Voilà 40 ans qu'il est là et personne n'est capable de vous dire exactement qui il est et ce qu'il fait. Aussi bien capable de monter sur scène avec Camille que de vous annoncer les résultats du tiercé krautrock, dans l'ordre, il a reçu son premier synthé des mains de Richard Pinhas, a tourné partout dans le monde avec son orchestre de réductions d'instruments, a repris Johnny avec Miossec et a même composé la bande originale du film "Espace détente".

Sur les lisières du mainstream, mais toujours les santiags fermement ancrées dans le pavé, que ce soit celui de Barcelone, de Montpellier ou de Paris, il trace sa route sans se soucier des cases ou de se faire traiter d’intello par ses potes rockers. Ce n’est ni un motard ni un mutant, non, c’est tout simplement Pascal Comelade, et son fameux accent catalan que nous avons fait grincer pendant une heure à l’occasion de la réédition de son premier album, « Paralelo », un orage électronique sorti initialement en 1981.

Quel était votre état d’esprit au moment de la conception de « Séquences païennes », votre premier disque en solo sorti en 1978.

Pascal Comelade : A la moitié des années 70, j’ai décidé de ne faire que de la musique. Après le bac, j’ai fait un peu de philo, un peu de socio, et un peu de garagisme… Je n’ai pas de diplôme, j’ai tout laissé en plan. Ca correspond au moment où j’ai découvert par la radio et par l’intermédiaire des écrits d’un journaliste qui s’appelle Daniel Caux (dédicacé sur la pochette de Séquences païennes, NDR), les musiques répétitives américaines. Ca a été une découverte majeure pour moi à cette époque. Je venais du rock, je continue toujours à écouter du rock d’ailleurs, mais il se trouve qu’à ce moment-là j’ai découvert ce style musical : La Monte Young, Philip Glass, Steve Reich, Charlemagne Palestine, Terry Riley, etc… En même temps, j’ai rencontré le musicien Richard Pinhas à Paris, qui est le premier en France à avoir fait de l’autoproduction. Il avait commencé à développer une musique électronique, très violente, sur des durées très longues. Puis il y a eu un disque qui a été très important pour nous : le premier album de Fripp & Eno, entre le guitariste de King Crimson et Brian Eno (« Nopussyfooting »), ce genre de musique très froide, basée sur le continuum musical.

L’autre point important de mon parcours, ça a été une pratique totalement en solitaire, chez moi, avec des démos cassettes, et des Revox à bandes A77. A la fin des années 70, j’ai récupéré, via Richard, un synthétiseur EMS AKS, un des premiers synthétiseurs portables de l’histoire, avec un oscillateur, un système très compliqué pour préparer les séquences, une machine vraiment intéressante. Donc mon premier disque en solo a en effet été une autoproduction, « Séquences païennes », en 78. Une toute petite séquence, avec un bruit de fond terrible. Dès cette période, j’utilisai également des pianos et des saxophones en plastique.

Vous étiez réllement pianiste de formation ?

On va dire que je me prétendais pianiste ! Et cette première partie a duré jusqu’en 1983, où je suis sorti de la pratique solitaire de la musique. J’ai rencontré des musiciens, j’ai monté mon orchestre, et je suis passé à l’acoustique. Ma période électronique a duré à peu près une décennie, et je pense que « Paralelo », le disque que je réédite, est le document principal de cette époque. Tout le reste a été diffusé sur des cassettes, des compilations, via un circuit qui existait en Europe jusqu’aux Etats-Unis, pour ce genre de musique très, très marginale.

Comment on passe du rock pur et dur à ce genre de musique dépouillée ?

