Adapter en français des morceaux de Sonic Youth, Lou Reed, Alan Vega ou Robert Wyatt : c’est son projet. En marche avec un monde de plus en plus dépolitisé, Mendelson livre donc cet étonnant disque d’entre deux tours qui, surprise, donnerait presque envie de le glisser dans l’urne.

Pourtant de prime abord c’est un peu rugueux. On dirait même que ça colle à la langue, française en l’occurrence, puisque ce nouveau projet – évidemment pas commercial – de Mendelson vise à adapter des morceaux (rock, de préférence) du 20ième siècle pour les faire résonner avec l’actualité, tellement au niveau des genoux d’un homme tronc qu’on peine à la qualifier « de politique » tant les réseaux sociaux ont transformé le moment, et la quête de l’homme providentiel livré en kit avec, en une vaste blague sur-démocratique qui permet de conclure ce premier paragraphe par un sobre aveu d’échec : oui, ensemble tout est devenu impossible, comme le résume Les peuples, titre adapté dans la langue de Jean-François Copé à partir du Almost like the blues de Leonard Cohen. Et qui tacle sèchement l’envie du public de ne plus voir la réalité qu’au travers de notifications Facebook.

C’est justement là que « Sciences Politiques », inspiré par le Political Science de Randy Newman, permet de redonner au mot traduire son double sens profond : traduire des chansons certes, comme certains réalisent bêtement des covers à la pelle, mais surtout traduire l’époque à travers l’une de ces dernières sciences insondables qui ne puissent être résumé comme un programme : la musique. Dans la bouche de Mendelson et ses compères – parmi lesquels des têtes connues comme Mitch Pirès, Charlie O ou Quentin Rollet au sax – ces chansons depuis longtemps anodines redeviennent ce qu’elles furent, pour certaines : des manifestes. La preuve d’un temps où des notes assemblées les unes aux autres suffisaient à éveiller les consciences. On pense notamment au Men of Good Fortune de Lou Reed, rebaptisé Les Héritiers, au Capitalisme adapté depuis le We are all prostitutes du Pop Group, au titre pourtant déjà bien évocateur, ou encore à Youth against fascism, de Sonic Youth, qui fait surtout penser à tous ces électeurs du Front National qu’on aimerait bien, pour une fois, condamnés au lieu d’être excusés d’élection en élection. En ces temps d’abstention et d’hésitations répétées, « Sciences Politiques » met donc un peu de peinture poétique sur un mur qui en manque profondément.

« Répondre à la violence et la grossièreté du monde contemporain »

Chercher et détruire

On vous prévient : musicalement, c’est austère. On dirait même, à l’image des photos presse, lugubre. Mais après tout, il n’a jamais été écrit que la musique devait être divertissante (écoutez Les loisirs, reprise des Jam) ; pas plus que la politique ni que, si on pousse le bouchon sur l’autoroute à merde qu’on emprunte tous les jours, la vie. Ainsi donc, « Sciences Politiques » se réapproprie le concept de musique engagée, pile à un moment où tout le monde s’en fout. C’est à l’image de l’époque. Plus insoumis que véritablement en marche, comme le prouvera ci-dessous la séance de ping pong, Mendelson aka Pascal Bouaziz[1] arrive pourtant à se dégager du côté étendard générationnel qui a tant fait de mal aux années Noir Désir ; quand on écoutait supportait Un jour en France au supermarché ou après les manifs qui ne servent jamais à rien.

Le soulèvement, tiré du The Ghost of Tom Joad de Springsteen fait penser à du Bashung susurré ; d’autres comme La Panique évoquent de loin le « Présence Humaine » de Houellebecq ou à Rodolphe Burger dans le flow scandé, les ambiances gazeuses ; partout ou presque c’est un sans faute desampoulé et, au fur et à mesure des écoutes, c’est le rock qui s’estompe. Pour laisser place à un sixième album peut-être plus actuel qu’aucun des autres de Mendelson et qui, peut-être est-ce un clin d’œil au désormais Youtubeur Jean-Luc Melenchon, s’accompagne de douze pastilles vidéo explicatives des deux reprises. Comme ça, cette fois, pas de méprise. Candidat Mendelson, c’est à vous.

