Dans la chaleur moite d’un été caniculaire, le label Born Bad sort une compilation dédiée au boogaloo et met à l’honneur quelques figures mal connues de la musique des Antilles françaises. On y découvre des musiques métissées, coincées entre l’influence des yé-yé de la métropole, et les fusions latines venues d’Harlem. Posologie à lire ci-dessous, avant d'avaler l'écoute du medoc en exclu.

Vous connaissez sans doute mal l’histoire du boogaloo et personne ne vous en tiendra rigueur. Car le genre fut aussi éphémère qu’il est, aujourd’hui encore, très mal documenté. On ne trouve que peu de choses sur le sujet, mis à part un documentaire de Mathew Ramirez Warren qui y est entièrement consacré [1] ou éventuellement quelques lignes dans des chapitres d’ouvrages plus généraux comme ceux des spécialistes de musique latine Isabelle Leymarie ou bien Juan Flores. De 1966 à 1969, soit à peine plus longtemps que la mode de la tecktonik, le boogaloo a pourtant été LA danse à la mode (comme avant elle le jerk ou le twist), d’abord à New York, puis dans une grande partie de l’Amérique latine et des Caraïbes, avant d’être totalement éclipsée par l’essor fulgurant de la salsa et du label Fania Records.

Un peu d’histoire

Le boogaloo naît à New York dans les années 60, dans les barrios de l’East Harlem et du Sud du Bronx en particulier, ces quartiers qui concentrent la communauté cubaine et portoricaine en plein accroissement de la Grande Pomme. Le boogaloo est un genre autant qu’une danse (une sorte de cha-cha-cha en plus syncopé), bande-son de l’utopie métisse d’une nation d’immigrants autoproclamée. Le boogaloo intègre des éléments issus des genres afro-américains dominants (le rhythm & blues, le rock & roll et le jazz) en les mélangeant aux rythmiques latines héritées du mambo, du cha-cha-cha et de la pachanga. Les paroles sont généralement en anglais, plutôt simplistes voire bébêtes, et invitent à la fête autant qu’à la danse en multipliant les onomatopées écervelées. Alors qu’il émerge au moment de l’essoufflement de la folie Beatlemania, à un moment où la mode est plutôt au doo-wop ou au twist, le boogaloo apparaît comme une synthèse réussie entre les cultures afro-américaine et nuyoricaine [mot-valise désignant la diaspora portoricaine installée à New-York, NdA]. Les plus célèbres interprètes de ce genre hybride connaissent leurs premiers succès en 1966-1967, dans le sillage du tube de Pete Rodriguez I Like It Like That gravé pour le label Alegre, ou encore le titre Bang Bang du sextette de Joe Cuba, avant que la mode ne voyage dans l’Amérique latine tel un vilain virus tropical via notamment la mainmise du label Fania, et ce jusqu’à gagner les Antilles.

C’est sur ce chapitre particulièrement méconnu de l’histoire des musiques caribéennes que s’attarde la précieuse compilation du label Born Bad (en collaboration avec Diggers Diggest) et dont le travail de réédition s’étoffe d’année en année, venant concurrencer certaines des meilleurs parutions de labels comme Soundway ou Sofrito [2]Disque la rayé offre un aperçu de cette transition qui s’opère aux Antilles entre d’un côté la biguine, le quadrille et la mazurka, qu’on danse dans les salons bourgeois, et de l’autre l’avènement du zouk. Au cours des années 60, les grands orchestres à la Stellio disparaissent progressivement au profit des combos sur le modèle des groupes de rock. La période est marquée par un foisonnement particulièrement intense pour les musiques créoles, qui intègrent les idiomes de la musique occidentale du début des années 60 et les ré-interprètent pour donner naissance à de nouvelles formes hybrides. La compilation se permet quelques écarts (par rapport au cadre un peu strict du boogaloo) pour mieux rendre en compte de ce syncrétisme. Et c’est tant mieux.