Quand on n’a pas, comme moi, de culture en musique classique occidentale, ou de musique dite contemporaine de l’après guerre; on passe à cette musique-là via des groupes fondateurs. Par exemple, il y a toute une série de groupes en Allemagne comme Can, Faust et Neu! dont j’ai acheté tous les disques à leur sortie, j’étais un grand fan de cette musique. La première fois que j’ai entendu Can, c’était à la radio, dans l’émission Pop Club de José Arthur. Ce sont ces pratiques-là qui m’ont amené à la musique répétitive. Ce n’est pas un cycle, logique ou non, de réflexion ou quoique ce soit d ‘autre… Je pense qu’un groupe comme Can, on voit encore l’influence qu’ils peuvent avoir aujourd’hui sur des groupes auxquels on ne s’attend parfois pas du tout. Lionel des Liminanas par exemple, c’est devenu un grand fan de Can. Joy Division citaient Can. On a commencé à se rendre compte de l’importance de ce groupe au début des années 80. La totalité du champ musical a réalisé l’ampleur de la chose.

C’était courant à l’époque que des gens issus du rock se tournent vers cette musique ?

Non, moi je n’étais pas à Paris à ce moment-là, j’étais à Montpellier et tous mes amis étaient musiciens dans des groupes de rock, proto-punk ou punk. Et au milieu de cette scène là, j’avais cette pratique, mais on fréquentait les mêmes endroits, on avait la même vie nocturne, les même amis… Les gens qui ne m’aimaient pas spécialement devaient me traiter d’intello, mais ça n’allait pas plus loin que ça ! Au niveau de l’apparence, j’étais comme eux… je porte les mêmes boots depuis que je suis né, ah ah !

Comme Dick Rivers.

Ne dis pas du mal de Dick ! Lui au moins il a tous ses cheveux.

Il avait un sens, le titre du maxi ?

Non, c’est juste une référence à un livre d’un philosophe qui s’appelait Lyotard, il avait écrit un livre qui s’appelait Rudiment païens. Ce sont des vieux restes de l’époque, j’étais allé assister à des cours à Vincennes, de Deleuze et de Lyotard.

 » Je resterai toujours quelqu’un de l’underground, de la marge. »

Vous aviez des connexions avec d’autres musiciens français à l’époque ?

Dans les musiciens français que j’ai connus, et avec lesquels je reste ami, il y a Richard Pinhas, un trompettiste qui s’appelle Jac Berrocal, un musicien qui fabrique des machines musicales qui s’appelle Pierre Bastien, Gilbert Artman, qui était le batteur de Lard Free et qui a ensuite monté Urban Sax, cette génération là… Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai rencontré d’autres musiciens. Pendant très longtemps, je ne connaissais qu’eux. Je n’ai jamais vécu assez longtemps à Paris. C’est une question de présence. Si tu n’es pas présent sur la durée, tu te retrouves avec très peu de connaissances et tu ne fais pas partie de la ville…

Cette situation vous a freiné ? Vous croyez à la psychogéographie d’ailleurs ?

Je pense que ça a défini une grande partie de ma musique oui. J’ai fait en sorte de toujours rester dans la même zone géographique. J’ai toujours considéré Barcelone comme ma capitale. A un moment donné, il faut en choisir une. Ca aurait pu être Paris mais je n’y suis pas resté longtemps, six mois seulement. Barcelone, dès la première fois où j’y ai mis les pieds, en 71, je me suis dit « c’est là ! C’est là ! C’est là où je veux faire quelque chose. » Paris, c’est là où tu es obligé d’aller pour le business, ce qui est tout à fait différent. Je sais très bien que si, dès les années 70, j’avais fait l’inverse, je n’aurais absolument pas le même statut aujourd’hui. J’aurais fait acte de présence, je connaîtrais du monde depuis longtemps, je n’aurais pas raconté ma vie. Je suis un type qui raconte sa vie à chaque interview. Ca ne me dérange pas hein, mais c’est un constat. On ne me dit pas : « Parle-moi de ton disque qui vient de sortir« . Non. On est obligé de remonter très loin.

