Le titre de cet article étant à la fois parfaitement réussi et complètement décevant face à la qualité de cet album de boogie-funk qui donne l’impression d’avoir été composé par un joggeur de Miami en cure de désintox que notre service comptabilité vous encourage à passer directement aux lignes ci-dessous pour un plaisir toutes taxes comprises.

Krikor n’est pas à proprement parler un homme de l’époque.

1. Il a débuté sa carrière voilà 20 ans, en pleine épiphanie de la French Touch.

2. Ses apparitions sont à peu près aussi rares que celles de la Vierge Marie ou des Daft à visages découverts, et l’on vous met au défi de mentaliser sa tête (pas la peine, vous avez perdu).

3. Chacune de ses productions semble aller à contre courant des tendances, des goûts du public de masse (ce gros mot).

C’est à tel point que son affiliation (vraie ou pas) à l’écurie Tigersushi donne l’impression que cette bande de tripoteurs de boutons, de sons, de nappes de synthés est l’équivalent de l’armée des douze samurais se battant contre une horde de lémuriens trisomiques disposant de la bombe H.

En clair, et si l’on s’en tient aux caciques sociaux en vigueur actuellement, Krikor ne buzze pas. Sa musique sonne moins fort qu’un réveil ; et les chances que les médias anglo-saxons ayant pignon sur rue s’en emparent sont aussi faibles que celles permettant d’espérer que Joakim devienne un jour Président de la Corée du Nord.

Pourtant,
pourtant,
pourtant.

« Pacific Alley », bien que l’album entre dans un genre vu et revu (le film noir californien synthétique contemporain, en gros : DRIVE), s’avère parfaitement en phase avec les usages sociaux de l’époque ; c’est un disque de réseau social aurait-on envie de rajouter, parfait pour divaguer aux doux sons de la vaporwave sur Instagram, c’est à la fois le vertige du vide sublimé par le souvenir erroné d’une décennie fantasmée à l’envers (les années 80), et le jus pressé de ces années où les costards blancs de Don Johnson faisaient croire à 10 gamins dans le monde que c’était cool de grandir en 1986. C’était faux, bien sûr (il y avait Indochine), mais cette persistance rétinienne donne droit, 30 ans plus tard, à un révisionnisme concordant en tout point avec l’époque, à la fois touchée par la nostalgite aigüe et fascinée par la musique ample et large comme une autoroute à six voies californienne.

LIES098 Artwork Cover

The magic of everything California

Bluffé par l’immensité des paysages bétonnés de Los Angeles, Krikor Kouchian a donc composé « Pacific Alley », une musique de cruising, BO fantasmagorique et digne d’une virée sur le drive de GTA. C’est à la fois cheesy, too much, symptomatique d’une désincarnation généralisée où la musique, peu à peu, se dissout en elle-même comme un cachet d’aspirine dans un grand verre Youtube ; et c’est paradoxalement tout l’inverse, simultanément, avec l’impression pour l’auditeur transpirant la glandouille devant son écran à la pause dej qu’il tient là une occasion unique d’illuminer sa journée autrement qu’avec la dernière news postée sur Konbini.

C’est donc le moment de s’interroger : Krikor n’a-t-il que seulement existé ? « Pacific Alley » n’est-il pas, au fond, la réédition d’un disque de drogué ayant passé l’année 86 sous crack sous une aire d’autoroute en accouchant de Kavinsky écrasé à la naissance par une Ferrari d’occasion ? Et pourquoi a-t-on encore l’impression, alors que cet article est bientôt fini, qu’on est complètement passé à côté de la description de ce disque insaisissable ?

On vous laisse réfléchir à tout ça. Comme la musique électronique n’est pas une affaire de démocratie et que les gens qui dansent n’ont pas forcément raison, Krikor, lui, continue son chemin sur des voies invisibles, et ce nouveau disque  est tout simplement Insta-ordinaire.

Krikor Kouchian // Pacific Alley // L.I.E.S.
https://liesrecords.bandcamp.com/album/pacific-alley

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