Les traces de l’influence métropolitaine se distinguent au fil des écoutes. Rien d’étonnant à ce que la musique voyage et effectue d’incessants allers-retours, puisqu’au même moment, à partir de 1963, la France du général de Gaulle entreprend une vaste politique migratoire visant à favoriser l’émigration de centaines de milliers d’antillais espérant trouver du travail au cœur de l’eldorado parisien : le BUMIDOM (Bureau des migrations des départements d’Outre-mer) dirigé par Michel Debré est chargé d’organiser le départ et l’accueil de ces populations perçues comme la main d’œuvre nécessaire dans le contexte d’expansion économique qu’on appellera plus tard les Trente Glorieuses.

Eddy Mitchell de Guyane

Les musiciens antillais viennent par ailleurs se produire en France et retournent au pays natal comme Césaire les poches et les oreilles chargées de quelques bribes de musique occidentale. On sait par exemple que Fred Aucagos, leader des Vikings de la Guadeloupe, présents sur l’album avec un morceau instrumental [Puchi’s Boogaloo », face B de leur tube Zagalakateleman], a beaucoup fréquenté le Golf Drouot et toute la scène yé-yé avant de rentrer en Guadeloupe où lui et son groupe naissant ont commencé par imiter leurs idoles du rock’n’roll, avant d’assumer leur identité créole. On avait déjà pu entendre parler des Vikings récemment puisque le label Heavenly Sweetness a sorti en 2016 un best-of de ce groupe moteur de la modernité créole (d’ailleurs l’un de ses membres, Pierre-Édouard Décimus, a co-fondé Kassav en 1980 avec Jacob Desvarieux). On découvre aussi avec plaisir Dany Play, sorte de pendant guyanais d’Eddy Mitchell, sur l’impeccable Mais tu sais, de même qu’on est surpris d’apprendre que David Martial n’est pas que l’interprète grotesque de Célimène.

D’autres formes hybrides sont présentes, comme la rumba congolaise du groupe RyCo Jazz. Le groupe, formé par un musicien du célèbre orchestre de l’OK Jazz, a débuté au Congo-Brazzaville avant de déménager à la Martinique. Invités comme musiciens résidents d’un bar de Fort-de-France, ils ont finalement posé leurs valises pendant cinq ans sur l’île aux fleurs, enregistrant aux Antilles, notamment à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe dans les studios du célèbre producteur Henri Debs, lui aussi présent sur la compilation. Lui aussi est une figure incontournable de la musique antillaise, un musicien devenu producteur à succès pour des artistes aussi rentables que Francky Vincent ou Zouk Machine signés sur son label Debs Music.

 

Seule la première piste de la compilation, le morceau Sékirité sociale de Maurice Alcindor, une ode récréative à l’assistanat où l’on chante les louanges à l’État-social, s’apparente à un boogaloo typique, même si le reste des morceaux dansants oscille bien souvent entre tumbélé, boogaloo, twist, soul, sans forcément rentrer facilement dans une case. On notera enfin, puisque seul le détail compte, que l’interprète du titre Disque La Rayé, qui donne son nom à la compilation, a été suppléante de Dieudonné lorsque celui-ci s’est présenté aux législatives dans la huitième circonscription du Val d’Oise en 2002. Une belle quenelle qui n’éclipsera certainement pas la qualité de cette compilation hautement recommandable de ce début d’été, qui plaira sans aucun doute aux auditeurs de Radio Nova mouvance Emile Omar [3], mais qui vous plaira aussi à vous, qui sait ?

[1] Mathew Ramirez Warren, We Like It Like That, 2014. Voir aussi le documentaire sur Fania Records, Our Latin Thing (Nuestra Cosa).

[2] Le co-fondateur de Sofrito, la parisien Hugo Mendez, a contribué à de nombreuses compilations, et notamment (dans un registre similaire) celle dédiée au tumbélé sortie chez Soundway : Tumbélé! Biguine, Afro & Latin Sounds From The French Caribbean, 1963-1974.

[3] Programmateur de Radio Nova à l’origine de la compilation Antilles Chéries publiée chez Fanon Records

4 commentaires

  1. Merci d’avoir cité Koute Jazz / Digital zandoli et Edmony Krater comme Production du label Digger’s Digest spécialisé en musiques antillaises.

  2. le diggger c’est kéquin qui revend le quadruple du prix a Panamme & sa proche banlieue bleue y’a kéque disquaires qui se débrouillent pas mal, & il y a les autres d’odieux estrons.

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