Bref, j’ai surtout développé des contacts à Barcelone. J’étais et je suis encore beaucoup plus présent là-bas. C’est à partir de ce moment-là que j’ai eu cette vie parallèle. Les choses sont très claires aujourd’hui. Il y a eu la décennie 90 où j’étais chez un satellite de Virgin qui s’appelait Delabel, et après, à partir de 2007/2008, je me suis retrouvé chez Because, et là, les choses se sont régularisées pour moi en France. Mais je resterai toujours quelqu’un de l’underground, de la marge.

C’est ce que vous disiez à Télérama : « Je suis un mec de l’underground, avec un pied dans le luxe« . Mais alors, c’est quoi le luxe ?

Le luxe, c’est d’avoir un contrat de licence avec une maison de disques qui ne le remet jamais en cause. Je leur amène quelque chose, ils le sortent. Je ne demande rien. Je sors des petits tirages, je n’emmerde personne, tout va bien ! Tu ne te rends pas compte du luxe que c’est. Quand tu as plus de 20 ans dans l’underground et que tu arrives à être en licence dans une maison de disques qui a une très belle image, que demander de plus ?

A quel moment vous montez le Bel Canto Orquestra ?

C’est arrivé en 83. Lors de ma rencontre avec Pierre Bastien. C’est un musicien qui vient des musiques improvisées, qui avait lui aussi beaucoup de réductions d’instruments, de jouets, et qui fabrique des machines percussives avec des éléments de mécano, il appelle ça le « mecanium ». On s’est rencontrés à Montpellier, et on a décidé de monter une réduction d’orchestre avec des réductions d’instruments pour de la musique strictement instrumentale.

L’orchestre a duré 32 ans, je l’ai achevé à Lyon en 2015. Il n’y a pratiquement jamais eu la même formation d’individus d’un concert à l’autre, on n’a jamais répété, on montait le répertoire pendant la balance, ça s’est passé comme ça jusqu’à la fin. Et on a joué partout; quand je dis partout c’est partout, à part en prison. Dans la rue, dans des bistrots, dans des théâtres italiens, dans des festivals de musique moderne… On a pu se véhiculer partout, avec tous les adjectifs possibles. On a été qualifiés de tout.

Il y a d’ailleurs eu un malentendu pendant les années 90, concernant ma promo. J’ai fait beaucoup de radios et de télés, et je ne pouvais pas y aller avec l’orchestre entier. Donc j’y allais tout seul avec un grand-petit-piano, une réduction de Kawai. Et cette image-là me colle encore au cul aujourd’hui. Le type tout seul avec son petit piano. En règle générale, je n’aime pas vraiment ça, et puis je ne peux pas jouer très longtemps.

« Le didgeridoo aussi, c’est pas mal comme instrument casse-couille. »

C’était quoi les instruments les plus difficiles à utiliser ?

On a massacré tout ce qui était possible en termes d’instruments joués, en métal, en plastique ou en bois. A part les machines de Pierre, on n’a jamais utilisé d’objets construits. Ca existe, il y a un orchestre actuellement au Kenya qui fabrique des trucs avec des éléments de récup, c’est vachement bien. Nous, notre truc, c’était plus la lutherie des instruments maudits de la musique occidentale : la scie musicale, le Mélodica, le triangle… 

J’ai lu que vous étiez engagé contre le djembé. Il y a d’autres sonorités que vous ne pouvez pas supporter ?

C’est un truc que je ne supporte pas, non seulement pour le son, mais en plus parce que c’est vraiment connoté hippie, et je n’aime pas les hippies ! Je pense qu’ils ont… non ça va, je ne vais pas me mettre la quasi totalité de la population mondiale à dos ! Vous avez le didgeridoo aussi qui est pas mal comme instrument casse-couille. Et toutes les trompes utilisése par les supporters de foot aussi.

Pourtant vous écoutiez leur musique aux hippies, Soft Machine…

Ah non ! Je ne peux pas vous laisser traiter Soft Machine de groupe de hippies ! Daevid Allen, qui après a fait Gong, et qui est quand même à l’origine de Soft Machine, oui, lui était un authentique hippie, il s’est toujours autoproclamé hippie. Mais quand je dis « hippie », je parle de vieux restes qu’on subit encore aujourd’hui…

Parlez-moi de votre rencontre avec le label Les Disques Du Soleil Et De L’Acier sur lequel vous avez sorti la plupart de vos disques.

