Voilà quelques semaines, le Roupette Murdoch de l’industrie musicale française – appelons-le par son vrai nom, Pascal Nègre, histoire d’être courtois le temps d’un chapeau – publiait un livre sans contrefaçon et rempli de vertus à double-fond. Gonzaï s’en était fait l’écho sans oublier de préciser que Pascal était aux Arts du spectacle ce qu’Eddie Barclay fut longtemps à la monogamie : un bluffeur. Le papier avait fait polémique, bonnes et mauvaises réponses s’étaient mélangées comme dans le chapeau du magicien, sans qu’on parvienne à savoir qui du chauve émacié ou de ses détracteurs[1] était le plus horripilant. En lançant aujourd’hui Off TV – plus quelques autres subtilités décrites plus bas, l’ami Nègre prouve qu’il n’est pas ce vulgaire comptable incapable de porter des costumes bien coupés, c’est également un homme d’une cohérence implacable : « regarder la musique autrement », ce n’est pas qu’un gimmick.

Courant novembre, une première alerte avait été donnée. Hormis quelques blogs éparpillés, personne n’était véritablement monté au créneau. La cible était facile, certes, le procédé mercantile, d’accord ; mais aussi sûr qu’on n’a jamais demandé au clown de désamorcer une tête nucléaire, il n’y avait jusque-là pas de raison de reprocher à Universal le lancement de ce consternant teen band nommé Be Wiz’U. Résumons l’histoire : recrutés à un arrêt de bus par un Directeur Artistique nostalgique de Jordy et/ou diplômé d’HEC, trois adolescents attardés coiffés comme des teckels s’extasiaient sur les bienfaits de la Génération T.E.X.T.O. dans un clip qui vantait les mérites de la téléphonie mobile pour tous, avec de la propagande d’opérette à faire passer le nazisme pour un truc ringard et vraiment pas LOL. Nos Riri, Fifi et Loulou – appelons-les comme ça, par respect pour leurs familles – se trémoussaient sur un podium en carton pendant que des figurants munis de smileys exhortaient les masses à acheter la sonnerie pour le prix de deux carambars. « Avoir un abonnement tout illimité / Bien plus pratique pour ne pas éclater son forfait » criait fièrement Riri sans penser deux secondes à Universal Mobile, tout content d’être le petit-fils de la génération 68 et de, peu ou prou, n’en avoir retenu aucune des leçons prodiguées par Marx. Acte 1 : rattraper le retard du 2.0 sans complexe, traiter la culture jeune comme il se doit – avec dédain – en lui pompant le temps de cerveau encore disponible. Tout comme chez Katerine, la devise d’Universal s’avérait simple comme bonjour : plus c’est gros, plus ça passe.

Et c’est passé, bien évidemment. En sous-marin, derrière la grande façade du divertissement située rue des Fosses Saint Jacques[2], une équipe d’ingénieurs à jeans taille basse concevaient l’ultime outil pour anesthésier son pire ennemi : Internet et tous ces connards de mélomanes brise-burnes réticents à financer le dernier lifting de Mylène Farmer ou incapables d’acheter les disques de Jenifer et le titre inédit de Serge Gainsbourg. Après plus de quinze ans à pagayer derrière la révolution numérique[3], Universal avait finalement décidé de sortir le carnet de chèques – on parle d’un million d’euros – pour s’offrir un site dédié à sa propre actualité avec, en prime, du focus vomitif sur Justin Bieber, des soupes privées touillées par l’ami Jamiroquai et pourquoi pas tant qu’à faire une partie de merguez avec Katerine. Aussi flippant que d’imaginer Valérie Damidot à la tête d’une chaîne de télévision mais beaucoup moins drôle que Docteur Folamour, un outil de propagande (j’insiste) dédié aux artistes Universal avec, en caution d’indépendance, plusieurs bloggeurs et autres talents bénévoles de la Blogosphère en guise de prestataires déguisés. Ainsi va la vie donc, et l’internaute de découvrir avec ébahissement des programmes Universal diffusés sur une chaîne Universal avec des artistes Universal. Le concept est bien rodé me direz-vous, et finalement moins honteux que le placement produit mal assumé ou les publireportages qu’on subit au quotidien. Au dernier étage de la tour des Fosses Saint Jacques, on avait sans doute entendu un claquement de main, à contre-temps ; Pascal se frottait les paluches de ne même plus avoir besoin des médias pour donner la parole à ses mimes. Acte 2 :  Universal lance « Le Panier Musical » et propose à des invités triés sur le volet (mais lequel ?) de concocter leurs playlists en piochant bien sûr au sein du catalogue maison. On n’arrête pas le progrès, les cons non plus.

