On a tous ce mot qui dore notre blason quand on est rédacteur ou plus généralement pigiste : galérer. C’est partout pareil : d’abord tu coches la case « CDI ». Tu te résignes et tu coches la case « CDD ». Tu abandonnes et tu coches la case « stage ». On multiplie les tâches, on additionne les envois de CV, on trime. On est comme ça, « on n’y peut rien » : on passe plus de temps à se vendre gratuitement qu’à bosser vraiment. Nous, la génération des 20/25 ans, on n’aime pas du tout qu’on nous dise « non ». Alors on pleure, et on attend. On est vraiment des glands.

Quand t’es rédac’ et que tu veux en vivre, y’a toujours quelqu’un pour te dire « t’as un putain de potentiel, tu vas faire de grandes choses ». Si tout le monde te le dit, c’est qui l’enfoiré qui refuse ton existence rédactionnelle ?! A force, tu finis par devenir terroriste, tu dis que t’as tout essayé et que l’ultime recours c’est de tout faire péter avec tes mots et d’écrire un bouquin qui s’appellera probablement J’ai mal à ma France, dans lequel tu pisseras sur tous ceux qui un jour t’ont dit « le dit à personne mais dans cette boîte… ». Je suis persuadée qu’il existe un univers parallèle avec plein de journalistes super bien payés et dotés d’une culture sans borne avec plein de matos à base de Leica, de dictaphones en or massif et du Capital de Marx en 20 000 exemplaires édition Pléiade. En tout cas, dans le monde réel, ça ne se passe pas du tout comme ça.

Je discute au téléphone avec une femme, la quarantaine, spécialiste du terrorisme et dont je tairai le nom, par souci de… par souci. Je lui explique que j’ai eu une commande de papier sur le sujet et que j’aimerais des infos. La conversation vire au journalisme en général et cette personne me dit : « Le problème avec votre génération, c’est que vous n’acceptez pas l’échec. Si vous vous plantez, vous vivez un drame existentiel ». Trop méchante la meuf. J’ai envie de pleurer et d’appeler ma maman.

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En réalité, c’est un fait indéniable : on reste derrière notre écran et on écume les annonces publiées sur Indeed – ça, c’est du putain de journalisme d’investigation ma gueule. Quand bien même on veut être rédac’ pour un magazine axé sur la politique, on se dit que Closer c’est toujours ça de pris, et on postule, on se vend comme un bougeoir en or massif chez Maison du monde. On se fait une pause café-clope puis on retourne à notre écran et on postule, on postule, on postule. Pendant ce temps, m’explique la dame-au-terrorisme, on pourrait sortir et taper à la porte du voisin qui ferait un super sujet d’article parce que sa sœur a été tuée par un multi récidiviste en cavale et que son fils est un drogué. Mais ça, on en sait rien parce que rien que la simple idée de le croiser dans l’ascenseur nous fait flipper puisque, bouh, on n’aime pas les gens du tout. On préfère rester chez nous à postuler, postuler et postuler. Et lorsqu’on reçoit une réponse, enfin, on nous dit juste « Nous allons étudier votre candidature ». Ni une ni deux, on retrouve ce sentiment pas si lointain, celui d’une enfance pavée par les « on verra » de nos parents lorsqu’on souhaitait obtenir quelque chose : « Maman, on va à Disneyland ce week-end ? » et la mère de répondre « on verra » et nous de hurler « ouaissssssssssssssssssssssssssssssss ! ».
Et bien, rien n’a changé : toi tu veux un job tout de suite, stable, pour faire un prêt immobilier et te poser. T’as même pas fait un stage que déjà, tu veux conquérir le monde du journalisme. T’as cru quoi ? Toi, t’as clairement cru qu’il suffisait d’envoyer un e-mail pour être journaliste et sous la douche tu fermes les yeux : tu te vois déjà exhiber fièrement une carte de presse autour de ton cou. Alors t’envoies un e-mail, t’as pas de réponse et du coup, tu pleures. Et tu te dis pas un seul instant « je vais aller toquer à la porte de ce mec pour qui j’ai postulé ». Tu balances toujours l’excuse à deux balles « mais j’ai pas de sous pour y aller moi, à sa porte ». Ah ouais ? Mais pour te bourrer la gueule avec Michel le samedi soir au PMU d’à côté, y a du people.

