Quatre ans après la création du résistant label, ça semble reparti pour un tour. Objectif  lune : reprendre le maquis, décrocher à nouveau les ceintures pour planer par-dessus la France. De cette hauteur, les passants ont l’air minuscules ; des silhouettes perdues dans un paysage souvent taché de cancres. Assis autour d’une table pas forcément ronde,  je tente d’entrevoir la quête d’Arthur Peschaud, ex-Turzi et fondateur de Pan European, étrange commandant d’un vaisseau désormais très spécial.

« Notre musique est là pour faire souffrir l’auditeur français » avertissait Romain Turzi, en envoyant la bombe que l’on sait, A, comme Atomik, A, une lettre à destination européenne. Est-ce qu’il faut tuer l’auditeur pour l’emmener en enfer ou vers un paradis artificiel ? Après tout, on dit bien d’une chose surpuissante qu’elle tue, qu’elle défonce, qu’elle démonte. Depuis A, le point de décollage, de l’eau de vie a coulé sous les ponts, tellement que le bateau en est ivre. Comme B succédait à A, la compilation Voyage II fait le bis et à nouveau la jonction entre les passagers, qu’ils soient barbus, terroristes sonores ou kamikazes héromantiques. Morts ? La pochette, sous le signe du V, donne pourtant à lire Vivants. Des morts vivants ? Des zombies zombies !  Message reçu V/V.

Arthur

Wey Arthur ! Pour commencer, revenons, si tu veux bien, à l’origine de la création de Pan European Recording…

Au commencement, j’étais chez Record Makers. Le label a signé Turzi et je me suis subitement retrouvé à remplacer un membre manquant. Je faisais donc partie du corps Turzi, et pour éviter l’antinomie – si antinomie il y a  – j’ai arrêté de bosser pour Record Makers. L’idée d’un label a jailli comme une évidence. Etant donné que j’avais l’intention de ressortir pléthore de disques occultes fétiches, je souhaitais créer un label de rééditions. Très vite, je me suis rendu compte que ma passion se trouvait, par-dessus tout, dans le studio, l’enregistrement, la création – le boulot d’archiviste un peu moins, les blogs s’en chargent suffisamment. Pendant mes trois années d’expérience dans un label, plus à travers les concerts de Turzi, j’ai pu entendre pas mal d’artistes que j’estimais important de sortir en France. La plupart du temps refusés parce que trop freaks – je pense notamment à Aqua Nebula Oscillator. A peu près au même moment, je découvre Koudlam par Cyprien (Gaillard), une grosse claque… En calbut dans ma chambre, je me persuadais que ça allait être simple de faire parler la musique, sans forcément passer par des stratégies ultra élaborées.

Je pense que, au sein de Turzi et en créant Pan European, tu te trouves à la fois dans la création et, par le biais de l’analogie chez l’auditeur curieux, dans le travail de passeur… En parlant d’éditions et de rééditions, l’exemple de Koudlam – qui ouvre Voyage II – est intéressant : est-ce que tu penses que Pan European pourrait sortir Nowhere ?

On le fera, on le fera. Je l’ai écouté en boucle, moi. En plus, avec du recul, c’est un disque qui se révèle assez précurseur, par exemple, de la witch house. Quand il (n’) est (pas) sorti, Pan European existait seulement dans mon imaginaire. A la fin du concert, je suis allé voir Koudlam en lui disant de m’appeler dans un an, le temps d’établir la structure. Avant le coup de fil pro, on a appris à se connaître, à échanger, autant sur le plan humain qu’artistique. Attends deux secondes, je vais chercher des bières.

Mon papier le plus récent pour Gonzaï, à propos des Crocodiles, s’ouvrait sur une liste d’animaux de la pop… Transition impeccable : voilà que je me retrouve avec le boss d’un label animalier. La logique demande à ce que je te pose cette question : pourquoi un paon ? Oiseau psyché, plumage multicolore ? Allusion à Koudlam & flûte de pan ?!

Parce que Pan European Recording ! Genre Pan, quand tu le dis avec l’accent français, ça fait Pan. Ou alors Pan. Pan European Recording.