Ca s’est fait via un fanzine qui s’appelait Atem, je pense que je leur avais envoyé « Séquences païennes », et je suis ensuite allé rendre visite à Gérad Nguyen (le boss du label, NDR) à Nancy. J’ai ensuite travaillé avec le label, le festival Musique Action Internationale à Nancy, le studio Vandoeuvre-lès-Nancy… c’est vrai que la décennie 90 est énormément liée à eux. En parallèle, on a eu cette édition avec Delabel, et ça s’est arrêté quand EMI a racheté Virgin en 2002. A ce moment-là, j’ai réactivé les plans à Barcelone, qui durent encore aujourd’hui. J’ai deux maisons de disques : une à Barcelone et une à Paris.

Au début des années 80, vous avez également fait une incursion dans la synth-pop avec le projet Fall Of Saigon. C’est un bon souvenir ou un échec ?

C’était totalement éphémère. Ca a duré deux ans. On a fait 2/3 concerts, et un maxi qui vaut aujourd’hui très cher sur Internet, s’il faut parler de choses vulgaires ! On avait monté ça avec le guitariste d’un groupe de Sète, et la chanteuse d’un groupe de Montpellier. C’était sensé être éphémère, et ça l’a été. C’était quelque chose de lié à une époque très précise, c’est à dire la fin du punk, et le début du minimalisme des années 80. C’est évidentissime que la référence était Young Marble Giants.

En 40 ans, vous n’avez jamais chanté finalement.

Non, ça ne m’intéressait pas. J’ai écouté toute la musique instrumentale, jusqu’à aujourd’hui, je reste là-dessus, parce que je m’intéresse énormément en parallèle à l’histoire de la musique populaire occidentale à partir de l’après-guerre, la muzak, les grands orchestres, etc. Toutes ces postures qui disparaissent entre la moitié des années 70 et la fin des années 80 et qui reviennent ensuite. Dans la décennie 90, on était très peu, en Europe, à faire de la musique instrumentale, sans être dans le champ du jazz, du folk ou du classique.

Qui chantait sur votre reprise de Faust, The Sad Skinhead ?

C’est Péron, lui-même, en personne ! (Jean-Hervé Péron, basiste, guitariste, trompettiste, et chanteur du groupe dès 71, NDR) J’ai rencontré Jean-Hervé à Lille, en 97. L’Aeronef m’avait donné carte blanche pendant trois jours, au moment où Faust se reformait. Je pense que ça a été leur second concert. Et pour moi, ça a été un moment exceptionnel, c’est la première fois que je les rencontrai. Il faut se mettre à ma place, quand j’étais petit, j’étais un réel fan de Faust, et 25 ans après, je me retrouve avec leur leader et je fais des trucs avec lui ! Can, Neu!, l’affaire est entendue: tout est connu et réédité. Mais il manque Faust. Leurs quatre premiers albums historiques n’ont pas été réhabilités à leur juste valeur à mon avis. On y trouve pourtant des choses fondatrices. Il y a une attitude qui ne ressemble à rien d’autre. Et ça sort à l’époque sur Po-ly-dor ! C’est ça qui est incroyable.

« Miossec, il est venu faire du camping à côté de chez moi, tout seul dans sa bagnole. Je lui ai dit : hey, tu vas pas dormir dans la voiture, viens à la maison !« 

Vous êtes le seul artiste à avoir travailler à la fois avec Robert Wyatt, Faust, PJ Harvey ou Miossec. Qu’est ce qui motive vos collaborations en général ?

