Il est 18h15 ce vendredi 13 juin 2014. Myles Sanko va chercher deux de ses musiciens quai de Valmy, où ils fument une cigarette, et lance le soundcheck pour le concert du soir.

Myles donne le signal. Le groupe attaque Lonely Dreamers. le somptueux morceau instrumental du second album « Forever Dreaming ». Une lente montée en puissance, avec une puissance mélodique impressionnante. Tout est carré. Tout est parfait. Saxophone, trompette, clavier, guitare, basse, batterie. De la Soul Music de rêve.

Myles Sanko chauffe sa voix maintenant sur Forever Dreaming, le premier single extrait de l’album. C’est un homme de taille moyenne, musclé, en T-shirt, short, et tongues. Il chante, se met en condition. Les gestes, chorégraphiés, arrivent naturellement. Il fait des signes à l’ingé son, pour indiquer que tel micro doit être réglé différemment. Pendant qu’il chante, il descend dans la salle, marche de gauche à droite, chanteur et spectateur, pour entendre le résultat des réglages.

Une heure avant, un jeune homme blond déboule en skate board au Bizz’Art. Sur son dos, une guitare. Il monte sur scène, trouve un jack pour brancher sa guitare, joue quelques notes, et repart en coup de vent. C’est Thierry Los, il est co-auteur des deux albums de Myles Sanko.

Je passe mon temps à faire des allers-retours entre l’entrée et le bar, j’accueille mes amis, ma famille, mes collègues. La plupart sont venus en confiance, ne connaissant pas du tout l’artiste. Je suis à l’origine de son premier concert solo à Paris.

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Il est 7h du matin, ce même 13 juin. Myles retrouve ses musiciens à Cambridge, tout le monde embarque dans le van, direction Londres, ou Neil Penny, le trompettiste du groupe réside. Une heure et demie plus tard, Neil est dans le van, en route vers Douvres pour embarquer sur le ferry. Sept personnes, les instruments, tout le matériel. Myles est au volant. Le van embarque, et une heure et demie après, le ferry accoste à Calais, puis direction Paris. Quand ils arrivent, ils ont 9h de trajet dans les pattes.

Il est 21h45 maintenant, le public est impatient. Le noir se fait dans la salle. De la petite porte blanche au fond à gauche de la scène, sortent sept hommes : Gareth Lumbers on saxophone and flute, Neil Penny on trumpet, Tiago Coimbra on bass, Rick Hudson on drums, Neil Cowlan on guitar, Tom O’Grady on keyboards and Myles Sanko.

Le premier titre est la version instrumentale de Lonely Dreamers, puis Myles part tout de suite à fond avec High On You, le son Stax envahit la salle. Ce soir-là, il joue la quasi intégralité de ses deux albums. Tous les titres sortent ex nihilo. Myles, le groupe, le répertoire, le public, font connaissance en live. Et ça fonctionne. Les gens dansent, acclament, chantent, s’approprient immédiatement ces musiques nouvelles dans un style ancien. Pourquoi ça marche ? Comme c’est moi qui ait organisé le concert, je recueille spontanément plein de réactions quelques jours après : les termes qui reviennent sont le charisme, l’énergie, la générosité, belle voix, jeu de scène, vrai leadership. Le concert s’achève par Forever Dreaming, Myles fait chanter le public. ‘Tonight you are my Paris Soul Choir.’

‘Thank you Bizz’Art, good night’, tout le monde sort de scène, repart dans les loges. 10 secondes après, ils sont déjà de retour sur scène pour le rappel. .‘Thank you so much, give me all you got, it’s your song’.