Une fois encore, rien de neuf sous le soleil de Satan. Décrire Nègre et ses soldats de l’ombre comme des marchands du temple est d’une évidence telle que confier la mission du réchauffement climatique à des pingouins semblerait aussi vain. Cependant, et c’est une grande première, on peut écrire sans cynisme que les artistes Universal s’avèrent ici moins médiocres que le dispositif mis en place. Off TV, à bien des égards, ressemble à ces chalutiers dont la nasse ratisse les derniers poissons, sorte de course effrénée contre la modernité où l’ennemi n’est pas forcément celui qu’on croit. Après plusieurs années à tenter – vainement – de culpabiliser l’internaute, Universal semble avoir finalement changé le braquet pour absorber la blogosphère. Off TV, un cheval de Troie ? Madame Michu, secrétaire médicale à Compiègne, opine du chef lorsqu’on lui présente les partenaires éditoriaux de la web télé, tous convaincus – pour des raisons nobles sans doute, je ne suis pas là pour les juger – que pirater le système de l’intérieur c’est toujours mieux que de cracher contre la vitre. Bien leur en fasse, c’est tout à fait respectable – là j’essaye d’arrondir mollement les angles, c’est pathétique – mais impossible de ne pas se souvenir de l’une de ces prophéties de Nègre, déclamée voilà quelques années : « Internet c’est bien, c’est révolutionnaire, mais le jour où les gros se réveilleront, ils sauront mettre les moyens[4] ». Dit autrement : « quand moi, Nègre, j’aurai décidé qu’on a fini de faire mumuse avec le mulot, alors l’apocalypse s’abattra sur les bloggeurs et le ciel se déchirera pour tous les pirates ». S’il est bien une qualité qu’on puisse reconnaître à ce Berry Gordy du pauvre, c’est son pragmatisme à faire pâlir Saint Thomas. Aussitôt dit, aussitôt fait : Off TV n’est rien de plus qu’une tentative de vampirisation du seul canal d’expression – Internet – disponible pour la contre-culture. Du moins, pour employer des mots pompeux et plus concrets, du seul média où les artistes Universal n’ont pas la cote et où les agences marketing n’ont pas encore réussi à phagocyter les partitions. Acte 3 : Transformer Universal en média tout-puissant.

Internet est mort. Dit comme cela, oui je sais, ça fait peur. C’est pourtant une évidence, l’un de ces lieux communs qu’il sera bientôt impossible de discuter. Il en fut de même des fanzines (exemples : Rock News, Parapluie, Actuel, etc), de la télévision (De Caunes, Le Petit Rapporteur, Palace, etc) ou de la radio, pourquoi en serait-il autrement avec le « ouaib », comme l’appellent les seconds couteaux de la rue des Fosses Saint Jacques ? Honnêtement, qui pourrait prétendre que la contre-culture d’aujourd’hui s’avère plus combative, plus résistante à l’appât du gain, que ses prédécesseurs ? Certainement pas le trio consanguin de Be Wiz’U, quant aux autres…
Qu’il s’agisse de pop culture ou d’industrie, l’histoire est une chanson qui se répète en boucle, inlassablement, sorte de face A qui joue le même refrain pour des auditeurs sans cesse remplacés. Où l’on repense, non sans sourire, aux débuts de Pascal Nègre sur les radios libres en 1981, cette même année où Mitterrand ouvrait les vannes démocratiques sans se douter[5] que ces mêmes radios libres seraient bientôt absorbées par le grand capital et, de façon plus générale, contrôlées par les cols blancs. En repensant aux débuts à l’antenne de Nouvelle Radio Juive (NRJ, qui ne veut donc pas dire Nouvelle Radio pour les Jeunes), je repense soudain à Mr Nègre, tous ses discours sur l’indépendance et l’altruisme, je repense également à Pascal le jeune, son casque de présentateur sur les oreilles, son indéfectible amitié avec Jean-Paul Baudecroux[6] et les liens étranges qui l’unissent depuis trente ans déjà à ces réseaux décidément très sociaux. Off TV dans tout ça ? Un vulgaire appareil de sous-culture auditive, l’incarnation du méchant qui gagne toujours à la fin. Rue des Fosses Saint Jacques, ça fait déjà bien longtemps qu’on a les oreilles coupées, donnez un carnet de chèques aux visionnaires et ils pourraient bien être capables de refourguer un casque hi-fi à Vincent Van Gogh.

http://www.off.tv


[1]En général, des internautes anonymes aux gouts musicaux plus élevés que la moyenne et qui, pour cette seule raison qu’ils parviennent à télécharger le bootleg 1969 des Stones à Altamont sans cligner des yeux, se permettent de donner des conseils avisés sur une industrie qu’ils dépouillent par dédain. Pardon du raccourci, mais les faux prophètes de la musique 2.0 ne valent guère mieux que leurs aînés, ils ont simplement remplacé les powerpoints par des commentaires signés d’un ROBERT69 forcément vengeur et héroïque.