Et tous les lecteurs de crier au scandale : « mais elle est hyper moralisatrice cette rédac’ putain, elle s’est pris pour Les Enfoirés ou quoi ? ». Mais non, vous vous méprenez. Ce n’est pas de la fausse morale à deux francs pièce, ce n’est qu’une première constatation. On est des flippés de l’échec, c’est pour ça qu’on sort pas et qu’on envoie des e-mails. Au final, lorsqu’on reçoit un « non » par voie électronique, ça fait moins mal que lorsqu’on reçoit le « non » en face to face. Dans les deux cas, on a comme l’impression qu’on s’est pris un refus par voie anale. Et pourtant…

Sans-titre-1Au départ, je souhaitais écrire un papier qui chiale vraiment, qui dit « le monde est un connard et nous, les aspirant au journalisme, on est des victimes ». Bester a posé les bases et m’a dit un truc genre « ok, ouais, si tu veux. Mais peut-être pas tant que ça au final, regarde j’ te montre ». Et j’ai revu ma copie comme disait l’autre. Et surtout, en revoyant ma copie, j’me suis regardée à nouveau dans le miroir et j’me suis dit « ma pauvre fille, tu galères » et Bester de me répondre « c’est pas de la bonne galère par hasard ? ». C’est ici que mon histoire avec Mme Terrorisme rejoint celle de Bester : on a peur de l’échec mais…on devrait le vivre à fond cet échec-là. Et même si t’en as marre que ta mère te répète « t’as pas révisé pour rien, on révise jamais pour rien…blablabla » au fond, maman a pas tort mon con. Et toi de ne pas comprendre que ton talent n’est pas remis en cause – cela dit, pose-toi juste la question une fois par mois : « hey mais en fait, j’serais pas un peu une merde ? » sans trop abuser avec l’auto-flagellation. Bref, c’est pas cliché : la créativité et le talent, ça passe aussi par des refus et de la torture intellectuelle. T’as pas encore remarqué que les actants de la scène gonzaïste étaient pas très nets ? Ils ont essuyé des échecs mon con. T’as cru que Capa a fait une photo et d’un coup le mec il a vu son nom écrit sur les boîtes de céréales ? T’as fumé mon con.

Toi non plus, tu vas pas me faire croire que t’as jamais vécu ça : dans la phase 1 tu te donnes comme une salope à une ligne éditoriale, tu lis le média du début à la fin, tu t’endors avec, tu te douches avec, tu le dévores comme un porc avant le passage à l’abattoir. Puis tu postules, tu clames ton amour au mag’, tu dirais presque que c’est grâce à lui que les pétales de roses sont si beaux et que les papillons volent si bien. Et trois mois plus tard, tu reçois un e-mail automatique qui, en deux lignes, te dit ce qui aurait pu être synthétisé en quatre mots : va te faire foutre. Tu aurais pu envoyer un e-mail qui dit « je vais violer ton fils » au rédac’ chef, tant qu’il est intitulé « demande CDI »« proposition d’article », t’es baisé. A l’avenir, intitule ton e-mail « je regrette tellement d’avoir mis ces photos de moi toute nue en pièce jointe » ou « elle a arrêté de fumer alors qu’elle n’avait jamais commencé, l’industrie du tabac la déteste ».

Dans la phase 2, tu détestes le média, tu jettes tout rapport avec son existence dans ton salon, tu dislikes sa page et tu dis à tes potes que c’est de la merde. Dans la phase 3, tu te rabats sur un autre média. Dans la phase 4, tu réalises que toute ta vie est fondée sur ces trois phases. Dans la phase 5, t’essayes de pleurer jusqu’à te passer l’envie de pisser et t’y arrives pas, alors tu manges. Puis tu reproduis ces phases à l’infini, agrémentée chaque fois de l’espoir d’un avenir meilleur et puis tu meurs, gros et pauvre.