Rick installe le rythme à la batterie, Tom aux claviers joue la petite phrase musicale, véritable earworm, de l’intro de ‘Goodbye Lady Goodbye’. Tiago ajoute ensuite sa basse. Myles agite son tambourin. Neil P. et Gareth soufflent dans leurs cuivres. Neil C. ajoute quelques licks de guitare. Thierry Los, le guitariste blond, monte sur scène avec sa guitare. Il aura le premier solo. Puis Myles dit : ‘Ladies and gentlemen put your hands together for Rick Hudson on drums’. Rick prend un solo. Tout le monde aura droit au sien. Le suivant est Tiago avec sa basse slappée, puis vient Neil Cowlan avec un solo de guitare jazzy, ensuite nous avons Tom et son clavier, et maintenant Neil Penny à la trompette, pour finir par Gareth Lumbers au saxophone. Myles fait maintenant à nouveau appel à ce qu’il appelle son ‘Soul Choir’, et le Bizz’Art de le suivre dans son scat. Une quinzaine de minutes en guise de bouquet final, tout le monde est à fond, les musiciens, le chanteur, la salle, ‘Thank you Bizz’Art, I’ll be over there in 5 minutes’. Fantastique concert. Il s’est passé ce soir quelque chose d’incroyable, un artiste inconnu a joué ses deux albums, à un public qui ne les avait jamais entendus. Et c’est un triomphe.

Myles et ses musiciens ont à peine le temps de se rafraichir en sortant de scène qu’ils sont déjà de retour avec une caisse de CD et une caisse de vinyles. Ils s’installent à une table, et une file d’attente se forme pour acheter l’album et le faire dédicacer. Les musiciens peuvent enfin se détendre.

Tous, sauf un : Neil Penny, le trompettiste. ‘I have a dayjob’ m’a-t-il dit juste avant le concert. Il doit reprendre le premier Eurostar à 6h43. Quel est cet employeur qui exige la présence d’un trompettiste à Londres un samedi ? C’est Elisabeth II : eager eye focusing on her Guards as always!’. Oui, Neil est un Grenadier, et il joue de la trompette pour la reine. Samedi 14 juin, elle fête ses 88 ans. Neil est un vieux compagnon de Myles Sanko.

Soul Jogging

Une peu plus tard. Nous somme en aout 2013, tous les matins, je cours dans les collines de l’Etoile, dans les baous de l’arrière-pays niçois, les cigales, les pins, les oliviers. Dans les écouteurs de mon Ipod, ma power song de tout l’été, c’est So Hard To Stop, un single en téléchargement gratuit, sur le site de Myles Sanko. J’ai découvert l’artiste quelques jours avant. J’ai écouté tout son EP « Born In Black And White », et je ne comprends pas. Il est incompréhensible pour moi que la richesse de cette musique reste méconnue. Qui est ce type ? Comment aujourd’hui on peut faire un album, si court soit-il, avec uniquement des singles potentiels ? il y a là un mystère à élucider. A la rentrée, Internet me livre des bribes d’explications : le garçon est mi-breton, mi-africain, il est basé à Cambridge, il joue souvent dans un club nommé ‘La Raza’. Le blond c’est Thierry Los, co-auteur de tous les morceaux.

Cambridge, c’est une ville de la taille de Maubeuge avec une université mondialement connue, et c’est tout. La Raza, c’est un sympathique bar et resto, dans une rue bien propre du centre-ville, à côté de la boutique du Comptoir des Cotonniers. Le bar sert de la Caipirinha, comme n’importe quel Café Oz. Doté d’une salle de concert de la taille de ta salle de bain, il accueille des groupes locaux, dont, très souvent, Myles et son groupe.

C’est de la soul ou pas, Myles Sanko ?

D’après le Ministère du Bon Goût, la Soul Music est au carrefour de 4 trajectoires :

1-c’est une musique noire issue du Rythm n’ Blues, du Gospel, du Blues,

2-née aux USA,

3-dans les années 60,

4-dans un certain contexte socio-économique.

L’oppression, l’esclavage, le déracinement. Une voix qui trouve son chemin dans la douleur et l’interdit. Les droits civiques : A Change Is Gonna Come, People Get Ready, tout ça.

Très vite, on vire au funk, à la Psychedelic Soul, voire au Disco. Edwin Starr est un chanteur Soul quand il interprète War, et Disco quand il passe à H.A.P.P.Y. Radio. On n’est pas Soul toute sa vie. Sauf certains comme Sam Cooke ou Otis Redding. Dieu merci pour les puristes, ils sont morts sans pouvoir évoluer. Otis serait le Soul Man ultime. C’est tellement plus simple quand les artistes disparaissent jeunes. Mais leur pureté apparente n’est que le fruit du destin brisé. Si Dylan n’avait pas survécu à son accident de moto en 67, il aurait rejoint Jimi, Jim, Janis, toute la bande. Il serait momifié pour l’éternité en tant que porte-parole de sa génération. Pour répondre à la question posée : non Myles ne fait pas de Soul. Il n’est pas américain, n’a rien enregistré dans les 60’s.

