèque, je gardais ce souvenir de Pierre Henry, s’y mélangeait, la musique, le collage et la littérature.

À la fois là et toujours ailleurs, Pierre Henry a cette fois-ci accepté le principe d’un échange épistolaire pour aborder quelques-unes de ses nombreuses facettes (la techno, Dieu, Spooky Tooth, la spatialisation de la musique).

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(C) Pascal Amoyel

Nombre de vos pièces sont inspirées de textes (Hugo, Lautréamont,…). Bien que le lien ne soit pas littéral, je me demandais comment ces auteurs font écho à ce que vous produisez en musique ?

Lorsqu’on compose cette musique concrète, l’écrit précède le son. Je parcoure dans mes répertoires des listes qui ont une allure poétique, dramatique, anecdotique, d’histoires naturelles. Chaque son a son titre. Ces titres ne sont pas venus tous seuls, il y a eu mes lectures qui ont forgé une armature intellectuelle, spirituelle et émotionnelle qui me permet de me retrouver au milieu de cette immensité qui à la fois me dépasse et me fascine. La littérature c’est l’antiquité, les poètes (Victor Hugo, Baudelaire, Rimbaud, etc..) mais c’est aussi mes romans policiers, la science-fiction et pourquoi pas Jules Verne. Tout cela martèle dans ma tête jusqu’à ce que la bonne phrase musicale sorte et les textes ne sont jamais loin de cette finalité.

« Je préfère oublier votre description de mon processus de travail car je le trouve très proche de ma réalité ! »

Deleuze écrit à propos de la Recherche du Temps perdu de Proust : « Une œuvre qui a pour objet, ou plutôt pour sujet, le Temps. Elle concerne, elle traîne avec elle des fragments qui ne peuvent plus se recoller, des morceaux qui n’entrent pas dans le même puzzle, qui n’appartiennent pas à une totalité préalable, qui n’émanent pas d’une unité perdue. Peut-être est-ce cela le temps : l’existence ultime de parties de tailles et de formes différentes qui ne se laissent pas adapter, qui ne se développent pas au même rythme, et que le fleuve du style n’entraîne pas à la même vitesse. » Est-ce qu’on pourrait aussi dire cela des sons que vous employez et de la manière dont vous les assemblez ?

Je préfère oublier votre description de mon processus de travail car je le trouve très proche de ma réalité ! Je suis sûr quand je compose que la pulsation de mon corps associée à celle d’une horloge, ponctue une temporalité nécessaire à toute mon œuvre et chaque fragment est enchaîné suivant des lois qui me sont propres et qui sont la marche dans le temps, comme, par exemple, dans ma dernière œuvre Le Fil de la vie.

Vous ne semblez pas un mystique et pourtant c’est un vocabulaire que vous employez également (de la Messe à l’Apocalypse). Est-ce que le religieux est aussi pour vous un lieu d’où vous pouvez composer ? Une forme qui peut abriter la musique ?

Je n’aime pas la notion de religieux. Ma musique s’ouvre plutôt vers le sacré. J’aime chercher ce qui pourrait conduire à l’extase, à la pureté ou à la transe. Ces approches mystiques se trouvent dans la plupart de mes œuvres sauf quand il s’agit de renouer avec les rythmes binaires de la techno !

À côté du sacré, il y a aussi la technique et la culture pop. En 1969 vous collaborez avec le groupe Spooky Tooth, cela peut paraître incongru ?    

Devant le succès des jerks de la Messe pour le temps présent, mon éditeur m’a naturellement orienté vers un voyage à Londres pour y rencontrer Gary Wright. J’ai été emballé et nous avons chanté ensemble cette messe/ceremony à laquelle j’ai intégré le vocabulaire sonore de François Dufrène.

Vous avez dédié une composition à Jacques Villeglé qui a cette particularité de travailler avec des affiches lacérées, c’est-à-dire que ses œuvres gardent la présence de leur matériau d’origine. Vous réalisez vous-même des compositions plastiques qui sont des collages d’éléments. Est-ce que vous cherchez à conserver une trace de ce qui produit le son ?

Dans mon inconscient je suis parfaitement sûr que mes sons existent dans mes tableaux, mais ils sont pétrifiés et me donnent surtout des orientations formelles.

Le son par rapport à la note est toujours le son de quelque chose (que ce soit l’orage que vous évoquez souvent, le tramway, la machine, etc…). Quelle est l’importance pour vous de cette source du son ? Comment l’objet est-il présent dans votre travail, comme compositeur, mais plus largement comme « artiste » ?

Je pense que ma musique et ma peinture ont une valeur existentielle et cela compte beaucoup pour moi car dans les gammes de notes que j’utilise j’aime glisser les pas et les pas de notre vie.

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(C) Pascal Amoyel

« La musique dans la maison doit s’écouter les yeux fermés. »

Les « collages » que vous réalisez sont presque des objets musicaux, on pourrait dire, si vous me passer l’expression, qu’ils s’écoutent avec le regard. Est-ce que ce travail de collage n’est pas une manière de donner un lieu au son, d’en faire une composition dont la manifestation ne serait plus seulement temporelle mais aussi spatiale ?

Je ne pense pas. Pour moi le son a ses développements fulgurants et ses plongées dynamiques que ne donnera jamais aucun tableau.

Votre maison est aussi un lieu d’écoute. L’endroit « donne lieu » à la musique. Est-ce que ce dispositif particulier pourrait être rapproché des intentions qui ont présidé à la fabrication de Bayreuth, un lieu qui serait un « palais idéal » pour reprendre le mot du facteur Cheval ? Est-ce que votre maison peut être pensée de la même manière, comme le lieu d’un immense collage, comme la réunion, dans un même espace d’une multitude d’autres espaces apportés là par la musique ?

Il n’y a pas de lieu idéal pour la musique, je pense que le seul est le casque ! La musique dans la maison doit s’écouter surtout les yeux fermés. La musique pour la musique, où que ce soit.

Pierre Henry en concert dans le cadre du festival Paris Quartier d’été, au Carreau du Temple du 14 au 19 juillet. Plus d’infos sur quartierdete.com

Photos : Pascal Amoyel

(C) Pascal Amoyel
(C) Pascal Amoyel

 

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