Se rendre compte que jouer aux explorateurs supra-temporels du net ne confine qu'à un espace géographique établi. Aller voir ailleurs sans disparaitre au fin fond de l'Atlantiq

Se rendre compte que jouer aux explorateurs supra-temporels du net ne confine qu’à un espace géographique établi. Aller voir ailleurs sans disparaitre au fin fond de l’Atlantique. Et surtout sans revêtir de bermudas. Découvrir via Brasilia que psychédélisme ne rime pas qu’avec Leary ou Fillmore, mais aussi avec Tropicalia et Os Mutantes. Ou quand deux multi-instrumentistes supportent une presque-chanteuse au sein d’un combo proche d’un Velvet Underground à colliers de fleurs. Ou d’un Odessey And Oracles ne simulant pas la défonce, pour un album éponyme qu’on aurait à coup sûr érigé sur le piédestal des pièces majeures du psychédélisme s’il avait été enregistré à Frisco. Une injustice spatiale à ne réparer que par la fiction.

Putain, je hais le sable. C’est vicelard, ça s’infiltre partout et ça rappelle en une journée de démangeaisons qu’on est allé tenter de troquer son nappage blanc-vierge contre un hâle mat façon huile solaire en slip dans un des pires parcs à bestiaux balnéaires qui soit : la plage.

Mes réflexes de connard de citadin persistent alors que j’arrive à cette soirée. Je rechigne à avaler la pilule qu’une fille me fourre dans la mâchoire. Elle passe finalement avec quelques gorgées de soda tropical. S’engouffre lentement dans ma gorge, sombre dans le trou noir, chute irrémédiablement en mon appareil digestif.

Blackout total.

J’émerge difficilement, un renard tapis derrière la glotte. Le jour se lève à peine, il fait déjà chaud et j’ai du sable jusque derrière les oreilles. Incapable de bouger ou de prononcer le moindre mot, j’écoute alors mes deux voisins discuter. Un branleur à keffieh raconte à une fille des histoires de 60’s, de révoltes et de luttes sociales. Il parle d’un coup d’Etat militaire, du spectre des Etats-Unis et de la menace communiste. De l’armée, de la dictature démocratique (!), du peuple opprimé. La gourdasse lui répond Columbia, Prague, mai 68 ou Black Panthers. Silence gêné. Tout le monde connait ces histoires. Il voulait juste lui parler du Brésil…

Alors tout s’assemble dans mon esprit fragmenté. En avalant cette pilule, j’ai décollé bien au-delà de nos frontières spatio-temporelles. J’ai quitté Malaga pour l’autre côté de l’équateur. L’occident pour ailleurs. Le XXIème siècle pour l’eldorado des noctambules. En atterrissant, un mur de son m’habillait de couleurs vives. La gentille mélodie me rappelait bien sûr les comptines acidulées des rives de la mersey, mais sans la familiarité. Le type chantait en portugais. Enfin, j’étais libre de ne pas comprendre, de ne pas sentir de sous-entendus, de ne pas laisser les insinuations pervertir mon excitation. Le tempo s’est accéléré en même temps que mon rythme cardiaque. Mon cerveau s’est déconnecté en douceur.

Mon buste flotte dans un océan de sensations multicolores. Réagit à chaque instrument qu’il perçoit, ne les reconnaissant qu’une fois sur deux. Mon crâne se heurte à chaque percussion et mon corps désarticulé à des geysers de fleurs multicolores au senteurs inhabituelles sans que cela ne retire le sourire de crétin orbital agrafé à mes lèvres. Les sons s’amplifient, se répètent, disparaissent. Reviennent, s’adoucissent, s’aiguisent pour me gifler les oreilles une seconde ou deux. Se durcissent et se heurtent à mon front moite en un martellement sanguin qui me brûle les tempes.

Quelques minutes de répit durant lesquelles le type assène des Baby I love you à qui n’aurait jamais entendu de tels poncifs. Je cherche un nouveau souffle, immobile, tête vers le sol. Ne récolte qu’une chute dans le sable.

Deux-trois types chantent faux une mignonette poésie, puis une main me relève énergiquement et m’entraîne dans une danse effrénée au son de Bat Macumba. Bat Macumba hey hey Bat Macumba ho ha. Levant la tête pour regarder son visage, elle en profite pour me peinturlurer les joues de maquillage rouge et noir. Ses doigts sur mon visage, j’admire alors ses yeux perdus dans la nuit au moment même où une voix féminine récite quelques vers en français. Le timbre délicat, la moindre des voyelles prononcées rebondit contre les chœurs dans une partie de ping-pong sidéral.

La plus belle des poésies nocturnes prend fin. Je rouvre alors les yeux et m’aperçois que la créature d’un soir a disparu. Les décibels inquiets qui me parviennent désormais péniblement sonnent le glas d’un instant aussi intense qu’éphémère. Ce qu’il me reste d’esprit se retrouve aspiré dans une dernière tornade torride. Mais l’ambiance est plus rocailleuse. J’écorche ma peau contre des sonorités que je ne connais que trop bien. Alors que je recule, la musique s’évapore lentement via la fumée du massif feu de camp. Pour ne laisser place qu’au murmure des soirées, où se mêlent cris simulés et discussions creuses.

En rentrant (difficilement), un ami me raconte sa soirée. Il me parle drogues, techno, psychédélisme. Socialisation robotique et sexe impersonnel. Je ne lui réponds que par deux mots. Os Mutantes.

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