Un soir de la décennie 2010, à une époque préhistorique où Marianne James se recycle dans la peinture de variété, des bouleversements encore plus profonds gagnent le périmètre de la culture pop. Les plaques tectoniques se déplacent, Major Tom est définitivement largué dans l’hyper-espace et la Souterraine produit plusieurs irruptions volcaniques, dont l'une serait la publication du premier album, "Le fantôme de l'enfant", de Petausore.

Quelques temps auparavant, Benjamin Tordjmann, un joyeux mercenaire de la musique métal dont les ancêtres auraient côtoyé de près le noble Attila, s’ennuie. Après avoir écumé tous les kebabs, il tombe sur des airs tristes de Benjamin Biolay et se met en tête de faire de la chanson de variété, avec un peu de traces de sang et de graisse et sans renier ses sombres origines. Dans la foulée, il décide de monter un groupe avec des acolytes de longue date : Krispy Krust (à la batterie) et Meunier (à la guitare et à la production). Pendant plus d’une année terrienne, ces fiers chevaliers du Métal composent les dix chansons d’un premier album pop. Sans se soucier de la cohérence des styles, entre des chansons franchement électro (La Plage) et des morceaux à la patte très rock (La Gorge du diable), Petosaure ne s’excuse pas plus d’écrire des textes bizarres inspirés de Rabelais (Pantagruel). Parmi ses nombreux grands frères déclarés, on peut citer La Femme et Alain Bashung, auxquels il aurait dérobé la pierre philosophale.

Signe de reconnaissance de ce diable à trois têtes : de bonnes chansons écrites en français et un lyrisme retrouvé, dans sa forme la plus romantique et la plus noire. La légende raconte qu’il aurait un foie indestructible quand il s’agit de kebab-frites. Il fallait bien que je le rencontre pour en avoir le coeur net.

C’est pratiquement votre premier projet pop. Avant ça, vous exerciez dans le Métal. Qu’est-ce qu’il vous reste de cette expérience ?

Petosaure : L’énergie. C’est une culture de la scène. On va chercher le public directement, en faisant beaucoup de concerts. Dans la variété ou l’électro pop par exemple on a tendance à penser que sept concerts par an c’est déjà beaucoup. Dans le métal, c’est plutôt sept concerts par semaine.

Krispy Krust : Le métal est une musique faite par des passionnés, avec une envie de percuter. Je crois qu’on retrouve ça dans Petosaure. Pendant les lives, on retrouve un côté très théâtral, avec une musique très grandiloquente, très imagée, très brute, au niveau de la rythmique et des appuis.

Puisque qu’on ne vous a pas encore posé la question : quelles sont vos références littéraires ?

Petosaure : Je lis très très peu. Je ne crois pas avoir lu de livres depuis qu’on m’a forcé au collège. Par contre j’ai beaucoup joué aux jeux vidéos et grandi dans un univers complètement fantaisiste. Je n’en suis jamais sorti d’ailleurs. Mes références, s’il y en a, il faut donc les chercher du côté de la fantaisie et du romantisme. Mais j’ai toujours été beaucoup plus attaché aux images qu’aux écrits. J’ai du mal à dissocier les deux, d’ailleurs je consomme énormément de bande-dessinée et de romans graphiques.

Ça fait aussi partie de la littérature… Lesquels ?

Petosaure : Beaucoup de mangas. Par exemple Naoki ’Urasawa’, Monsters et 20h Century Boys. On est dans un univers qui est toujours celui de l’enfance, avec des personnages qui n’arrivent pas à en sortir.

Et quelles chansons alors (encore un art littéraire à part entière) ?

Petosaure: Il y a eu Jean Fauque, qui a écrit la plupart des chansons de Bashung jusqu’à « Bleu Pétrole ». J’ai aussi été bercé par l’écriture d’Henri Salvador. Benjamin Biolay, beaucoup plus récemment.

J’avoue ne pas trop comprendre pour Benjamin Biolay.

Petosaure : Ce que m’a appris la chanson de Benjamin Biolay c’est que c’était pas si bien que ça d’être tout le temps joyeux, en fait, et qu’il y avait quelque chose de magnifique dans la tristesse. Il y a un moment dans ma vie où je me suis retrouvé à me séparer d’une fille que j’aimais beaucoup parce que j’avais envie d’expérimenter la tristesse amoureuse. Certains textes de Biolay m’ont traumatisé. Je me suis dit que je ne pouvais pas les comprendre si je ne l’expérimentais pas vraiment.

J’aimerais revenir à l’expression journal d’états d’âmes que tu emploies pour qualifier ton album. Tu dis ça par rapport à un aspect autobiographique ou au lyrisme ?

Petosaure : Il y a un peu des deux. Je viens du métal, et c’est une musique où il n’y a pas de barrières. Il n’y a aucun filtre, aucune distance.

« Dans le futur, la musique de la prestidigitation façon David Copperfield va disparaître. »

C’est au premier degré.

