Légendes sur le retour ou retour légendaire, on s’y perd parfois. Pendant que certains choisissent le meeting de stade avec setlist réchauffée, d’autres prennent leur temps pour revenir brillamment, sans crier gare. Os Mutantes fait partie de ceux-là : les retrouvailles ont eu lieu au Cabaret Sauvage.

Lorsque Sergio Dias, le dernier survivant du line-up originel des Os Mutantes, arrive sur scène, toute une fosse de trentenaires hurle sa joie de renouer avec la bande son de leur enfance. Une génération élevée au bon grain latin, ayant appris par cœur tous ces petits hymnes, alors que les Mutants ne tournaient déjà plus, comme le chanteur l’annonce : « La dernière fois que nous sommes venus à Paris, c’était à l’Olympia, il y a 40 ans, en première partie de Gilbert Bécaud. C’est un grand plaisir de revenir ici après tant d’années ». La première partie du concert est destinée au psychédélisme à papa, comme au bon vieux temps révolutionnaire du « Tropicalia* », le mouvement culturel contestataire créé après le coup d’Etat militaire brésilien de 1964. Tous les tubes y passent, de A Minha Mehina à Baby en passant par El Justiciero. Efficace, tout le monde chante et danse, mission accomplie.
Mais Sergio Dias est bien décidé à déchirer l’instantané sépia pour un show en Technicolor, avec médiator en furie et wah-wah qui va bien : « Voici quelques chansons que nous venons tout juste d’écrire. Nous préparons un nouvel album et j’espère que cela vous plaira». Le groupe ne se laisse pas démonter par un léger problème de basse et envoie de nouveaux coups d’éclat comme Querida Querida.. 1H45 de concert avec deux rappels et 50 % de nouveaux morceaux, le retour d’Os Mutantes était une prise de risque rudement bien orchestrée. Ne plus se reposer sur ses lauriers mais sur des charbons ardents, une philosophie qui me rappelle le Sergio Dias off stage, rencontré deux jours plus tôt, dans un appartement parisien :

Os Mutantes est un des groupes fondateurs du style « Tropicalia ». Est-ce toujours un terme pertinent pour qualifier votre musique ?

Oui je le pense. Le style « tropicalia » se caractérise par la volonté de jouer une musique universelle, qui peut nous rendre immortel, au-delà d’un message politique. J’étais en France en mai 1968 car nous côtoyions à ce moment là les milieux protestataires, mais nous n’avons jamais réduit notre travail à l’action politique. Il nous faut cette magie pour avancer, pour nous donner envie de faire de la musique et de rester jeune éternellement. Un peu comme dans la légende de Joseph Balsamo. Tu la connais  ?

Non. C’est l’histoire d’un révolutionnaire ?

Pas exactement, c’est un personnage historique présent dans un roman d’Alexandre Dumas : Mémoires d’un Médecin. Plus précisément, c’était un franc-maçon sicilien impliqué dans le scandale des bijoux de la Reine et un grand sorcier détesté car on le soupçonnait d’avoir des pouvoirs de guérison. Nous envisageons justement la musique comme une magie curative, une puissance divine qui permet au corps et à l’esprit de rester dans l’instant présent.

Et le Brésil en serait le lieu de culte ?

Le Brésil en est un parmi d’autres. Nous avons joué quelques nouveaux morceaux avec Tom Zé, un des plus grands musiciens brésiliens avec qui j’ai pu travailler, et une des personnes les plus incroyables que j’ai rencontrées. Il est impressionnant en tant que compositeur et en tant que personne. Il nous a ouvert de nouveaux horizons et nous avons pu beaucoup apprendre et partager à à son contact. Pour autant, nous ne nous limitons pas aux artistes brésiliens et aux seules musiques  latines. Certaines personnalités nous inspirent également, comme Jean Paul II et Nicolas Sarkozy ! Et puis il y a aussi d’autres artistes américains ou européens.

