S’il avait fallu parier sur un département français capable d’électriser les mimines de celui qui perd la moitié de sa semaine à déballer, écouter puis jeter 80 % des autoproductions envoyées à la rédaction comme des lettres de démotivation, tout porte à croire qu’on n’aurait pas misé les 20 % restants sur la Moselle. C’est pourtant depuis cette région à deux doigts de l’invasion germanique que le collectif Negative Beat s’évertue à flirter avec le tapage nocturne et la composition du 17 sur le cadran téléphonique. Ne raccrochez pas, ce n’est pas un faux numéro.

Tout commence par un après-midi avec l’œil à demi clos rivé sur l’écran d’ordinateur, mécaniquement occupé à appuyer sur la touche envoyer/recevoir en supprimant tout ce qui ressemble de près ou de loin à un SPAM vantant les mérites d’une prothèse mammaire discount ou à un communiqué de presse amateur chantant les louanges d’un « jeune projet rock alternatif français à découvrir » ; l’un n’étant pas plus réjouissant que l’autre, on aurait pu rapidement en conclure que le boulot de critique musical n’était finalement plus très éloigné de celui d’abatteur de poussins en batterie pour l’industrie du fast-food. Mais je crois que je m’égare. On en arrive à ce mail reçu par hasard à l’automne :

De : Walid Marouf <walid.marouf@gmail.com>
Objet : Negative Beat
Date : 8 novembre 2012 20:50:24 HNEC
À : desk@gonzai.com

Salut,

Negative Beat est un collectif de jeunes musiciens originaires de Moselle.
Ce collectif est composé de plusieurs projets aux influences diverses. Tous ces groupes sont autoproduits. Appréciant votre blog, on s’est dit que quelques uns de nos sons pourraient vous intéresser.

http://www.negativebeat.com/

Ciao bonne journée

Le nom du label, tout d’abord, interpelle. Je peine à comprendre s’il évoque un collectif hip-hop de Sarreguemines ou un énorme foutage de gueule à l’industrie du risque qui n’arrive même plus à trouver de nom original pour écouler ses disques. « Negative Beat », une invitation au refus ; un drôle de compromis verbal entre le groove et l’abattement, qui donne envie de cliquer, persuadé qu’encore une fois on tombera sur un crew de graphistes mal dégrossis managés par la coiffeuse de la cousine qui, entre deux mises en plis, a décidé de faire de la concurrence à Peter Grant. À force de consommer des disques comme on mange des chips, l’intransigeance finit souvent par tuer toute innocence chez celui qui, confortablement installé dans son château, a le culot de donner son avis sur la musique d’autrui.
Tout ça pour dire qu’il suffit de deux minutes pour comprendre que les groupes du collectif Negative Beat ne sont pas des rigolos. Sur le site officiel, une usine chimique comme on en ferme tous les quatre matins fait office de papier peint. Pour le manifeste et les belles paroles, on repassera. C’est que les groupes « signés » chez Negative Beat n’ont pas vraiment le temps de faire dans l’enluminure ni dans les éléments de langage, un rapide passage en revue des morceaux de Distorsions, mélange de surf music et de psychédélisme lorrain – je sais, ça fait bizarre – permet de comprendre que si une journée se compose de 24 heures, ceux-là en consacrent une bonne partie à faire vriller le bouton des amplis, plutôt qu’à faire de la friend request sur Facebook. Quant à savoir si Distorsions est écoutable sur Soundcloud, la réponse est oui. Nom de code : « fetedujambon ». Ces jeunes gens n’ont clairement pas pour mission d’être repérés par les moteurs de recherche.