Le chaos ! L’absence de ligne, de théorie, de discours. A partir du moment où il y a un bon moment, on fait quelque chose et on n’en parle plus. L’histoire, c’est de ne jamais dire : « on va faire ça, on va le tourner comme ça, puis on va faire un triple album, un opéra »… Non. Ce qui m’intéresse, c’est la situation. Ca a toujours marché grâce à cette posture-là. En amont, il faut qu’il y ait quelque chose qui se passe, évidemment. Avec tous ces gens-là, ça a été le cas. Mais tout est le fruit du hasard. L’histoire de PJ Harvey je ne sais pas si je l’ai déjà raconté mais ce n’est pas elle que je voulais rencontrer, c’était son clavier. A cette époque-là, son clavier était le dernier de Captain Beefheart, Eric Drew Feldman. Je lui avais envoyé un mot, et il m’avait répondu qu’il était à Paris avec PJ Harvey. On s’est donc vus, et tac tac. Je suis honnête, à l’époque, PJ Harvey je n’étais pas spécialement fan. C’est une époque où je n’écoutais pas vraiment ce qui sortait.

Miossec, il est venu faire du camping à côté de chez moi, tout seul dans sa bagnole. Je lui ai dit « hey, tu vas pas dormir dans la voiture, viens à la maison ! » On avait une amie commune, en Bretagne, qui était la soeur de la chanteuse de Fall Of Saigon, un complot, aha ! Ce ne sont que des situations comme ça. Jamais une maison de disques n’a planifié quoique ce soit. Au sujet de la chanson co-écrite avec Camille dans son dernier disque, on ne s’est jamais rencontrés. Il y a 15 ans, elle a fait un spectacle, avec les Pascals – un groupe japonais que j’ai rencontré à Tokyo, en 99, un orchestre sympathique toujours dans cette politique du clonage et de l’imitation, comme tous les groupes japonais que l’on connaît. Et ils avaient mon répertoire au leur. Ils jouaient Egyptian Reggae par exemple. Je crois que Gérard (des Disques du Soleil et de l’Acier, NDR) a sorti leur premier disque, en 2002. Je les ai revu cette année à Tokyo pour une performance et ils sont venus me voir. Ils continuent, quoi. Ils avaient donc le titre « Piscine » à leur répertoire, Camille avait fait quelque chose dessus et quinze ans après, elle l’a refait sur son disque. Moi je suis content, hein.

Il y a quand même des gens avec qui vous aimeriez travailler ?

Il y a un acteur de cinéma, qui s’appelle Jean-Pierre Kalfon. Lors du dernier concert des Liminanas à La Cigale, on l’avait invité. J’aimerais vraiment faire quelque chose avec lui. Un support musical, avec sa voix. Mais à part lui, non !

Vous avez composé pour le cinéma d’ailleurs…

Très peu.

Espace détente, le film adapté de la série de Caméra café, c’était vous !

C’est Yvan Le Bolloch qui est venu me voir, je connaissais la production musicale du film qui m’avait contacté : « Pascal tu devrais regarder ce film« . Je l’ai regardé et je leur ai répondu que je ne pouvais absolument rien faire dessus. Yvan est alors venu à la maison,; entre temps, je lui avais enregistré une cassette de piano. Et je me souviendrai toute ma vie de la tronche de leur producteur quand j’ai sorti mon lecteur et la mini-cassette pourrie avec du piano dessus. Intérieurement, je savais ce qu’il était en train de se dire, aha. Paradoxalement, ma musique a été énormément utilisée en synchro, pour tous types. Mais la démarche n’est jamais venue d’un producteur ou d’un réalisateur, deux fois seulement. Les gens savent comment je travaille, d’une façon assez sale, l’inverse du cinéma. La musique d’Espace détente, je ne l’ai pas enregistrée chez moi, j’ai été obligé d’aller à Paris pour la faire dans un studio avec un ingénieur du son, Frank Redlich, on a beaucoup rigolé d’ailleurs. Je ne suis pas un compositeur de musiques de films. Un compositeur de cinéma adapte son style à tous types de films, moi je ne sais pas le faire.

« J’aurais aimé être le Burt Bacharach du krautrock. »

Il y a des compositeurs de cinéma que vous appréciez ?