[2] Siège social d’Universal qui, pour des raisons qui m’échappent, me fait toujours penser à la pochette de Physical Graffiti, de Led Zeppelin.

[3] Et se faire railler par toute la profession, les musiciens, les blogueurs, pour ce refus du changement, cet entêtement à vouloir appliquer des stratégies marketing d’un autre siècle à un public désormais éclaté.  De là à parler de la fin du mainstream et de l’avènement des niches,  et tant qu’à enfoncer des portes ouvertes, autant en rester là.

[4] Citation retranscrite de tête, sans que je parvienne à me souvenir de la date et de la source, pardonnez moi ce non professionnalisme.

[5] On me permettra de penser qu’il s’en doutait suffisamment pour l’ignorer, du moins officiellement. Mais c’est une autre histoire, un peu plus chiante.

[6] Co-fondateur de la radio NRJ telle qu’on l’a connaît, lui et Max Guazzini rachèteront la station puis la privatiseront, pour le résultat que l’on sait : de la pub entrecoupée de spots musicaux.

19 commentaires

  1. bah ,on te sent énérvé Bester ,mais je vois pas trop pourquoi..
    En quoi un site à la con avec des artistes universal en session live-accoustic et des report des NRJ music award vas changer la donne ?..

    hein?

    __ amicalement..

  2. Pas forcément énervé, cher Gérard. Et puis je trouve toujours un peu ridicule d’endosser le rôle du vengeur masqué qui débarque pour sauver la veuve et l’orphelin. Simplement, au delà d’Universal, c’est annonciateur d’un malaise plus grand, la fin de l’internet en alternative aux Fanzines des 70’s. J’espère me tromper, j’espère.

  3. l’idée de fanzines avec son aura culte cheap-photocopié , je ne les ai pas connu .Je me souviens vaguement de fanzines batcave-gothik aux typographies criarde dans les disquaires (ca aussi ça a disparu..)ou de truk de hip hop (au passage les mecs qui faisaient le fanzines « scratch » sur Marseille ,j’aimerais les voir se manifester,fin du message perso’)

    Et oui,ce sont les blogs qui ont pris cette place.Je pense ,a titre personelle ,qu’ils ne vont pas tendre à disparaitre.
    Enfin pas disparaitre dans le sens « eraser » ,mais plutot disparaitre par manque de lisibilité.

    Comprendre:sur ces blogs ,les mecs veulent juste downloader les mp3 ou les zip entier ,sans se faire chier à discuter ou endosser relement le role de « passeur » musical.

    Certain blogs ,(j’aime à citer celui Anglais de 20jazzfunk, font ont ce role de passeur ,pour les autres beaucoup de suiveurs (lien youtube/souncloud, info AFP-OK podium une photo-google et c’est tout)

    le probleme de visibilité ,et de pédagogie musical ,est ,à mes yeux beaucoup plus problématiques ,que le site de Universal-machin..

    mais peut etre que je m’égare ,et m’en vais sur la pointe des pieds pour ne pas faire de l’ombre au sujet initial..

  4. Off TV révélateur de la fin d’Internet… Bestère, quand même, tu pousses le bouchon un peu far away, non ? Et puis euh… C’est quoi pour toi l’Internet pour qu’il soit à l’agonie ?

  5. C’est vrai que je pousse souvent le bouchon, mais là peut-être manquait-il simplement un bout de phrase: « la fin de l’internet tel qu’on l’a connu ».

    Lorsqu’un acteur qui n’a jamais rien compris aux nouveaux médias décident d’investir autant, qu’ils mettent à contribution des indépendants de la blogosphère, et tout ça pour avoir les coulisses d’un concert de Justin Bieber en HD, tout cela me fait penser que l’époque des blogs est clairement révolue. Ca s’inscrit dans une réflexion personnelle, un peu paradoxale, où il me semble que le web est arrivé à maturité, que la période fanzine 2.0 est terminée, ne serait-ce que par tous les sites – ou presque – commencent à rentrer dans le même moule suiviste que la presse écrite et la Tv, et qu’on commence à retrouver partout, peu ou prou, les mêmes lignes éditoriales avec de l’Arcade Fire et du Katerine en « couverture ». Je schématise, ok, mais l’arrivée de gros industriels sur un média n’a jamais été bon signe, aussi loin que je me souvienne, du point de vue de la diversité.

    Voilà.