some tracks 2007-2009 by fetedujambon

Bien sûr, les rockeurs de Distorsions ne feront jamais les beaux jours du Grand Journal et, après tout, ce n’est pas ce qu’on leur demande. Après avoir été maltraité par la reverb de ces blancs-becs bercés par Link Wray, on serait alors en droit d’attendre des autres groupes la même esthétique, un truc qui ressemblerait à un chat crevé sur la route 66 avec une pin-up culbutée derrière la grange par un sosie de Lux Interior. Sauf que pas du tout. Dans cette époque où la cohabitation semble être devenue, crise oblige, un mode de vie, on retrouve dans le roster de Negative Beat des groupes qui n’ont absolument rien à voir et qui, de fait, donnent à boire et à manger à celui qui saura se pencher sur leurs productions. Pour les amateurs d’électronica nostalgiques de ce temps où Boards of Canada étaient presque maîtres du monde en survet’, il faudra cliquer sur GWC (Ghost With Claws), autre groupe à l’identité toute pourrie qui s’en sort avec les honneurs dans le registre musique d’infographistes belges passant les samedis soirs défoncés dans des squats où la lunette des toilettes est toujours clean.

Toujours aussi étonnant, le one-robot-band de Acapulco City Hunters qui, depuis sa France d’en bas, fantasme l’espace et la combustion nucléaire sur synthé embarqué. Une pincée de Moroder pour la moustache, un zeste de Principles of Geometry pour les nappes, un humour synthétique qui n’hésite pas à afficher un modeste « Acapulco, Moselle, France » en guise de présentation. Les 166 écoutes de son Haunted Bombai vous remercient. Et ce qui devrait logiquement s’apparenter à un gigantesque flop sans avenir – depuis quand le rétrofuturisme est-il synonyme d’avenir, tout court ? – ressemble ici, dans la froide nuit de ma cuisine ancien siècle, à une parenthèse en chantier.

Haunted Bombai by Acapulco City Hunters

Si vous êtes arrivé jusque là sans encombre et que le fait qu’aucun des artistes de Negative Beat n’est disponible sur Deezer ne vous a pas encore donné envie d’aller gerber dans les jupons de maman, finissons avec le feu d’artifice nommé  The Crooked Axis, de loin le plus surprenant des poulains artisanaux. Si la référence à la B.O. composée par Gong pour le film Continental Circus illumine la moindre pièce dans votre cerveau en forme de loft spacieux, il est grand temps pour vous d’en finir avec la nostalgie pour plonger à tout berzingue dans les six pistes de l’EP « Strange Girl », qu’on pourrait grossièrement définir comme du Tame Impala lorrain ayant pris le soin de soigner ses roulements de batterie, qu’on entend claquer dans le casque comme des coups de ceinturon. Influencé par « Aphrodite’s Child, le psyché turc et Jean-Claude Vannier », The Crooked Axis parvient l’incroyable grand écart entre sa nationalité et ses sources d’inspiration, qui les voient passer de Led Zep à Neu! en moins de temps qu’il ne faut à Lance Armstrong pour faire Paris-Roubaix. Métaphore cycliste mise à part, ces rockeurs ont un sacré coup de pédale. À la fois subtilement maladroit et diablement précis. Ce qui donne à ces maquettes un parfum d’intimité qui ridiculise tous les bacheliers du rock trop occupés à inonder vos boîtes aux lettres avec des bios commençant par « formé à Metz en 2004 et influencés par Muse et Matthieu Chedid, le combo virevoltant de XXX souhaite révolutionner le rock’n’roll avec son premier EP ». Allez, poubelle.

Que faut-il donc retenir de ce papier, comme des groupes précités, maintenant que Myspace est devenu un mausolée pour sourds et qu’un label français comme Pan European semble avoir trouvé son rythme de croisière ? Qu’il existe une alternative journalistique au copié-collé généralisé tel qu’on le trouve aujourd’hui sur le Net français, branché sous perfusion au flux RSS des sites anglo-saxons. Et qu’à l’instar de Crane Records ou du Turc Mécanique, il est encore possible pour des anonymes d’étonner sans n’avoir rien à vendre. À l’heure du (re)produire français, l’artisanat reste encore le plus beau métier de France.

http://negativebeat.com

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