« Quand le musicien montre la lune, l’imbécile regarde la main qui joue. » Ce proverbe qui n’existe pas illustre bien le travail de fourmis mené par le label Objet Disque depuis deux ans et demi. Demi-frère du collectif de la Souterraine, à moins qu’il n’en soit le parrain, Rémy Poncet revient sur cet étrange objet du désir en Version Française, le tout accompagné d’une compilation pour revenir sur terre, de l’astre aux notes.

On vous a déjà causé ça et là de cette nouvelle nouvelle chanson française émergente, de cette impression d’un raz-de-marée déboulant sur une ville Playmobil avec un mini-bus rempli de chanteurs français écrasant un à un tous nos préjugés hérités de l’âge des quotas radiophoniques. On a écrit sur des groupes comme Institut et plus largement sur le collectif de La Souterraine, qui tous s’affichent depuis quelques années comme un antidote au rock alternatif traumatisant des années 1990. Mais on avait, jusque-là, pas moufté sur cette étrange anomalie (sic) nommée Objet Disque et dont le roster pourrait justifier à lui tout seul l’écriture d’un dictionnaire de nouveaux adjectifs comme cheloufoque ou farfeluciné. Et comme c’est tout à fait incompréhencroyable qu’on n’en ait pas parlé avant, on trouve, avec la compilation à découvrir ci-dessous, une bonne occasion de faire enfin notre boulot.

« Devenir le club Dial de 2017 »

Requin Chagrin, Eddy Crampes, Julien Bargagallo (batteur d’Aquaserge) ou encore Chevalrex (projet du patron homme-orchestre)… Tous ces noms forment une nébuleuse du périphérique de l’autoroute du soleil où chaque aire est une pause déroutante. Les rockeurs de Mustang ayant réservé l’A71, eux semblent avoir misé sur l’A7 ; les mélodies sont parfois vieillottes, c’est souvent chanté en français et pourtant souvent vient l’envie de siffler ces comptines anachroniques à l’heure du vocoder. Derrière l’ambiance très quart d’heure américain de la compilation dont il est ici question, c’est une sorte d’éloge à la lenteur qui renvoie à l’enfance ; quand vos parents n’étaient pas encore divorcés, que les grandes vacances étaient synonymes de longs voyages en voiture, le nez collé sur la vitre à se demander si quelqu’un vivait encore dans ces baraques en ruine qu’on devinait depuis la voie rapide.

« Un idéal pop qui fait cas et prend acte de son impossibilité et de sa mélancolie obligatoire. » Le mot est de Sing Sing, moitié de Arlt, à propos de cet étrange Objet Disque fondé par Rémy Poncet en janvier 2014. C’est un bon résumé. Avant la naissance de cette obscurité aveuglante, il y avait déjà eu un premier essai avec Sorry But Home Recording Records, un label géré par Rémy et son frère « autour d’une passion commune pour la « pop » et les CD-R en Drôme Ardèche ». La véritable impossibilité dont il est ici question, c’est bien celle-là : le refus du central (le brouhaha parisien) et cet amour de l’artisanal qui donne aux projets d’Objet Disque cet air de douce rêverie imprenable.

Difficile d’accrocher à tout – le ‘Futurisme’ de Chevalrex, publié récemment chez Vietnam, n’a ici pas secoué les foules – mais dur d’y rester insensible. Déjà parce qu’à l’inverse de célèbres agences publicitaires faussement reconverties en labels éclairés après avoir siphonné le fond du tube de gel douche, Objet Disque dispose d’une histoire bien réelle et d’un travail graphique à la fois léché et unique. Le fait que Rémy soit graphiste au civil n’est pas étranger à l’affaire. Là, vous vous dites : « Okay super, encore un graphiste du 11ième arrondissement qui fait joujou sur sa palette graphique, nous voilà bien avancés. » Oui, et vous n’avez pas tort : nous voilà bien avancés. Car l’agence fondée par Arnaud Jarsaillon et Rémy, Brest Brest Brest, est notamment responsable des graphismes des sublimes invendables de La Souterraine. Tiens, tiens. Un ovni dans le ciel, c’est un hasard, deux ovnis qui se percutent, ce n’est plus un accident.