Ah…

En fait, j’adorais le logo de Death Records dans Phantom Of The Paradise. Le graphiste a trouvé le paon : j’aime bien, c’est un oiseau un peu crade. Après, oui, pourquoi le paon ? Parce que Pan European Recording, ça fait grosse maison de disque, et que l’idée d’avoir l’air d’une multinationale m’amuse. Honnêtement, ça sonne quand même mieux que La Marmite Production ! Bon, puis y a le jeu de mots mais ça, ça n’a pas beaucoup de sens.

Comme un groupe qui a ses références, un label a ses exemples, selon sa ligne de conduite. Dans la démarche, tu te sentirais proche de quels labels ?

Quand on l’a monté, j’étais fasciné par Saravah, le label de Pierre Barouh : le premier à signer des oeuvres surréalistes, Brigitte Fontaine et Areski, des disques incroyables de bossa… Très cohérent, très beau. Aujourd’hui, les Américains qui ressortent plein de world me bouleversent. Ce que fait Damon Albarn avec Honest’s Jun, génial ! En somme, des labels érudits, qui s’adressent directement à l’intelligence de l’auditeur.

Aqua Nebula Oscillator

Tu penses quoi de la non-importance du disque aujourd’hui ?

Déjà en ce qui concerne le téléchargement illégal, je ne suis pas contre, loin de là, mais je trouve dommage que l’objet disque subisse une telle dévalorisation. De l’âme encore, sans doute, mais plus de corps. Un plaisir immuable chez moi : sortir du magasin avec, sous le bras, un vinyle, ou même un objet, quel qu’il soit. Depuis dix ans, je fouille dans toutes les brocantes possibles et, par moment, je crois halluciner. Je vois des gens qui se débarrassent de leur collection entière, pour quelques dollars, putain, je suis sérieusement triste pour eux. Alors je leur demande pourquoi, souvent ils me répondent : « Ah ça prend de la place » ou « je ne les écoute plus » ou « j’ai plus de platine »… Triste. En tout cas, j’aime produire des objets. Mais bon, un disque aujourd’hui, c’est en réalité plus de la promotion qu’un véritable revenu. C’est ce qui permet aux artistes d’ « exister » : pas de disque, pas de presse.

L’exemple d’un magazine comme Technikart démontre pourtant le contraire : les deux premiers « albums de l’année 2010 », Mohini et Ceo, ne sortent qu’en février 2011. Event Horizon, en 2010, n’existait même pas en version digitale… C’est un honneur qu’elle se retrouve sur Voyage II, juste avant la sortie de son propre disque. Tout de même, c’est sa première apparition « physique », hors Sex In Dallas.

Avant tout, ce sont les albums de l’année des journalistes puisqu’ils ont les promos plusieurs mois avant les sorties ! C’est sûr, c’est spécial. Mohini, ouais, je suis très pote avec elle, un bail que je la connais. Le morceau sur la compile, c’est nous deux. Librement modifié par ses soins, épuré. Résultat : il manque la moitié des instruments que j’avais enregistrés ! Un bon choix de sa part, je crois. Mais pour en revenir à la place du disque, quand tu vois celle de la musique en France… Ridicule. Regarde, pas une seule émission musicale, pas même un chroniqueur dans un talk-show ! Avec les blogs, tu te rends compte que l’érudition se trouve chez les plus jeunes. Même les baby rockers, mine de rien, ils sont arrivés avec une culture musicale importante. Après, ils n’en ont pas fait grand chose mais bon…

En ce qui concerne la scène actuelle, est-ce qu’il pourrait y avoir des projets communs avec, par exemple, Poni Hoax ?

Disons qu’on se connaît beaucoup mieux qu’à l’époque de Turzi. Justement, ces derniers temps, j’ai eu pas mal d’occasions de discuter avec Nicolas Ker, on a même envisagé, pourquoi pas, de travailler ensemble sur un disque. Ouais, en fait, je le verrais bien interpréter des chants de marins, genre des chansons tristes de comptoir ! On a évoqué l’idée comme ça, 2, 3 fois, un peu bourrés…

Chez Pan, on sent un esprit de famille, à travers l’amitié ou les connexions plus ou moins étroites… Pas de consanguinité néanmoins : Aqua Nebula et Koudlam n’ont pas grand chose à voir musicalement – ne serait-ce qu’en terme d’accessibilité. Là je pense aux titres des morceaux de Voyage II : Science Friction, 12000 Waves, I Will Fade Away, Renaissance… Ajoutons à ça, le nom, par exemple, d’un groupe comme Kill For Total Peace. On est dans l’idée de « détruire pour reconstruire. » Est-ce un certain goût pour le chaos qui vous relie ?