Actuellement dans une grosse boîte dont je tairais le nom parce que j’ai pas de couilles, je suis étonnée de voir combien les CDI ne se signent plus et à quel point les CDD s’impriment à foison, les stages à l’unisson, les remplacements à la pelle. Pourquoi ? Parce que ça coûte beaucoup moins cher, évidemment. Parce qu’il n’y a pas de fric pour faire des folies de son corps. Parce qu’il n’y a de fric que pour faire vivre le média. Il n’y a de fric que pour que tu puisses lire tout ça. Il n’y a de fric que pour la créa’.

Finalement, on connaît tous les règles du jeu mais on chiale quand même en se disant toujours « franchement, c’est pas juste. Moi, ça fait des années que je galère, que j’écris gratos, que j’ai du potentiel et j’ai jamais rien en retour ou juste des broutilles ». Mais, t’es pas tout seul tu sais : et le type qui te dit non, tu crois que ça le fait pas chier de te dire non ? Tu crois qu’il aimerait pas te dire « viens de suite, je te paye les frais d’hébergements, le café et le goûter de ton gamin » ? Malgré tout, on continue d’écrire, on continue de postuler, on continue, on continue, on continue…  Pourquoi ? Parce que cette situation précaire est en réalité pleine de santé : on se bat car on y croit comme des porcs. Tout le monde est au bout du rouleau : les annonceurs et les patrons… ils deviennent aigris comme des truites mal pêchées. Ca va bien finir par changer, bordel. On répète sans cesse que « tout se casse la gueule ». Je ne vais pas vous contredire à ce sujet. Cependant, le Monde pourra bien s’péter les côtes, on trouvera toujours un moyen dans notre complexe hypothalamo-hypohysaire pour se relever. Et en attendant, continue d’aller sur Indeed, de fabriquer des cartes de presses toi-même avec du papier canson et dis-toi que le poste de stagiaire de deux semaines chez Tourisme Val-d’Oise magazine, c’est déjà ça.

18 commentaires

  1. Chère Mélanie, vous avez raison et je salue votre courage et votre rage. Etant du côté de ceux qui ont plus de 50 ans, je peux vous dire qu’on est traités pareil, on est virés , on postule, on postule on se sent devenir une pustule, considérés comme des daubes par la world company et les DRH dont le « H » est une option inutile depuis bien longtemps.
    Mon fils est au CELSA et je sens qu’il va en chier mais on ne lâchera rien, en mode Dead KENNEDYS !!! REVOLUCION !!!!!

    1. Merci pour les compliments et courage pour ton fils ! Et effectivement lorsque j’étais encore rédactrice en chef d’un webmédia, nous avions un rédacteur bénévole de 50 ans et je peux te dire que ça fait mal au coeur car le mec était super motivé, à fond, parce que de toute manière il trouvait rien. J’ai aussi rencontré un reporter de guerre qui avait un boulot au placard à côté, pour nourrir sa fille. Triste réalité qui ne nous empêchera pas d’ouvrir notre gueule. Jamais. Never.

  2. Sorti du chomage journalistique il y a peu (grâce à un poste dans une zone terriblement grise du journalisme), j’ai l’impression de lire ce que j’ai vécu, et ce que j’ai analysé. Ces super idées de sujets qui feraient de super sujets si t’arrivais à envoyer ce mail, à demander gentiment, à prendre ton téléphone, à vendre ta pige. Mais plutôt rester avec ses espoirs que risquer de se prendre un « non ». Y a pas de petit pas, et ouais, on ne révise jamais pour rien. Et il n’y a qu’en persévérant qu’on s’en sort, parce que oui, l’école à menti : personne à part toi n’est là pour venir t’aider à avoir le destin de fou dont tu rêves. Faut aller le chercher, et ça implique de se bouger le fion.

    1. ben oui mais vu que j’aime bien en prendre deux fois plus dans l’cul, j’aime bien avec deux « n » moi.
      Des bisous tout doux !