C8fqTjaXoAEW13d

Comment est né le projet dans ton esprit ? Y’avait-il urgence pour toi, en tant qu’artiste, à reprendre la parole politique dans une époque foncièrement désengagée ? 

C’est surtout en plein milieu de mon désengagement à moi que je me suis dit qu’il était peut-être possible de renouer avec une parole politique qui soit différente. C’est la confrontation avec des enfants de 15 ans à l’époque de l’attentat de Charlie, dans le cadre d’un atelier d’écriture et mon vertige et sentiment d’impuissance devant leur réaction qui m’a probablement réveillé. Leur passivité, leur antisémitisme banal, leur « eux contre nous », tout ça m’a douché totalement. En plein milieu d’une sorte d’élan d’union nationale dégoutant, comme tous les élans d’union nationale, autant te dire que eux ne se sentaient pas « Charlie » pour un sou. J’étais d’autant plus emmerdé que dès que je sens qu’il y a un NOUS obligatoire « Nous sommes tous » quelque chose : mon premier réflexe est de partir en courant. Et tout en courant de me demander « sur le dos de qui », sur le dos de quel bouc émissaire se fait cette belle unanimité ? Bref, entre le dégout de François Hollande et ses amis chefs d’état défilant pour « Charlie » et le dégout total de la violence aveugle d’abrutis antisémites, et le dégout encore (attendri, concerné mais dégout quand même) devant le relais passif de toute une vomissure internet de théorie du complot par ces enfants paumés et abandonnés : je ne me sentais pas terriblement bien dans mes godasses. Beaucoup de compassion aussi envers les professeurs qu’on abandonne à ces enfants abandonnés. Cette première réaction a donné Bruit Noir », le premier album d’un côté : projet très nihiliste, et « Sciences Politiques » de l’autre projet presque plus positif en quelque sorte.

On peut dire qu’il y a une bonne science du timing avec les élections. Le projet doit-il son existence à la Présidentielle 2017 ?

Non, les titres ont été enregistrés justement à Bobigny en avril 2015. Le projet doit son existence à la vue de bidonvilles aux portes de Paris, à la renaissance d’une grande violence en France, et à la stupeur devant la bêtise de la réponse politique devant cette grande violence : qu’un Président français, le lendemain de la tuerie du 14 juillet, ne trouve rien à offrir à son peuple que la promesse d’une vengeance, ça me fascine… L’archaïsme de la réponse est stupéfiant : On va aller bombarder ! Mais bombarder qui ? Quoi ? Où ? Comment ? Honte, honte, honte à ces fantoches.

« [En art] le raisonnement sur le public est absurde. »

Sur Les Héritiers, adaptation du Men of Good Fortune de Lou Reed, tu cites dans la video explicative Bourdieu et ses sciences politiques. Peux-tu m’expliquer en quelques mots pourquoi il est important pour toi, sur ce titre et album ? 

Que des gens repensent notre époque et nous aident à y voir un peu plus clair fait un bien fou. Bourdieu, Deleuze, Foucault, Derrida… je pense à toute une génération de penseurs de gauche qui n’avaient pas trouvé jusqu’à peu il me semble de relève mais qui là, revivent, quoique différemment, chez Lordon, Michéa, Deneault, Stiegler etc… Je revoyais une vidéo de Deleuze annonçant le remplacement de la société de discipline par la société de contrôle : impressionnant de pré-science.

Justement, quel est ton sentiment sur l’ambiance politique actuelle, en France ? Quel titre choisirais-tu pour illustrer ce moment historique qu’on semble vivre, en France, face à l’autodestruction des partis politiques dit « dominants » ?

« Qu’ils crèvent tous confits dans leurs costumes à dix mille balles, avec leur Rolex à la main, leurs 4X4 et leurs résidences secondaires à la baule ! » ? Euh non c’est pas tout à fait qu’il faut dire. Ils n’ont jamais fait partie de mon monde, qu’ils disparaissent (si jamais ils pouvaient réellement disparaitre) me fera moins de peine qu’une extinction d’espèces menacées d’insecte sur une île de Nouvelle Guinée, comme il en disparait tous les jours.