Bien sûr. Je marche au premier degré, je réagis au quart de tour : les groupes que je signe résultent uniquement de coups de tête. Le chaos, on le vit au jour le jour, c’est la non-projection. Le chaos, c’est dans l’incertitude constante, voilà, en somme, ce qui résumerait le mieux mon boulot. Tiens, prenons l’exemple de Sir Alice. Un jour, elle m’a laissé des démos de son troisième album et une vidéo où elle joue seule, guitare électrique et danseur. Top. Lui ayant promis de jouer à une soirée Pan European, elle s’est retrouvée propulsée dans une salle bourrée à craquer, à se révéler, intense. Un pur moment de romantisme. Je lui ai proposé alors de réitérer, restait plus qu’à trouver l’endroit. Et là, paf, un hangar, enregistrement. C’est primordial pour moi de créer de l’urgence, de saisir un instant précis, de ne surtout pas en perdre une seule miette. Aussi, j’aime toujours être près de l’artiste que je signe, être le témoin direct de son évolution.

Kill for Total Peace. Crédit photo: Raphael Lugassy

« Pan » comme le son du gun. « Prendre le micro plutôt que le flingue » dit Aqua Nebula Oscillator. Kill For Total Peace parle d’un « certain penchant pour l’univers militaire, voire totalitaire ». Pour moi, l’album de 2010, c’est Hidden de These New Puritans, la chanson-titre s’appelle We Want War et tout l’album est parsemé de sabres et d’attaques de musique. Le prochain Poni Hoax portera sur la guerre (State Of War). Au sujet de Voyage II, tu y présentes les artistes comme des guerriers. Au commencement des années 10, qui est, à ton sens, le principal ennemi dans la musique ? Contre qui ou quoi se battre ?

On se positionne en résistants, avec une défense plus ou moins commune. Pour moi, le principal ennemi dans la musique, dans l’art en général, c’est l’inculture, le manque d’intérêt. Le combat prioritaire se dirige contre la bêtise. Il faut réapprendre à réfléchir, débattre un maximum, savoir de quoi on parle. Je considère qu’on fait un travail de fond et, au risque de paraître présomptueux, on veut laisser une trace dans l’Histoire. On a tellement perdu en spontanéité. Finalement, l’époque du mur de Berlin facilitait la tâche pour choisir son camp. Là c’est l’éclatement total, 8000 chapelles et, avec Internet, multiplie ça par 10000. Aujourd’hui, tu peux ne parler qu’à des fans de pandas transgéniques, si c’est ça ta passion ! Les courants mainstream de communication perdent de leur puissance – plus complexe pour trouver un public « large ». Du coup, tu regroupes plein de cibles différentes.

Tu disais que tu ne voulais pas que les artistes de Pan European se retrouvent en fond sonore de spots publicitaires. L’Oréal qui utilise See You All, ça t’inspire quoi ?

En fait, je ne vois pas pourquoi j’aurais refusé. C’est sûr que ce n’est pas enchanteur pour un artiste d’être affilié à une marque… Mais je ne vais pas cracher dans la soupe, vu ce que ça va me permettre de faire. Après, pour ce qui est du morceau, il n’est pas tellement mis en avant ; pas de voix, juste les violons et les claps. On avait eu Toyota avec un morceau de Hushpuppies mixé avec One Switch To Collision, c’était assez bizarre mais ça m’avait permis, en partie, de fabriquer les premiers disques de Pan European. On ne m’impose rien, artistiquement. Se vendre, c’est faire des concessions artistiques. Là non, donc pas de problème. Et parallèlement, on se fait piquer par plein de marques…

La musique de Pan European est très visuelle, le côté hallucinatoire… Quelle place accorder au cinéma ? Des envies de collaborations à ce niveau-là ?

