Trente cinq ans après la première séparation et sous couvert d'intrigues à vous inspirer les Feux de l'amour en Bavière, Neu ! revient dans l'actualité avec - paradoxalement -

Trente cinq ans après la première séparation et sous couvert d’intrigues à vous inspirer les Feux de l’amour en Bavière, Neu ! revient dans l’actualité avec – paradoxalement – rien de nouveau. Neu ! ’86, quatrième « vrai-faux » album fantôme du groupe allemand mythique, sent le parfum de revanche. Avec l’odeur des victoires en (kraut)toc.

Pour résumer leur histoire aux allures de queue de comète, on aurait pu user des meilleurs bréviaires de l’histoire du rock et s’esquinter le poignet à décrire l’avant-gardisme fondamental des batteries qui moulinent sec comme une batte sur les bris de glace. On aurait pu se décarcasser à décrypter la production de Conny Plank et l’angoisse post-industrielle qui se dégage encore de Super 16, bande-son rêvée pour accompagner le galop des lapins un matin d’avril 1986 à Tchernobyl. A l’extrême limite, poussé par les fans de la première heure et autres névrosés du rock allemand sidérurgique, on aurait pu s’extasier sur la discographie de Michael Rother – l’un des rares kraut-héros qui n’ait pas perdu tout ses cheveux depuis la chute du mur. Mais soyons sérieux, et laissons à d’autres le plaisir de s’extasier sur une potentielle « Ruhr de la fortune » et autres expressions galvaudées.

Hallogallo, Für Immer, Isi. Le problème chez Neu !, c’est que musicalement, tout tient pourtant en trois pistes. Trois albums enregistrés entre 1971 et 1975, certes, mais trois « chansons »[1] qui résument à elles seules ce l’idée qu’on aurait pu se faire d’une course à pied Hambourg-Berlin avec trois sacs de briques sur le dos. Une fois dépassées ces presque 27 minutes compilées d’héroïsme d’après-guerre (et d’avant-punk, dont le groupe reste annonciateur), reste un vide, un gouffre, que dis-je : Neu ! Deux énergumènes (Michael Rother et Klaus Dinger) aux figures de soldats perdus dans leur Vietnam compliqué, deux visionnaires qui ont quitté la patrie (Kraftwerk[2]) après s’être fait viré par l’Oncle Sam (Ralf Schneider, pour la faire courte). Seuls dans la jungle teutonne, Rother et Dinger enfanteront Neu !, des crises à répétitions mais produiront trois disques qui n’intéressent personne ou presque et fascinent tout le monde trente ans plus tard. Une destinée de peintre, finalement, dont on reconnaît l’ouvrage à sa mort, sous-pesant son talent au nombre de Kleenex qu’il parvient à froisser.

1975-1986

Du Krautrock comme de la peinture ou des westerns, la ville est souvent trop petite pour deux héros. L’histoire l’avait déjà montré avec Faust, Amon Düül ou Can, elle bégayera de la même façon – métronomie oblige -avec Rother et Dinger[3]. Au sortir de Neu ! 75 (devinez en quelle année), c’est le dépôt de bilan, finalement pas tant pour les disques qui ne se vendent pas que pour les conflits d’égo. Rother veut l’ambiance et les claviers, il partira tripatouiller des boutons avec Cluster, Harmonia et Brian Eno. Dinger rêve de saturation et d’esprit punk, ce sera La Düsseldorf et trois albums en guise de pré-épitaphe avant le grand silence des années 80, l’arrivée massive du disco, du walkman et des permanentes à bigoudis. C’est désormais une évidence, depuis les débuts de Neu ! en 1971, l’eau a coulé sous les ponts du Haut Rhin. Madonna a pris la tête des charts, Depeche Mode a succédé à D.A.F. (et donc au kraut) dans le cœur des jeunes désorientés et il fait peu de doutes que Rother et Dinger achètent désormais leurs pains sans être reconnus par la boulangère. Pour toutes ces raisons – et pas les meilleures sûrement – pas difficile d’imaginer les deux compères se trainer en pantoufle vers les studios, au début de l’hiver 85, pour tenter de donner une suite à ce qui aurait du rester en suspension. On les imagine d’ici les teutons, roulant en Skoda dans l’Allemagne désossée à la poursuite d’un quatrième album qui ne verra – finalement – jamais le jour. Neu pour Neu, etc… On galvaude tous comme on peut.