  3. C’est quoi la fascination dans le métier de journaliste qui peut mériter de se faire traiter comme ça juste pour écrire du rédactionnel pour SFR ? Ça m’intrigue sincèrement, journaliste étant probablement la profession la plus détestée en france après politique. Musicien je peux comprendre, il n’y a pas de tunes mais tu peux t’exprimer librement. Ça existe (à part Gonzaï) des journalistes qui montent leur propre trucs pour enquêter et s’exprimer et pas juste rêver de s’exprimer. Je ne dis pas d’aller jouer les grands reporter en Syrie parce que ça demande sans doute un certain budget (plus que d’acheter des instruments et d’enregistrer un disque ?) mais de faire au minimum une enquête au long cours sur un fait de société et de le publier sur le web (c’est bateau mais je suis pas journaliste). C’est pas contre toi et c’est pas méchant (je ne peux que te souhaiter bon courage) c’est juste une vraie question.

  4. J’entends tes propos. Toutefois, tu dis tout en posant la question : c’est de la fascination. On aura beau se faire fouetter les fesses avec une antenne de voiture, on s’en foutra, on continuera et pire encore : on aimera ça.
    Et puis c’est comme la photographie, ça donne de bons prétexte à faire des choses.
    Un ami qui est photographe et qui part régulièrement dans des pays en guerre m’a répété 20 000 fois qu’en fait, l’appareil photo était juste un prétexte pour partir là-bas, que sans ça, il n’aurait pas d’intérêt à le faire, un peu comme si tu courrais 10 bornes pour aller nulle part. C’est bien pour ça que peu de gens sont motivés à faire un footing à 6 heures du mat’.
    Alors voilà, le journalisme, c’est un bon prétexte pour voir des choses, entendre des choses…vivre des choses.

  5. Ok je vois. Le problème c’est aussi que la génération d’avant à commencé à bosser gratuitement pour des boulots qui en valait le coup (grâce au RMI entre autre) et que vous vous retrouvez à bosser gratuitement pour des boulots de merde. A vous de vous débrouiller avec ça…

  6. Publie largement un sondage qui demande qui veut l’abolition du net pour toutes ses conséquence saines sur le marché de l’emploi.
    Et monte un journal militant pour la cause.
    PS:il sera aboli sans toi mais tu pourras être l’héroïne de l’histoire du recommencement sain de l’Histoire.

  7. Ton article est écrit à la truelle,tu écrit comme tu parle ,comme une fille de ta génération.Je ne suis pas surpris qu’avec cette diarrhée verbale personne ne t’embauche

    1. Obadidon ce doit être ça vous avez raison..
      Cela dit : « tu écris » et « tu parles » serait mieux en matière de conjugaison, non ?
      Toutefois, c’est bien pour ça qu’une à deux fois par semaine je me demande si par hasard ce ne serait pas moi, la merde (cf. Article ci-dessus).
      Ainsi, j’entends nettement vos propos. J’imagine qu’il n’y a que ceux qui ont du talent qui sont « embauchés » – ironie – puisque ce terme (embaucher) ne signifie plus rien sinon cela voudrait dire qu’avec les petits contrats que j’ai et la chaîne pour laquelle je travaille actuellement, je le suis déjà .
      Je pense que vous êtes assez maline pour savoir que le journalisme a ses codes et que le code de Gonzai c’est justement de créer le sien. On appelle ceci du militantisme, vous connaissez?
      Par ailleurs je précise que je n’ai jamais prétendu à une plume digne d’exemple pour l’humanité et que j’écris comme cela ici car le sujet s’y prête. Autrement, il est évident que je ne me permettrai pas un tel langage.
      Et de toute manière, une truelle, c’est un outil assez utile au demeurant, non?
      Mes hommages très chère.

  8. Sans doute, Anne, vaudrait-il mieux que Mélanie parle comme vous écrivez, à savoir, avec ou sans faute?
    Sachez cependant qu’une diarrhée verbale est bien plus fluide et efficace qu’une constipation douloureuse, et je ne vous parle même pas de la truelle!

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