Plein de B.O nous ont influencé. Celles des Sergio Leone, fantastiques. J’adore les films-épopée dans lesquels se concentre toute la vie d’un homme. Les disques, ce sont des souvenirs qui réapparaissent, chacun d’entre eux correspondant à un moment précis. C’est notre propre B.O. Je suis quelqu’un d’hyper auditif, je placerais plus la musique sur les images que l’inverse. Une B.O imaginaire d’Un Jour Sans Fin, il est psyché ce film ! J’aimerais voir plus de films avec le même sujet autour d’autres circonstances. Koudlam, par exemple, son rêve c’est Herzog. Le Audiard, c’était déjà pas mal, n’empêche, en France t’as pas beaucoup mieux…

Et Gaspar Noé ?

Je l’ai rencontré l’autre jour. Il est venu pendant l’enregistrement du troisième album d’Aqua Nebula ! On s’est bien entendu.

Voyage II, c’est un peu le labyrinthe de Pan. Tu dis, en tout cas, avoir placé les morceaux selon un ordre bien précis, en crescendo… Trouves-tu important de faire comme si ce disque était une grande chanson, à aborder dans son entier, comme un film ?

Effectivement, je me suis pris la tête pour mettre au point une évolution, pour que rien ne soit posé là par hasard. Faire en sorte que la compilation représente un tout – pas juste une association de singles cinglés. L’exercice mental de l’ordre dans les disques, c’est comme devant un Rubik’s cube ! Je tiens au format album, de quarante à soixante minutes, voire un peu plus – une idée du temps idéal d’écoute. Quant aux morceaux en tant que tels, je les ai obtenus un par un : certains ont été conçus pour la compilation, d’autres non. Je voulais récolter uniquement des inédits, bon, qui par la suite ne le sont plus, vu qu’on les retrouve sur l’album de l’artiste. Le morceau d’Aqua Nebula, par exemple, il finira sur leur prochain. Celui de Chicros, en revanche, c’est un tout autre cas de figure : il se trouve sur leur disque mais – puisqu’on parle de tracklisting – placé à la toute fin, ce qui le sous-estime un peu. Je tenais à le reprendre, histoire de réparer cette injustice : c’est leur meilleur morceau jamais sorti. La chanson de Liza li Lund, c’est la version démo d’un morceau de l’album, je l’ai depuis des années. Celle de Koudlam ne collait pas à Goodbye. Il m’avait filé une version rallongée pour Voyage II mais j’ai préféré garder la courte !

Les artistes sur l’album ne sont pas tous de Pan European mais j’imagine que tu les considères dans l’esprit du label…

Moitié-moitié. Je n’ai pas assez d’artistes pour faire toute la compilation !

C’est quoi cette chanson, Emile ? Une blague sur Emile Louis ?

C’est ça. Déjà je voulais un morceau en français, celui-là tombait bien. Il renvoie directement à Brigitte Fontaine et Areski. On m’a appelé pour m’en parler : « Ouais t’es sûr ? Tu trouves pas que le morceau il coupe brusquement ? » Moi, je le trouve entêtant. J’adore la musique médiévale ! Donc le morceau, ouais, c’est White & Sticky, des mecs qui font des concerts en Burqa, des performers… Des situationnistes d’aujourd’hui.

Puisque tu parlais de 1er degré, là on vire carrément millième degré !

Ouais mais le millième degré, franchement ça me fait fuir, je trouve ça souvent mal fait.

Genre Katerine…

Il est peut-être nul à chier, son dernier disque, mais c’est un jeu intellectuel. C’est voulu, après, de là à l’écouter… C’est une blague.

Encore faudrait-il qu’elle soit marrante !

Bah j’ai fait le test avec ma fille de 3 ans : au bout de deux écoutes, elle connaissait les paroles par coeur !

En même temps, c’est maigre niveau paroles.

Ouais mais bon, son public, maintenant, c’est plutôt des gamins.

C’est le nouveau Henri Dès !

Voilà.

Par rapport à Katerine, les Dès Records avaient des paroles intelligentes…

Faire des paroles intelligentes pour que les enfants ne les comprennent pas !

Bon, après une année silencieuse côté sorties pour Pan European, quoi de beau pour 2011 ?

Très large. Le Sir Alice, Le Koudlam, Le Aqua Nebula… Un nouveau maxi de Kill For Total Peace. Juan Trip, un vinyle en série limitée. Ah aussi, le Jonathan Fitoussi, un type génial qui restaure des bandes à l’INA, genre des concerts de Can…

L’homme qui clôture Voyage II… Un mot de la fin ?

Pas de mot de la fin, on continue…

http://www.myspace.com/paneuropeanrecording

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