Maintenant, on s’en tape des historiens. De toute façon, même à l’époque tout est mélangé. Gerry Goffin, écrit les plus belles paroles du monde : ‘When my soul was in the lost and found, you came along to claim it’ et les offre à Aretha, qui fait de A Natural Woman un joyau Gospel-Soul indépassable. Il est blanc, juif, masculin. Et alors ? La Soul, au-delà de ses critères visibles, c’est la sincérité, la générosité et la ferveur dans l’interprétation. Myles Sanko est un chanteur Soul. L’un des plus grands.

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Comment a-t-il pu s’entourer de cette clique de musiciens britanniques ?

‘C’est Tiago qui m’a présenté tous les autres’. Tiago Coimbra, bassiste brésilien à lunettes et raie au milieu perpétue sciemment la tradition du bassiste taciturne. Planté au fond à droite de la scène, masqué derrière les deux cuivres, il est solidement planté sur ses deux jambes, et abat un boulot invraisemblable, bassiste monstrueux, slappant à l’occasion, en s’effaçant derrière le son. ‘Tiago tu es tellement discret’, lui dis-je (je suis un maitre en diplomatie). ‘People want to feel the music, not to see it’ me répond-il. Son coté brésilien se voit donc dans l’art du tacle.

Rick Hudson, lui, est un batteur intense. Tout en force, précision, classe, il complète idéalement Tiago. Il réinvente les plans des batteurs de Motown, sans les parodier. Neil Cowlan est un guitariste de Blues. L’élégance de son jeu rappelle Danny Kortchmar. Il a son propre groupe, Revelator.

Tom O’Grady, aux claviers, est également à la tête de sa propre formation, Resolution 88. Dans les années 90, il repère dans les tubes de Jamiroquai un son qui le fascine, puis l’obsède : celui du Fender Rhodes. Un brin obsessionnel, il fouille dans le passé et découvre les deux maitres de cet instrument : Herbie Hancock et Stevie Wonder. Son groupe joue des hymnes imprégnés de Fender Rhodes. Tom est aussi professeur de piano. Il est féru de musique française, en particulier Gaspard De La Nuit de Ravel.

Le plus jeune et le dernier arrivé, est ce saxophoniste blond : Gareth Lumbers. Esthète passionné par les années 50, il joue aussi de la flûte, ce qui lui permet de briller sur To My Surprise, l’un des morceaux les plus jazz, et les plus complexes de Myles.

Résolution

‘Comment tu pourrais rester assis en écoutant cette musique ?’ (une collègue cadre sup quinquagénaire) ‘Normalement j’écoute du rap, mais là j’adore’ (une louloutte du 94) ‘Il est exceptionnel’ (ma nièce de 24 ans)… Pourquoi Myles plaît-il à tout le monde ?

    1. Il a les chansons : là où échouent tous les artisans du revival soul, lui arrive à proposer un répertoire, varié, solide, profond, boosté par l’inventivité perpétuelle d’un Géo Trouvetou d’Ille et Vilaine. Ecoutez tous les autres : il y a la posture, mais pas de musique. Alabama Shakes, Lee Fields, Sharon Jones, Charles Bradley : une attitude, une chaleur, un talent, ils ont tout sauf les chansons. A l’inverse, prenons un titre de Myles comme My Inspiration. Il est disponible avec deux accompagnements totalement différents : la version anglaise, jazzy, qui fait penser à Stevie Wonder, et la version française, croisement entre Burt Bacharach et Michel Colombier avec un accordéon somptueux. Les deux sont légitimes. C’est un grand titre. Depuis les Beatles, on sait que si on n’a pas de titres solides, on n’a rien. So Hard To Stop, Goodbye Lady Goodbye, Forever Dreaming, Stay Away, tous sont des hits dans un monde où il n’y en a plus.