En effet, vous avez récemment travaillé avec Beck pour une session de son Record Club consacrée aux reprises des chansons de l’album « Kick » de INXS. Cette rencontre a-t-elle été fructueuse ?

Oh oui ! (Rires) Nous l’avons rencontré à Los Angeles. C’est un fan de nos premiers albums. (Rires) Je repense au concert que nous avons donné à Glastonbury en juin dernier où il nous a supplié de le laisser chanter ! (Rires plus prononcés) Je l’apprécie énormément : il est sympathique et d’une extrême simplicité, ce qui est de plus en plus rare dans ce milieu.

Liars et St Vincent ont également participé à cet enregistrement. Que pensez-vous de ce choix ?

C’était intéressant de jouer avec cette nouvelle génération. En fait, nous avons surtout sympathisé avec l’entourage direct de Beck grâce à cette expérience :  Devendra Banhart et David Sztanke, de Tahiti Boy que je surnomme le Cardinal, avec son élégance royale ! (Rires) Nous avons enregistré avec lui pendant une quinzaine de jours pour un nouveau projet nommé We are The Lilies**. Nous nous entendons très bien car nous partageons la même vision de la musique.

C’est-à-dire ?

Le refus de se plier bêtement aux règles business et l’affirmation de la spontanéité avant tout. Pour eux réussir ne se résume pas à acheter un grand appartement à New-York, tu vois ce que je veux dire ? Ils ne sont pas intéressés par les palaces et la célébrité mais par le simple fait de jouer, d’explorer de nouvelles sonorités, d’enregistrer une œuvre originale. C’est aussi tout ce qui compte pour nous. À mon sens, il n’y a que cette attitude qui puisse sauver cette industrie qui souffre aujourd’hui.

Comme la récente initiative de Radiohead laissant le prix d’achat en ligne d’In Rainbows à la discrétion de l’acheteur ?

Exactement. Je ne crois pas non plus à la gratuité totale d’un produit culturel ou artistique. C’est injuste de télécharger les chansons d’un groupe débutant qui sera condamné à rester méconnu, faute de moyens. Je n’ai pas de solution toute faite mais il me semble important de trouver une nouvelle voie pour préserver l’universalité de la musique tout en permettant aux petits groupes de s’en sortir…

Ce serait un  combat à mener pour les futures générations du mouvement « tropicalia » ?

Pourquoi pas. Mais il y déjà tellement de sujets dont on peut se préoccuper. La situation économique mondiale, les faiblesses de l’union européenne ou encore l’armement nucléaire de l’Iran. Toutes ces crises me font penser à Network, un film de Sidney Lumet tourné en 1976 dont le héros est un journaliste qui se bat pour rester intègre dans un monde devenu complétement obsédé par l’argent et le pouvoir. La mission d’un musicien tropicalia c’est ça : se battre pour rester intègre, et se livrer totalement en live. Rien qu’au Brésil il y a énormément de choses à faire pour préparer les élections de 2014 et la nouvelle image du pays avant d’accueillir la prochaine Coupe du Monde. On peut par exemple dénoncer cette ingérence du politique dans le divertissement. Je suis à Paris depuis quelques jours et j’ai vaguement entendu parler du comportement des membres de l’équipe de France et des interventions de vos hommes politiques. Je trouve ça ridicule ! C’est du temps perdu pour régler les vrais problèmes. Peut-être que le tropicalia servira à rester concentré sur les vrais enjeux, je ne sais pas. En tout cas, nous continuerons à jouer de la musique, coûte que coûte. Le tropicalia, ce serait finalement interdire de s’interdire.

http://www.myspace.com/osmutantes

*http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/06/30/os-mutantes-groupe-culte-du-tropicalisme-bresilien-ressoude-sur-scene_1381053_3246.html
** Ils joueront ensemble à l’Elysée Montmartre le 1er octobre 2010

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