Petosaure : Dans la musique, oui, toujours. Oui je me suis demandé ça aussi. Je pense que dans le futur, la musique de la prestidigitation façon David Copperfield va disparaître.

C’est quoi la musique de David Copperfield ?

Petosaure : La fausse musique. Je pense que la bonne musique va marcher.

C’est quoi la bonne musique ?

Krispy Krust : Petosaure. C’est une musique qui nous est très personnelle. Aussi bien concernant l’instrumentation que le chant. On essaye de mélanger nos influences de la manière la plus naturelle possible.

Et respectivement, quelles sont vos influences ?

Krispy Krust : Je le rattache à des synthés un peu progressifs des années 1970, avec tout un univers visuel aussi bien que musical.

Meunier : J’ai pas d’idée fixe. Comme pour Krispy Krust, il y a des choses qui me font beaucoup penser au rock progressif des années 1970, mais aussi à des trucs plus hip hop ou électro, de la musique de jeu vidéo… C’est vraiment morceau par morceau, instant par instant. J’ai pas du tout la même sensation quand on joue les morceaux La Plage ou La Gorge du diable. Et d’ailleurs, au moment de la production, on n’a pas du tout travaillé ces morceaux de la même façon.

Bon c’est évident que vous avez choisi ce nom de groupe pour déconcerter les journalistes. Mais sinon, ça vient d’où ?

Petosaure : La première fois que j’ai vu ce mot, c’était dans la cave de la maison de mes grands-parents, gravé sur une roche. J’avais sept ans. Plus tard, j’ai appris qu’on avait retrouvé des parchemins indiquant que j’aurais eu un ancêtre parent proche d’Attila. Les Huns ont mené une guerre très violente à laquelle il aurait participé.

« On est conscient que Petosaure c’est un nom qui peut mettre des bâtons dans les roues. »

J’avais vu que c’était le nom d’un dinosaure qui pète.

Petosaure : On est conscient que c’est un nom qui peut mettre des bâtons dans les roues. Et on est conscients que la musique qui fonctionnera ce sera la nôtre. On voudrait pas que ça marche trop facilement…

Mais quand vous serez connus, il y aura plus de surprise. Il va falloir changer de nom.

Petosaure : Ce serait une belle revanche.

Et pas de rapport avec l’art brut alors ? Quand on pense à la pochette et à la chanson Pantagruel, pourtant

Petosaure : On aime l’art brut, oui, on est tous attirés par ça dans le groupe. C’est le cas de Jacky La Brune, l’artiste invitée à faire la pochette. Elle vient d’une famille d’artistes qui sont dans l’art brut. C’est un art très honnête, difficile à approcher parce que je ne me permettrais pas de dire qu’on est fous. Par contre, on rêverait de l’être. Peut-être que ce serait une bonne chose, peut-être qu’on ferait une meilleure musique, plus sincère, je sais pas. On essaye au maximum d’atteindre quelque chose de brut en tout cas. Par exemple, j’ai adoré le film Bird Man parce qu’on montre que c’est possible d’être fou juste en voulant l’être. Et on ne se rend pas compte du moment où ça bascule. Avec ce groupe, on essaye de rejoindre au maximum le seuil de la transe.

Vous vivez de votre musique ?

Meunier : Je suis président du studio The Office, c’est ce qui me fait manger. Sinon je vis plutôt de la guitare.

Krispy Krust : Pour moi c’est de la vidéo et des cours de batterie.

Petosaure : Petosaure fait du graphisme et de l’animation.

Je demande ça parce qu’en général le fait d’avoir un background assez classique, du type conservatoire ou école, change pas mal l’approche qu’on a de la musique de variété et du public.

Meunier : Ça a tendance à formater la façon dont on veut s’exprimer. J’ai souvent appris au cours de ma formation qu’il y avait la façon ‘’correcte’’ de faire de la musique, et le reste. Ça demande du temps de remettre en cause sa bonne éducation. La prochaine fois que tu commences à toucher à des interdits, à faire des choses qu’il ne faudrait pas faire, tu as l’impression de faire des conneries. Comme c’est Petosaure qui compose et qu’il n’a pas de background musical, cela peut m’arriver de déchiffrer des partitions qui ne sont pas loin d’être des aberrations. Mais fondamentalement, tant que ça sonne, tant que ça parle, on se rend compte que ce n’est pas si important.

Vous vous êtes rencontrés comment ?

Petosaure : Par le métal. Le milieu n’est pas si grand que ça à Paris. Les gens restent beaucoup entre eux. On se retrouvait sur les mêmes scènes. On voyait toujours les mêmes gueules à tous les concerts. C’était tellement un petit milieu qu’à un moment ça a commencé à se ‘’popiser’’. Tout le monde se voyait, se jaugeait. Ça ‘bitchait’ grave. C’est aussi pour cette raison qu’on s’est un peu sorti de ce milieu-là. Mais on a toujours un groupe de métal avec Julien : c’est Raptor King. On a décidé de monter tous les mêmes projets ensemble. Comme ça si on réussit, c’est encore mieux.