Abstraction to distraction

Neu ! 86 (ou Neu ! 4, pour les esthètes) ne porte pourtant pas mal son nom. Son problème, c’est qu’il reste – dans la carrière du groupe – un enfant bâtard, disque pas désiré mais accouché par accident. Et en six mois d’enregistrements, les deux trentenaires ont vu beaucoup de trains passer et pas réussi à accrocher un seul wagon. Tantôt new wave par excès de jeunisme (Dänzing et ses caisses claires à faire pâlir The Weatermen), tantôt second degré kitsch (La Bomba, stop Apartheid World Wide, rencontre ratée entre Bob Gedolf et les boites à rythmes) et rythmé par le bruit des caisses-enregistreuses, Neu ! 4 reste finalement dans les placards ; et les deux conviennent d’un commun désaccord qu’il faut mieux encore s’aimer par avocats interposés plutôt que d’entacher la réputation du « groupe ». La même année, Tchernobyl et la séparation de Téléphone coupent court à toute tentative de communication. L’année suivante, c’est Conny Plank qui vire au gris. Cette fois, c’est sûr, Neu ! appartient enfin au passé. Enfin, c’est ce qu’on croit.

Kramer contre Kramer

Comme on décide souvent à l’arrachée de « qui aura la garde des gamins, espèce de salaud », Dinger décide finalement de sortir, en 1995, les bandes de Neu ! 86. Un quatrième album avant le nouveau millénaire, se faire enfin reconnaître par la dite boulangère ou simplement satisfaire les fans… l’histoire ne dit pas les raisons de ce micro-événement – sorti qui plus est chez Captain Trip Records, un micro label japonais. La scission entre les deux membres de Neu ! est définitive et Rother de déclarer « that Neu! 4 isn’t a legal/real Neu! Album ». Tout le monde s’en fout, écho dans le vide intersidéral. Et depuis que le mur est tombé, c’est bien connu, on préfère gober des pilules que de s’extasier sur l’exotisme d’une paire d’ingénieurs coincés à Hambourg.

Rock In Peace. Mort en plein retour de hype sur le Kraut[4], alors que tous les papis (Cluster en tête…) enchainent la tournée des clubs derrière leurs laptops à mots fléchés, Klaus Dinger n’aura finalement pas le dernier mot. Sorti sous le manteau dix ans plus tôt, Neu ! 4 refait aujourd’hui son bonjour, reworked par un Michael Rother qu’on imagine jubilant de son plaisir à être le dernier Neu ! à pouvoir ouvrir sa gueule sur le sujet. Et plutôt que d’ouvrir la porte avec une demie-charentaise, Rother fait grand courant d’air avec l’arsenal au grand complet. Un boxset contenant les trois albums studios, accompagnés du Neu ! 86 que l’auditeur pourra redécouvrir dans une nouvelle version. Et qu’entend-on, alors, sur ce disque « post-mortem » , quatorze ans après son enregistrement au Grundfunk Studio de Düsseldorf ? Toujours la même chose : Un brouillon, une copie de faussaire, singeant les qualités sans parvenir à masquer les défauts. Ici c’est du Suicide pompé au glissando de guitare (Crazy et ses onomatopées No New-York), là bas c’est un synthé 80′ qui fait la loi (Euphoria) avec une poignée de titres (Drive, Wave Mother) entrecoupés d’interludes à placer entre Phil Collins et Derrick. Après le kraut chanté de Good Life, une question revient, en mantra : Pourquoi revenir, quand on avait si bien claqué la porte ?

Sur KD,  dernière piste de Neu ! 4 (ou Neu ! 86, j’espère qu’à ce stade vous avez compris), l’écho de La Bamba résonne dans la cabine de studio sans qu’on parvienne à comprendre ce qui put passer par la tête (ou dans les doigts) du groupe allemand, au début de l’hiver 1985. Pas assez à l’est pour mourir de leur art mais trop vieux pour espérer le kraut-back, Neu ! aura bu toute la limonade, laissé les bulles au fond et siroté la paille jusqu’à plus soif. L’histoire n’a rien d’extraordinaire – elle en est presque banale – mais qui pourrait prétendre, après telle story, que l’odyssée du Krautrock n’était pas avant tout une affaire d’hommes, plus que de circuits sensibles ?

Neu ! // Vinyle Box Set (including Neu ’86) // Grönland Records (PIAS)
Sortie le 17 aout 2010
http://www.neu2010.com


[1] Etrangement, ces trois chansons se retrouvent toutes, respectivement, en ouverture de Neu !, Neu ! 2 et Neu ! 75. Une sorte de prémisse à l’abysse, un truc du genre.

[2] Après le premier disque, lui aussi sobrement intitulé Kraftwerk, mais fort logiquement le plus krautrock de toute la discographie des robots cyclistes.

[3] Si la division des duos est une constante allemande, on imagine à l’inverse difficilement Guy-Man et Thomas Bangalter dissoudre le Daft. Va comprendre, Charles….

[4] Dinger est décédé en 2008 d’une crise cardiaque. Comme quoi le Krautrock, c’est avant tout une question de rythmes.

11 commentaires

  1. So weird, been listening to Neu 1 tonight. First time I listened to them, I was living in NYC and tripping. What a blast. Best band on the planet. All the songs in this album are wonderful. Negativland. etc. This article has to be rewritten.

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