« La nuit dernière nous avons regardé un documentaire sur les crocodiles. Il va bien. »

Fils de Lithium (le label) et super héros du quotidien (graphiste, patron de label, musicien), Rémy a donc une autre ligne étrange sur son CV : c’est le designer attitré de La Souterraine. Comme tout se passe sous terre, à force, pas facile de comprendre qui fait quoi. Rémy décrypte : « Benjamin Caschera et Laurent Bajon [les boss de la Souterraine, NDLR], je les ai rencontrés début 2014 car j’avais été invité avec mon projet Chevalrex à jouer dans leur ancienne émission, Planet Claire sur Radio Aligre. Quand je suis arrivé à Paris, quelques heures avant l’émission, j’ai appris qu’elle devait être annulée à cause de travaux. Du coup, on a remplacé l’émission par un verre. » Dans la foulée, Rémy ouvre son propre label et s’implique dans l’artwork de la Souterraine ; au point que les deux structures sont désormais indissociables. « On est assez proches humainement, dans la façon d’envisager les choses, avec une certaine idée de la pop oblique et des méthodes do it yourself. La différence, c’est que La Souterraine n’est pas véritablement un label. Ils ont plusieurs cordes à leurs arcs, développent plein de choses entre leur site web, les soirées qu’ils organisent, l’émission de radio… Le flou, les nébuleuses, sont des choses importantes chez eux, la langue française est leur axe de travail, pas spécialement le mien. D’ailleurs, c’est drôle que tu me parles de Benjamin, je viens de partager une chambre d’hôtel Ibis à Rouen les deux nuits dernières avec lui. Hier, entre 2h et 3h du matin, nous avons regardé un documentaire sur les crocodiles. Il va bien. » On ne peut pas en dire de même pour tout le monde.

« Courir après le calme »

Outre la compilation-rétrospective avec notamment un sublime titre par Fabio Viscogliosi (Je dors dans tes bras, formidable ballade de cowboy égaré en Picardie), Objet Disque réussit aussi cet exploit de tordre les pendules du temps. La meilleure preuve, c’est encore le ‘St-Homard’ de Mocke à paraître début juin, où les instrumentaux donnent parfois le sentiment de voir NLF3 enregistrer la B.O. d’un western avec un John Wayne fan de Rien (le groupe). Comme un lifting d’Emmanuelle Béart, ça ne ressemble justement à rien. À rien de sorti cette année, en tout cas. « J’aime l’approche aventureuse et ludique de Mocke, rajoute Rémy, c’est une forme d’idéal, il maintient un niveau de lâché prise et d’exigence permanent, c’est tendu et décontracté. » On serait à Boulbi, on ferait du rap, déjà on ne serait pas en train de lire Gonzaï mais au moins, on pourrait dire qu’on est OKLM. Oui, je sais, c’est un peu con pour amorcer la descente de ce voyage en apesanteur, mais Objet Disque se démarque de beaucoup pour sa résistance à l’air du temps. « Je ne peux que citer le titre d’un des derniers livres de Fabio Viscogliosi, Apologie du slow, qui m’a beaucoup plu. C’est peut-être aussi ça Objet Disque : une forme d’idéal, courir après un truc, le calme. » On ne sait pas encore si Rémy parviendra à l’attraper, mais au moins on aura appris un truc : le mec qui vit dans la cabane qu’on aperçoit depuis l’autoroute, c’était lui. Ralentissez un peu, vous verrez.

Compilation Objet Disque avec Requin Chagrin, Chevalrex, Perio, Mocke, Delacave, etc.
En téléchargement libre sur http://objetdisque.bandcamp.com/

Mocke // St-Homard // Sortie le 3 juin
http://objetdisque.org/mocke-st-homard/

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