J’aime beaucoup Philippe Sarde, le thème de La Grande bouffe par exemple, évidemment, inconsciemment ça m’a marqué. Dans le cinéma italien aussi, il y a beaucoup de compositeurs autres que Nino Rota et Morricone, Trovajoli ou des gens comme ça. Mais si on inclut la musique de cinéma dans la musique instrumentale, on ne s’en sort plus. Moi, j’aurais aimé être le Burt Bacharach du krautrock. Je ne sais même pas pourquoi je suis fasciné par la musique instrumentale !

Pourquoi faites-vous encore de la musique aujourd’hui ?

Parce que déjà, j’en écoute beaucoup. J’ai découvert Internet il n’y a pas longtemps, et cette connerie de YouTube. Pour les périodes musicales qui m’intéressent, par exemple le rock anglais de 64 à 74, le rock américain de la fin des années 70, je connais les classiques, je connais les deuxièmes couteaux, ok. Mais sur la marge de droite, on te balance les troisièmes couteaux, les quatrièmes, les types qui n’ont fait qu’une face de 45 tours… Il y a tout ça à étayer. Ensuite, ce que j’aimerais être, mon propre langage, je ne l’ai pas encore réellement exprimé dans sa totalité. Je suis quand même assez content de mon dernier disque (« El Pianista del antifaz ») qui remonte à 4 ans.

Et pour qui faites-vous de la musique ?

Une réponse froide ? Si on se base sur les concerts, je crois que j’ai un public assez âgé. Je me coltine toujours le malentendu des gens qui viennent avec leurs enfants. Toujours. Alors que ce qu’on fait sur scène est très violent, il y a une production sonore agressive, mais j’ai toujours droit à des poussettes et des enfants en bas âge. Après, je pense que j’ai un public tutti frutti, moyenne d’âge 40 ans.

Cette réédition de « Paralelo » va peut-être rajeunir votre public…

Ah je m’attendais au contraire ! Sur disque oui, mais sur scène, ils ne trouveront pas leur compte. Quand des gens viennent par curiosité, ils trouvent leur intérêt dans la façon de faire de la musique, la façon d’être sur scène. Je ne vais pas me vanter mais dans le champ des musiques populaires, on n’est pas beaucoup à agir comme ça. Je sais que ces dix dernières années, c’est ça qui frappe le plus les jeunes. Ils voient qu’on ne se fout pas de leur gueule ! Il y a une montée d’intensité, c’est un truc très physique. Je parle de la musique sur scène, la même musique sur disque, c’est beaucoup plus compliqué. Je pense que la majorité des gens utilisent ça comme fond sonore, on en revient à la muzak ou à la musique d’ambiance.

Vous trouvez que la place des « musiques parallèles » en France a évolué depuis vos débuts ?

Il y a une scène, une surproduction, il y a le labyrinthe Internet, je ne peux même pas faire de comparaison avec mes débuts. On ne peut rien comparer. On a parfois la sensation que ce serait plus facile aujourd’hui, de se véhiculer, de se faire connaître, quoiqu’on fasse. Mais je n’en sais rien. Je pense que le sujet qui n’est jamais abordé, c’est : comment on gagne sa vie dans la musique ? C’est vraiment les sujets froids comme ça. Parce qu’il faut cotiser, les points retraite, toutes ces conneries ! Comment tu manges ? Comment tu paies ? Etc. C’est ce qui me fascine dans tout ce qui touche à l’art, c’est le seul lieu dans le champ social où l’on n’en parle pas…

Vous vivez de votre musique, vous ?

J’ai commencé à en vivre dans les années 90, oui. C’est à dire « vivre » normalement, je vis comme ça, en dents de scie, mais je ne suis pas à la rue, j’arrive toujours à avoir du travail. Et c’est un luxe aussi. Surtout par rapport à ce que je fais. Je ne suis pas un mec qui fait des tubes. Je ne suis pas dans la variété française. Mais bon, ça va…

Pascal Comelade // Réédition « Paralelo » disponible chez Because (vinyle et digital)

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