  6. Perso je suis plutôt d’accord avec la vision du Bester. C’est un petit indice mais musicalement par exemple on s’en rend compte quand on voit les tops de fin d’année des blogs musicaux : ça fait un bail que ceux-ci ressemblent traits pour traits à ceux de papa Inrocks & co. Le papier et le 2.0, tout ça s’est mélangé dans un gros mimétisme consanguin où, en gros, chacun essaie de devenir l’autre.

    Sylvain
    http://www.parlhot.com

  7. merci pour tes précisions , Bester.

    Tu soulève un point intéressant Sylvain (tu me permet de t’appeler Sylvain ,hein ?)quand tu finit en disant « chacun essaie de devenir l’autre »..

    c’est trés juste.Les pigistes de magazines ont le prestige du magazine papier mais sucent tout ce que les petits branleurs passionnés mettent en avant.en gros ils font leur courses dans leur marques pages Firefox (ou Safari..ok, range ta banderole Apple..)

    et les petits branleurs passionnés de l’internet ,eux ,leurs rêves ,leur réalisations personnel , c’est d’avoir leur nom et prénom écrit noir sur blanc dans un magazine papier..

    relation « consanguin »,donc ,comme tu dit..

    ceci dit ,un autre sujet: quid de l’arrivé des format numérique ? tous les grandes enseignes de presse tablentpouraller vers ce médium (en gros du PDF sur IpaD)..

  8. Ben, en même temps, zêtes liés, non ?
    Sylvain à Chro, bester/thomas à Tech’…
    Normal que vous écriviez « pareil » ou en tous cas sur les mêmes sujets/avec les mêmes points de vue du blog au papier.
    Y a que Ungemuth pour chier sur les smiths sans rock&folk et leur tresser des lauriers dans les Inrocks.
    Mais Ungemuth est une imposture – demandez donc à Daniel Darc…

  9. !!! Grossieère erreur! Mea culpa!!
    Il fallait lire :
    « Y a que Ungemuth pour chier sur les smiths dans rock&folk et leur tresser des lauriers dans Le Figaro. »

    remarquez, c’était peut-être un lapsus révélateur.

  10. Innoncent,

    Deux commentaires un peu bas du front, tout ça pour arriver à un coup de griffe sur Ungemuth?

    Quant au reste, désolé, exception faite des commentaires, j’ai du mal à voir le rapport le thème du papier.

  11. ouais ouvrez la fenêtre j’étouffe
    je propose un papier fictif sur le site ou chacun pourra déverser sa bile sur la « concurrence », les fumiers branchés élitistes de la capitale, les conflits de copinage. C’est vrai un jour ça pourrait déraper, on pourrait s’apprécier

    ça pue la langue morte tout ça

  12. Je réagissais surtout à ce que disait Sylvain, « où chacun essaie de devenir l’autre », en donnant deux exemples (Bester et Sylvain) révélateur de la porosité des deux médias (papier et web).

    Pas d’attaque personnelle : pour être franc, si je me fiche un peu de ce que Thomas/bester écrit dans Technikart, je trouve que les papiers/itw de Sylvain sont très bons.

    Quant à Ungemuth, c’est un signe qu’on écrit pas la même chose selon le support, c’est tout.

    Maintenant, si c’est ça être bas du front, ok, ignorance is bliss.

  13. Bof, Off.tv n’est que la continuation de projets comme live@home (Universal feat. Dailymotion et Wat) et autres… C’est le cas aussi sur d’autres médias comme la TV, quand on a la thune et qu’on veut occuper de l’espace autre que de la pub, on se fait pas chier, on produit soit-même le programme…

    Ceci étant on a beau chier dessus sur le principe, c’est quand même pas mal fait (et pas que peuplé de Justin bieber & co.), les moyens ont été utilisés à bon escient…

    Je ne vois pas en quoi l’arrivée d’un rock one sponsorisé met en péril la vie d’un Maximum rock ‘n’ Roll en fait… Les fanzines sont morts à cause d’Internet, la nouvelle génération de fanzines, pas du fait d’un poids lourd de l’industrie…

  14. Mais nonnnnnnnnnn les blogs survivront t’inquiète.
    Bon, moi je rêvais bien d’être embauchée chez Universal ou d’écrire pour la presse mais vu que ça a l’air cuit (et vu ce que je viens d’écrire sur Deezer au ski), il se trouve que justement, l’intérêt de faire des choses bénévolement est de pouvoir parler de ce que l’on veut sans se soucier l’audience.
    J’avoue parler de temps en temps de groupes signés, ceci dit 😉

  15. Ce nouveau site ne change ni n’annonce rien de neuf selon moi. Un outil en plus pour eux et les top de fin d’année ne changent pas réellement. Pour le reste, un gros tri s’est fait sur les fanzines papiers, la même chose se passe en ce moment même pour les webzines.

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