  1. Il a la démarche : Shawn Fanning invente le peer to peer avec Napster, et les murs de Jéricho s’effondrent. Il a dégradé tous les Colonels Parker. Il a aussi paupérisé tous les musiciens. La résistance s’organise : et si on faisait une émission avec des chanteurs amateurs ? et si on ajoutait des sièges qui tournent ? un mur qui se lève ? et si on mettait dans les jurys tous les chômeurs de l’industrie sinistrée du disque ? Myles Sanko, face à toutes ces bonnes idées, a choisi l’option low tech pour le développement de son projet. Avant, chaque artiste de son calibre conduisait une formule 1. Autour de lui s’affairait une armée de techniciens bac+5, tous investis d’une micro-mission, et qui ne bougent pas une oreille tant que leur uniforme rouge n’est pas impeccablement repassé, et qu’ils n’ont pas eu la validation de leur N+1. Chez le concessionnaire de la musique du nouveau siècle, Myles a choisi un Zetor, un tracteur Tchèque des années 50. Le genre increvable, qui fonctionne même à l’huile de noix et au diesel coupé à l’eau de pluie. Ça avance lentement, ça ne s’arrête jamais. Son système c’est l’autoproduction, le crowfunding, l’échange non marchand, l’appel aux bonnes volontés, sur Twitter, sur Facebook : ‘Je tourne mon nouveau clip, qui veut faire de la figuration ? Je vais sortir ‘Come On Home’ en single, qui veux faire un remix ? J’ai envie de faire un concert à Paris, qui connait une salle ?’ etc. etc.

‘Man On A Mission’ a titré Blues & Soul Magazine à propos de Myles. C’est plus qu’une mission, c’est une croisade, très laborieuse. L’utilisation des réseaux informels est complètement moderne. Ne pas se laisser endormir par le Motown Sound. Cette idée de communauté, Myles est en train de la développer dans toutes les dimensions de sa vie d’artiste. Le Soul Choir dont il parle n’est pas autre chose. Il embarque tout le monde : Barcelona, London, Paris Soul Choir. Qui m’aime me suive. Tu veux prendre des photos, des vidéos du concert ? Vas-y, poste-les, et n’oublie pas que mon prénom prend un Y. Il est à la fois l’artiste, le producteur et le président de son propre fanclub.

  1. Il a un groupe : des old chaps. Ils s’appellent ‘mate’ les uns les autres, ils sont extrêmement discrets, polis. Leur cohésion est le fruit de dizaines de concerts ensemble et séparément, de centaines de kilomètres tassés dans le van, du matériel sans arrêt démonté, remonté. Rangé au millimètre près dans le coffre. Sur scène, sur disque, ils apportent tous leur singularité. Ils jouent tous dans plusieurs projets différents. Ni des mercenaires, ni des Yes men, ils sont des acteurs majeurs dans le destin de Myles. Les titres, c’est Myles et Thierry. Le feeling, le drumfill de la batterie, les licks de guitare, ce sont les musiciens. Myles exerce un leadership moderne dans le sens où il est Frontman, patron indiscuté, mais où chacun a des espaces de liberté, des side projects. Tom O’Grady est Musical Director sur scène. Une structure souple se met en place et c’est sa force.
  1. C’est une star : dans les confins de Facebook, on trouve une photo, qui date de 2012. Prise un après-midi ensoleillé à la terrasse d’un bar à Ajaccio. On y voit 3 jeunes filles, la vingtaine, qui regardent l’artiste, avec l’attitude de fans en quête d’autographes. Dans leur regard, se mêlent attirance, curiosité, prudence, fascination. La peur du loup, et l’envie d’être mangé. Le plus drôle dans la photo est la réaction de Myles, qui est horriblement gêné, pudique, mortifié par l’inconvenance apparente de la situation. Le plus incroyable est que, d’instinct, les jeunes filles aient senti l’aura de cet inconnu qui n’a encore aucun hit, et qui ne jouera son concert que le soir.

Finalement, pourquoi chercher un trésor au bout du monde alors qu’il est dans la cave de Moulinsart ? Quand il fait chanter son Soul Choir Myles a déjà tout dit : ‘I believe in you, so I keep on dreaming, I believe in me, so I keep on dreaming’.

https://www.facebook.com/mylessankofanpage

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