Vous avez un compte commun en fait ? Bon sinon vous aviez dit que l’album était bourré de défauts. C’est quoi alors les défauts ?

Petosaure : Il est trop bien. C’est difficile de s’en séparer une fois qu’on l’a.

Ah là vous faites bien la promo.

Meunier : On est là pour le vendre quand même. Disons que c’est un album très spontané. En tant que musicien, on peut essayer de le reprendre, d’améliorer les morceaux. Mais avec la musique et l’art en général, on a besoin de s’arrêter au bout d’un moment parce que sinon ça n’en finit pas.

Petosaure : C’est un peu comme un tatouage. La marque de nos expériences passées à un moment donné. L’album est né comme ça, avec ses qualités et ses défauts, à une époque précise. Dans les textes, il y a des choses que je trouve horribles. J’ai dit des choses affreuses, super-violentes, je m’en veux. Mais en même temps, ça appartient bien à un moment de ma vie. Quand je dis défaut, ce n’est pas le mot juste. C’est comme pour un visage : ce n’est pas parce qu’il n’est pas beau qu’il n’est pas harmonieux.

« Benjamin est venu avec une piste d’environ 45 minutes sans voix. Il m’a envoyé ça en me disant : Faut que ça sente le sexe. »

Donc c’est harmonieux Petosaure. Vous avez collaboré avec une artiste d’art brut pour la pochette, vous soignez les spectacles, les clips… Des envies d’art total à la Wagner ? Ou désir de maîtriser tous les aspects de la production ?

Petosaure: On va sortir l’album physiquement, on veut que ce soit un bel objet. L’artiste qui a travaillé sur la pochette a aussi réalisé une douzaine de tableaux, des portraits pour illustrer chacune des chansons de l’album. On veut créer un évènement où on vendrait l’album physiquement et où l’artiste exposerait toutes les oeuvres qui ont été réalisées au fil du temps. Elle a commencé à peindre au moment où l’album commençait lui aussi à s’écrire. Elle a toujours été auprès de nous jusqu’à maintenant. Elle s’est inspirée de notre travail, comme nous nous sommes inspirés du sien. L’art circule. Certaines couleurs de l’album sont arrivées avec les couleurs qu’elle nous a offertes. On retrouve ça aussi dans les clips. C’est très difficile de dissocier l’image de la musique dans ce projet.

Comment est né cet album d’ailleurs ? La confusion des genres était là à l’origine ?

Meunier : On a enregistré toutes les chansons d’un coup il me semble. Benjamin est venu avec une piste d’environ 45 minutes sans voix. Il m’a envoyé ça en me disant « Faut que ça sente le sexe ». Deux semaines après, on a entamé le projet Petosaure.

Petosaure : J’ai été dans des projets musicaux très durs à aborder jusque-là. Pour les écouter, il faut avoir été dans le Métal pendant cinq ou six ans. Je me suis séparé de certains groupes parce que je pouvais plus assumer de faire une musique que je ne comprenais pas moi-même. C’est un projet que j’ai commencé à faire tout seul dans ma chambre. Je ressentais l’envie de communiquer des choses plus simplement. Meunier et Julien sont venus dans la foulée. Je crois qu’on avait tous envie de se retrouver sur un petit îlot imprenable par personne. On a désiré ce moment de liberté totale, où il ne s’agirait que d’enfreindre des règles. On est arrivés à un moment de nos vies où on a tous fait de la musique pendant très longtemps et on aimerait ne plus jamais avoir de limites.

L’enfance, c’est une thématique centrale dans cet album, si je me trompe. Et pourtant sans tomber dans l’écueil de la naïveté. C’est plutôt une catharsis que vous faites..

Petosaure : Ce n’est pas un projet qui serait fait pour revivre virtuellement les traumas ou les expériences de quelqu’un mais plutôt comme un moyen de traverser et de questionner les siennes. Ça a une visée plus universelle qu’il n’y paraît. On n’appuie pas là on ça fait mal, on cherche à mettre en lumière ce qui est à la sortie de tout ça. Je préfère montrer des couleurs, ou des reflets des couleurs qui sont à la sortie de la caverne et que les gens se dirigent vers elle plutôt que de montrer le fond de la caverne, parce que je ne trouve pas ça intéressant.

Vous êtes pour le monde de l’illusion

Petosaure : On a bien commencé à croire qu’on pouvait voler avant de le faire vraiment. Entre mes 6 et 8 ans, je ne me déplaçais qu’en volant. Un jour, je me suis rendu compte que c’était agréable de parler avec les gens, c’est à ce moment là que j’ai fait de la musique. Maintenant je parle beaucoup mais je ne sais plus voler. Mais ça va revenir.

Petosaure // Le fantôme de l’enfance // Sortie en digital chez La Souterraine
http://souterraine.biz/album/le-fant-me-de-lenfant

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