« Des artistes engagés au 21ième siècle, j’en sais rien. Donne moi des noms. »

Sans transition, tu es toi-même plutôt du genre « extrême » dans ta musique (ton triple album « Mendelson » en 2013, le refus de céder quoique ce soit aux modes, l’intransigeance des mots et la dureté des ambiances). A quel moment as-tu décidé de t’en foutre de cette radicalité ?

Mouais, bof : la plupart du temps, on fait ce qu’on peut, ou plutôt on fait ce en quoi il se trouve qu’on est bon. Il y a énormément d’artistes tous mous, tous bien mainstream, tous bien middle of the road et dans l’air du temps qui ne trouvent pas non plus de public. Ceci dit avoir un peu de public, notamment, pendant les concerts, ça fait pas de mal.

Les sciences politiques, ce sont des candidats, mais aussi des électeurs. Pour applique cette équation à la musique, il y a des artistes et des auditeurs. En as-tu encore quelque chose à foutre du public ? Crois-tu encore, de ce point de vue, au vote démocratique, et au fait que le public est sensé avoir toujours raison ?  

Si tant est que l’on croit que la voix du plus grand nombre est la meilleure à suivre, ce à quoi je ne suis pas sûr d’adhérer, (je ne suis pas du tout partisan d’une démocratie directe)… En Art, en tout cas, le raisonnement est absurde. Ce qui est peut-être vrai mais à vérifier c’est que les choses belles et intéressantes qui ont existées ont toujours trouvé à terme, mais parfois très longtemps après leur existence, ont toujours trouvé à terme le public qu’elles méritaient.

La sélection des morceaux, sauf erreur de ma part, puise essentiellement dans le répertoire du 20ième siècle. Est-ce à comprendre que, selon toi, le 21ième n’est plus capable de chanter le quotidien social des gens ? 

J’en sais rien. Donne moi des noms ? Le choix s’est porté sur des titres qu’on aimait, puis que je pouvais traduire intelligemment, puis que l’on pouvait adapter musicalement plus que sur l’âge des morceaux eux-mêmes.

Il y a sur certaines des reprises des échos à Bashung, volontaires ou pas (à toi de me dire). Sur La Dette, quand tu mentionnes la République, je ne peux pas m’empêcher de penser aux Résidents de la Republique de Bashung sur « Bleu Pétrole », qui était déjà une sorte d’esquisse de chanson politique, mais à demi-mots. As-tu l’impression d’enfoncer clairement le clou avec ce disque ? 

Je connais très peu le dernier album de Bashung. Mais j’aime beaucoup beaucoup, l’artiste, son exigence, sa trajectoire, même ses échecs… La ressemblance n’est pas forcément voulue, mais je n’ai pas lutté contre non plus. La langue française, de toute façon, produit, mise en musique, sur cette sorte de musique en tout cas, des contraintes qui font que bon gré mal gré on ressemble à ces ainés, quoiqu’on fasse… Brigitte Fontaine, David Mac Neil, Bashung, Murat, ressortent par endroit… Ou pour les jeunes groupes dont on me parle et qu’on dit ressembler à Mendelson : les mêmes contraintes produisent souvent les mêmes effets.

Ton slogan 2017, c’est un peu « allez tous vous faire enculer », non ? 

Je n’ai rien contre les gens qui se font enculer avec joie pour de vrai tous les jours. Donc ça ne constitue pas réellement un type d’insulte que j’utiliserais naturellement. En revanche pour nous tous qui nous faisons tous les jours abêtir, asservir, vider les poches, berner, tromper, humilier, et la plupart du temps même avec notre collaboration active, voire notre enthousiasme, pour nous tous, en 2017, j’exprime ma plus sincère affliction. Et je souhaite à tous le plus grand courage possible pour les années à venir.

Mendelson // Sciences Politiques // Ici d’Ailleurs
Dispo en CD et vinyle ici

[1] Déjà repéré ici pour quelques chroniques, qu’on nous pardonne cette connivence.

5 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages